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Quel avenir ?
Suite au colloque sur la décentralisation, entretien avec Françoise Vergès
11 septembre 2003
Françoise Vergès, professeur d’université à Londres, a participé au Colloque sur la décentralisation organisé la semaine dernière par l’Université de La Réunion et le Conseil régional. Nous avons voulu la rencontrer pour savoir comment elle avait vécu ce colloque de l’intérieur. Et nous avons abordé avec elle les questions de culture et d’identité réunionnaises en lien avec la décentralisation. Impossible en effet de penser la décentralisation si nous ne nous affirmons pas comme Réunionnais, si nous n’avons pas en nous la volonté de nous approprier notre île en cessant de nous maintenir dans un rapport d’inféodation la ’mère patrie’.
Nous avons voulu avoir le sentiment de Françoise Vergès sur l’initiative de l’Université de La Réunion et de la Région Réunion d’organiser un colloque ayant pour thème "Décentralisation : Histoire, bilans et évolutions". "C’est toujours une très bonne idée de porter une réflexion sur le contemporain, j’entends par-là sur les cinquante dernières années. Le passé est très important, mais il est beaucoup plus difficile d’aborder le temps présent", nous confie-t-elle.
Elle déplorait cependant que ce colloque ait souffert "d’une trop faible audience. Les gens ne viennent pas s’ils ne voient pas la relation entre l’Université et leurs soucis. Vu le nombre d’étudiants réunionnais, l’amphithéâtre aurait dû être plein, car les discussions concernent le pays où ils vivent. Je pense que les gens ne se sentent pas concernés. Mais tous ceux qui travaillent dans les municipalités, dans les services administratifs, ceux qui prennent des décisions liées à la décentralisation, auraient dû venir".
Pour elle, cette absence de participants, ce rendez-vous manqué ne s’explique pas par une mauvaise couverture médiatique : "Ce n’est pas un déficit d’information, dans d’autres pays où les médias sont moins importants, il y a des gens qui ont cette envie de participer".
Françoise Vergès constate "un affaiblissement du débat public à La Réunion. Il y a eu des moments de plus grande productivité intellectuelle qui s’appuyait sur La Réunion et qui se fédérait autour de valeurs comme la défense de la langue et de la culture créoles, de l’oralité, la lutte contre la fraude électorale et pour la démocratie", dit-elle en faisant référence - entre autres - aux publications du PCR, aux "Cahiers de La Réunion", à "Témoignage Chrétien de La Réunion". "Aujourd’hui il existe beaucoup de petits lieux de recherche et d’échanges mais il manque des passerelles. Une revue comme "Akoz" montre cependant la richesse de la réflexion. C’est vers la recherche de nouvelles valeurs communes qu’il faut s’orienter".
Pourtant, la question qui se pose aujourd’hui est, selon elle : "comment peut-on prendre le temps de la réflexion (temps long) pour répondre aux questions de l’urgence (temps court) ? La Réunion est dans un tel état que les besoins sont toujours pensés en termes de rattrapage. Prenons le temps de la réflexion et de la comparaison avec ce qu’ont fait des pays aussi divers que l’Afrique du Sud, la Malaisie, l’Espagne… Je regrette le manque de contacts, de rapports, de transversalité, qui empêche que La Réunion devienne le lieu de cette réflexion. En ce sens, ce colloque était très intéressant car il réunissait juristes, historiens, littéraires, élus…".
Plus que tout, pour pouvoir mener cette réflexion sur l’avenir de notre pays, il est nécessaire, selon Françoise Vergès, de "sortir de l’insulte et du gros cœur, pour débattre". Il faut aussi trouver les conditions de ce débat : "La vie à La Réunion est plus éclatée. Comment renouveler ce débat public, étant donné qu’on ne peut plus le faire comme avant ?"
Pour elle, ce qui nous fait défaut, c’est "la connaissance sur notre pays, l’habitude de discuter, l’identification d’un espace public fédéré, des notions pour analyser, des notions à réunionniser, pour aller vers une réunionnisation de la théorie".
Un des points qui a sollicité toute son attention lors du colloque a été l’Histoire des mouvements de contestations réunionnais. L’ intervention de Claude Wanquet au colloque l’a fait s’interroger sur l’existence d’un "courant conservateur et réactif qui s’exprime depuis toujours à La Réunion et sur ses causes. Ce qui m’intéresse c’est de voir comment les choses naissent à La Réunion, qu’est ce qui est né de La Réunion. Quelles sont les conditions sociologiques, historiques qui permettent de mieux comprendre notre pays".
