Poésie expérimentale

« La poésie doit être vivante, articulée, bougée »

"Eh bien non je ne suis pas…" : conférence-débat avec Julien Blaine

6 septembre 2003

Mercredi dernier, peu de personnes sont venues à la rencontre du poète marseillais Julien Blaine. Et pourtant cela en valait vraiment la peine. Le titre de sa conférence-débat, organisée par Lérka, "Eh bien non je ne suis pas…", est extrait d’un poème fleuve de l’invité.
Julien Blaine est actuellement en résidence dans notre île, à Saint-Joseph, Manapany plus précisément, pour terminer plusieurs travaux d’écriture.
Mercredi après-midi, il a présenté plusieurs de ses performances poétiques par le biais de courtes projections : des "pidéos" (poésies-vidéos). Le champ exploré par ce poète a de quoi surprendre les amateurs de poésie conventionnelle.
Dans la première de ses vidéos, filmée en Corse, le poète écrit un poème intitulé "Ecfruiture" et rédigé à la bombe sur un grand tableau blanc : « Écrire c’est le pied / Écrire comme un pied », voilà pour le texte.
Ensuite, revenant au devant de la scène, il dispose différents fruits sur une bande de tissu, en commençant par des raisins et en finissant par une banane. Il va nommer ses fruits avant de les écraser avec ses pieds nus. Au fur et à mesure qu’il détruit les fruits, sa voix déforme les mots, se déforme elle-même jusqu’à devenir incompréhensible. Arrivé au bout de la bande, en écrasant la banane, il glisse et c’est la chute de la performance.
Cette description de l’œuvre ôte beaucoup évidemment à l’effet de la projection lorsqu’on peut l’apprécier "de visu".

« Nul ne peut savoir de quoi parle un poète »

L’échange qui a suivi après cette première "pidéo" permettait de mieux saisir le travail et la volonté du poète. À la base de cette performance, se trouve une profonde réflexion sur l’écriture. Le titre "Ecfruiture" est un amalgame des mots "écriture" et "fioriture", posant déjà la question de savoir si l’écriture n’est qu’un ornement. Ce qui intéressait Julien Blaine dans les deux vers de son poème, c’est le sens radicalement différent des deux phrases construites pourtant avec quasiment les mêmes mots.
La destruction des fruits et la déformation des mots qui servent à les nommer pose une autre question : « Quelle mémoire de l’écriture avons-nous ? Quelle est le rôle de l’écriture ? Pourquoi l’être humain s’est-il mis à écrire il y a trente mille ans ? Avons-nous quelque chose à dire ? Ou, en fait, ne cherchons-nous pas par l’écriture à simplement garder en mémoire des choses qui vont disparaître ? »
S’ajoutent à cette performance le plaisir charnel et l’odeur des fruits, que la "pidéo" ne transmet pas.
Plusieurs performances de ce genre ont été présentées, portant une réflexion sur la claustrophobie, sur la polysémie d’un mot… Le long poème "Iris" illustre ce dernier thème, le poète décline les différents sens et réalités du mot "iris". Le même mot renvoyant aussi bien aux fleurs, à l’œil, à la messagère des dieux, à une couleur….
Pour Julien Blaine, « la poésie est compliquée. Nul ne sait de quoi le poète parle, nul ne peut savoir ce que dit le poète. Comment peut-on me dire que l’on m’a compris alors que chaque mot a différents sens et que leur combinaison brouille encore plus les pistes… ? »
Ces différentes expériences ont été tentées car, pour le poète, « il ne faut pas se contenter du livre ; la poésie doit être vivante, articulée, prononcée, bougée, mouvementée… ». La poésie doit s’exprimer avec le corps, utiliser les technologies modernes, entrer en concurrence avec les magnétophones, jouer avec les bandes magnétiques. C’est ce qui s’appelle aussi la poésie sonore.


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