Société

’L’échelle des origines’ comme mesure d’un racisme insidieux

Racisme ordinaire

9 août 2003

« J’ai été insulté pour mes origines », dit Salomon Kéhi, remarquable buteur, principal artisan - entre autres - des belles saisons de la Jeanne d’Arc, en particulier lors de la victoire des Mauves en Coupe de France en 1999, passé ensuite à la Saint-Pierroise et aujourd’hui à la Tamponnaise.
Sélectionné dans l’équipe réunionnaise pour les Jeux des Îles, l’Ivoirien a été en butte à des rumeurs détestables, mettant en cause son origine africaine et lui contestant le droit de figurer dans la sélection de La Réunion pour ce mauvais prétexte. Mis à deux doigts de renoncer à sa sélection, il a finalement décidé de ne pas écouter « les ignorants ».

Une autre origine, comorienne celle-là, est trop souvent montrée du doigt. Au point qu’un journal (le "JIR" du 6 août) peut écrire le plus naturellement du monde, dans un article "faits divers" : « Un Comorien de 25 ans a agressé avec préméditation une jeune femme… » L’agression eut-elle été moins traumatisante de la part d’un Panonnais "de souche" de passage dans la cité maritime ? Et dans ce dernier cas, le "JIR" aurait-il mentionné l’origine géographique du contrevenant, comme il le fait presque toujours lorsqu’il s’agit de stigmatiser des Portois ?

Personne ne peut nier qu’il existe à La Réunion, dans le non-dit des discours, une "échelle des origines" dont la rumeur publique ne se hasarde à mentionner que les échelons "inférieurs", considérés comme les plus dégradants. C’est donc bien une entreprise de stigmatisation collective, pour démoraliser davantage s’il se peut ceux que la vie a déjà passablement malmenés.
Jamais on ne lira dans les colonnes des journaux bien-pensants : « Le frère X, directeur d’école d’origine métropolitaine, (c’est nous qui soulignons) a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire… ». Pour certaines qualités de contrevenants, la gravité des faits suffit à fonder l’infraction. Pour d’autres, généralement placés à l’autre extrémité de l’échelle sociale, la référence à l’origine ethnique ou géographique intervient systématiquement, comme si une loi non écrite amenait certains journalistes - emboîtant généralement le pas aux magistrats, policiers ou gendarmes - à considérer qu’il fallait ajouter à l’opprobre des faits, en stigmatisant leurs auteurs en fonction de leur origine.

Une telle complaisance envers le racisme ordinaire d’une société cloisonnée alimente dans l’inconscient collectif des réflexes qui peuvent conduire aux campagnes de dénigrement dont le footballeur Salomon Kéhi a été la cible. Parce qu’il est un grand joueur, il a trouvé à se défendre. Mais les autres ? Jusqu’à quand la "bonne société" va-t-elle les écraser sous les sarcasmes d’un racisme insidieux ?


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