Même si le manque d’auditoire n’a pas permis que ce colloque porte beaucoup de fruits dans l’immédiat, elle y relève du positif : "Tant de gens parlent aujourd’hui d’"autonomie", le mot peut être dit. Les juristes soulignent que c’est une possibilité pour La Réunion, une autonomie législative, une autonomie statutaire ou une autonomie constituante, ou alors après vous avez l’Indépendance. Nous voyons donc qu’il y a de nombreuses possibilités selon le juristes. Nous avons aujourd’hui une grande liberté décisionnelle. Le mot autonomie était interdit et l’Histoire de son interdiction est riche d’enseignement. Pourquoi ne partirions-nous pas de cette histoire pour comprendre comment ce terme s’enracine (positivement et négativement) à La Réunion ?"
"Le terme "autonomie" fait son apparition en 1959, lorsque certains font le constat que la départementalisation a failli, et le PCR à sa création pose comme projet politique l’autonomie démocratique et populaire, proche de l’esprit des décolonisations. Sur le plan culturel apparaît simultanément le concept de peuple réunionnais.
Les années qui suivent sont marquées par la répression, les fraudes électorales, le journal du PCR est saisi. La droite d’hier était xénophobe, composée de gros blancs qui régnaient en petits maîtres sur leurs terres. Le Réunionnais rencontrait d’énormes difficultés pour exercer son droit de vote, ce droit profondément lié pourtant à la conception de la démocratie républicaine. À la fin des années 70, des formes de brutalités sont toujours présentes. La Réunion était un pays de bourrage d’urnes, un monde très colonial. Nous sommes sortis de cela, de cette politique de la brutalité et de la force, cependant leurs effets continuent à se faire sentir.
Il faut bien reprendre cette Histoire pour comprendre la manière dont le débat autour du statut se déroule. Et pourtant, comme nous l’ont montré des juristes, cette discussion était possible dans le cadre de la République française. L’interdit du débat autour de la notion d’autonomie, de discussions, de confrontations fertiles a eu des effets sur le débat culturel et social, obligeant les gens à penser que "sans la mère patrie i giny pa". La presse réunionnaise écrit dans les années 1960 - 65 : "nous ne sommes rien sans la France".
Ce "rien" que nous serions donne la dimension de toute notre vie. Dans ce discours, nous sommes comme des marmay, et un marmay il ne peut pas traverser la route seul, il ne peut rien faire seul, sa conception du monde est à faire, il doit être éduqué, ce qu’il dit n’est pas encore élaboré… Cela a pesé par exemple sur la conception de notre langue avec des réflexions du genre : "au mieux c’est joli, c’est mignon mais c’est pas avec ça que vous allez faire une pensée".
Pendant longtemps, l’idée centrale était de dire que La Réunion ne peut pas se penser autonome, ne peut pas prendre ses responsabilités. Cela a entraîné une mentalité qui s’exprime dans des expressions comme : "que font les élus ?", "que fait la France". Or c’est aussi à nous tous de régler nos problèmes, de dire que faire de cette île. Nous n’avons ni à rattraper la France, ni les Antillais, ni qui que ce soit. Nous devons partir de notre territoire, tout en empruntant aux autres, en comparant les situations, mais partir de nous. L’économie de rattrapage doit concerner le social, mais elle ne peut pas concerner notre manière de penser notre territoire".
"L’opposition départementaliste/séparatiste, qui confondait autonomie et séparatisme, était grotesque. Cela a envahi toute notre pensée et s’exprime dans les "koup pa nou", "largage" et autres expressions. Mais pourquoi ne pourrions-nous pas débattre de ce que les lois républicaines nous permettent ? Et cette peur du largage entraîne un repli sur soi, une difficulté à se penser dans le monde. C’est aujourd’hui une forme d’autisme, car autour de nous le monde change. Ainsi, les incroyables transformations économiques, géopolitiques ne nous toucheront pas ? la mondialisation, la montée des intégrismes, la déforestation, le capitalisme, j’en passe… La Réunion en serait protégée ? et en vertu de quoi ?"
Françoise Vergès avoue qu’il lui faut toujours un ou deux jours d’adaptation quand elle revient au pays car "La Réunion est devenue comme un grand espace de loisirs et de consommation. Dans cette transformation de La Réunion en un "chez soi" où "tout est comme en France", les Réunionnais sont étrangers à leur propre pays. Kosa nou sa fèr ? Comment on habite cette île ? Ce n’est pas à la France de nous dire comment faire. À nous d’avoir confiance en nous".
Françoise Vergès démontre dans un ouvrage collectif qui paraîtra prochainement sous le titre "La République coloniale, essai sur une utopie" (Albin Michel) que "l’impérialisme français a des difficultés à penser les différences culturelles dans la démocratie. Or il peut exister des différences culturelles dans la République, sans la remettre en cause. Cette articulation entre démocratie et différence culturelle est au cœur de nombreux débats en Europe. Et toute une production artistique s’élabore autour de cela. À nous d’y contribuer".
Comment engager le processus de réappropriation ? Comment affirmer notre identité ? De quelles manières créer les conditions d’un épanouissement du Réunionnais, d’une prise de conscience ? Qu’est-ce qui peut nous aider à prendre notre avenir en main ? à nous responsabiliser davantage ?
Pour Françoise Vergès, il faut "une révolution des mentalités, plus d’estime de soi, de ce qu’on fait, de ce qu’on a, de ce qu’on a produit". Il faut "repenser les figures historiques et politiques de La Réunion comme Simandèf, Raymond Vergès, Léon de Lépervanche… Comme les Antillais ont Césaire, nous avons nos femmes et nos hommes qui déjà s’affirmaient en Réunionnais, nous devons reconnaître leur rôle. Nous devons avoir un meilleur rapport à notre territoire, que nous ne sommes jamais vraiment approprié. Il a été arrosé du sang et de la sueur de nos ancêtres, O.K., mais comment habiter notre terre ?
C’est aussi selon moi ce qui peut expliquer le mauvais rapport à l’espace public : je nettoie ma cour, mais sorti de ma cour, ce n’est pas à moi. Il faut prendre conscience qu’abîmer notre île c’est s’abîmer soi-même. Il nous faut retrouver l’amour de soi, nous ne sommes pas juste des joueurs de maloya, il n’y a pas que la musique et la cuisine…
Être Réunionnais c’est une manière de vivre différente, une manière de penser. Ce sont ces valeurs réunionnaises de la vie qu’il nous faut retrouver car La Réunion est en première ligne dans le débat de l’interculturalité et de la multiculturalité. Et c’est le débat qui anime le monde aujourd’hui. Il faut avancer, y participer de manière égale. Ainsi, nous devons pleinement nous impliquer dans le débat sur la laïcité et le multi-religieux qui s’annonce avec le Comité sur la laïcité dirigé par Bernard Stasi. La laïcité réunionnaise pourrait être un modèle de ce que la France est en train de chercher".
Ces impératifs soulignent l’intérêt de la Maison des Civilisations et de l’Unité Réunionnaise. "Un projet formidable, excitant", pour Françoise Vergès, qui se demande aussitôt : "quel serait le programme culturel d’un tel endroit ? Quelles bases théoriques pour le penser ? Nous devons nous soutenir plutôt que de nous tirer dans les jambes. Il nous manque l’unité. Unité qui ne s’exprime pas par le nationalisme, mais par une forme d’existence. La Maison n’est pas un musée, elle pourra offrir un espace transversal, affirmer notre identité".
D’un point de vue strictement culturel, il est temps, selon Françoise Vergès, de "réinventer les problématiques. Les années 70 ont permis de libérer la langue, le maloya, c’était une résistance à la francité imposée par Michel Debré. Les problématiques sont à renouveler dans le cadre des nouvelles questions de l’interculturel, du multireligeux, de la démocratie, de l’alter-mondialisation… Comment peut-on réunionniser ces problématiques pour relancer le débat culturel ? L’étau s’est desserré, de nouvelles données apparaissent sur lesquelles il faut s’appuyer. La jeunesse se veut européenne O.K., mais quel genre d’Européen ? Est-ce cette Europe multiculturelle des West Indians de Londres, des Turcs de Berlin, des Chinois de Paris, des nouveaux Européens qui vivent dans un continent transformé ? L’Europe n’est plus "blanche" et notre position européo-afro-asiatique est un plus".
Réussir la "réunionnisation", loin d’être une utopie, est une exigence, pour Françoise Vergès : "Si nous échouons, nous courons le risque de dérives ethnicistes et xénophobes. La réunionnisation est un processus où chaque groupe perd quelque chose de ses différences culturelles et gagne autre chose. Cette dynamique de la perte et de l’acquis c’est la dynamique de la réunionnisation, avec bien sûr tous les chemins de croisement et de traverse possibles".
À l’heure actuelle, nous sommes face à un nouveau défi pour la réunionnisation : "est-ce que la réunionnité va se faire contre les Comoriens ou avec eux ?" C’est la question que Françoise Vergès nous posait alors que notre entretien devait se terminer.
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