Quel avenir ?

’La Réunion à l’heure de la régionalisation depuis 1982’

Colloque "La décentralisation : Histoire, bilans et évolutions"

4 septembre 2003

Hier, la deuxième journée des débats sur la thème de la décentralisation à La Réunion s’est déroulée à l’Université, co-organisatrice de ce colloque en partenariat avec la Région. Lors de la matinée, la problématique portait sur ’La Réunion à l’heure de la régionalisation depuis 1982’. L’industrie touristique et la politique de la santé étaient également abordés.

• Françoise Vergès
« La République multiculturelle »  : une réalité quotidienne à La Réunion
En ouverture des exposés, Françoise Vergès, maître de conférences au "Reader University of London", a choisi de d’évoquer "La fonction du statut dans le débat politique à La Réunion".

Tout d’abord, l’universitaire a souligné les caractéristiques et les carences qu’ont engendrées la régionalisation pour La Réunion : « la décentralisation a permis une démocratie, une démocratie locale mais symptomatique d’un déficit de démocratie directe », a-t-elle constaté. Elle en veut pour preuve l’analyse du discours et la fonction du statut. Entre colonie, région, bi-départementalisation, etc., la dimension irrationnelle exprimée entre le territoire et l’État est conséquente. En premier lieu, par la distinction faite de deux territoires : « l’un soumis à un autre à qui l’État reconnaît des particularités tout en restant dans l’unité républicaine », constate Françoise Vergès. « Le fait d’employer durant des années le terme Métropole est significatif de cette peur de l’abandon, du largage, comme l’a souligné Jean-François Samlong dans son ouvrage "Faut-il abandonner la France ?" », a insisté l’universitaire. Comment le statut réunionnais est-il défini ? « Par une question de territoire, de citoyenneté, d’héritage mais surtout de centre de décentralisation face à ses périphéries géographiques », a poursuivi Françoise Vergès.

La Réunion est un territoire qui a connu l’arbitraire, un État d’exception jusqu’en 1946 et conserve encore certains aspects aujourd’hui, précise-t-elle. La République a voulu renier son modèle colonial en adoptant des lois, des textes, mais des séquelles sont encore présentes. Après avoir rappelé les vertus de la République dont la mission éducatrice, Françoise Vergès a démontré que ces valeurs n’ont jamais été appliquées de manière scrupuleuse dans notre île. Même les colons présents sur l’île n’ont pas voulu d’une France qui se transformait à la Révolution. En 1960, que signifiait exactement être Français ?

« Dans les journaux, une liste française et catholique se distinguait d’une liste d’opposition. La francité était d’être chrétien. Même le terme de Bourbon française était encore évoqué », précise l’universitaire avant de spécifier qu’on avait inventer une francité à La Réunion. « En 1969, le film "Z" de Costa-Gavras était interdit de diffusion à La Réunion », rappelle Françoise Vergès pour appuyer ses propos sur la crainte exprimée par le pouvoir en place de voir s’affirmer notre identité. « L’appartenance à la France se faisait par le sang et non par le sol », analyse l’universitaire. « Au moment où la France se pose la question d’une République multiculturelle, nous pouvons nous vanter de la vivre et de savoir ce que c’est à La Réunion », a conclu Françoise Vergès.

• Frédéric Sauvageot
« Un nouveau stade de l’existence de la Région »
Frédéric Sauvageot, sous sa casquette de maître de conférence en droit public et de juriste, est intervenu plus sur l’aspect constitutionnel de "L’acte I de la décentralisation (1982-1984)". Dans son exposé, il a découpé en deux phases, la loi Deferre de décentralisation du 2 mars 1982 attribuant des droits et libertés aux Départements et Régions et dans un deuxième temps, a évoqué la nouvelle décentralisation du 28 mars 2003.

Le rappel historique était nécessaire pour déterminer les statuts des communes et départements avant 1982. Il est clair qu’il n’a pas fallu forcément attendre cette date pour qu’une décentralisation existe. Simplement celle-ci était sous tutelle préfectorale, induisant des lourdeurs pour les communes. Auparavant, des institutions administratives, des personnes morales ou juridiques pouvaient se différencier de l’État par la création d’organes élus.

Dès la fin du 19ème siècle, les caractéristiques étaient réunies. En ce sens, l’Acte I de la décentralisation peut sembler plus contestable que l’Acte II. Mais il est d’une toute autre importance vis-à-vis des Régions. Celles-ci avaient pour dénomination par la loi du 5 juillet 1972, le terme juridique d’établissement publics régionaux (EPR), avec un patrimoine et un budget propre. Mais aucune compétence directe n’existait.

« Deux éléments nouveaux ont été apportés par la loi de 1982, l’élection au suffrage universel direct et la close générale de compétence donnant délibération sur les affaires de la collectivité », souligne le juriste. En ce sens, cette loi apportait une nouvelle ère de passage. Cette décentralisation s’est faite avec des perspectives démocratiques. L’article 59 de la loi Deferre a substitué les collectivités territoriales aux EPR, applicables également dans les DOM. Entre 1982 et 1984 trois autres lois ont renforcé cette décentralisation : celle du droit institutionnel pour l’Outre-mer du 31 décembre 1982 ; celle des compétences des collectivités régionales des lois du 7 et 22 juillet 1983 et enfin l’adoption de ces lois par celle du 2 août 1982. À partir de là, on peut dire qu’une reconnaissance pleine et légitime des organes régionaux s’est constituée. La tentative d’assemblée unique à la proportionnelle a été évoquée. Elle a été votée par le Parlement et le Conseil constitutionnel a repoussé le projet tel qu’il était présenté. Ce qui donnera d’ailleurs débat dans la salle sur cette question comme sur la redéfinition plus claire des compétences des collectivités territoriales.

En 2003, l’Acte I cesse, « la décentralisation régionale change d’échelle et passe à l’échelle constitutionnelle. On quitte le côté législatif pour s’orienter vers la Constitution. C’est un nouveau stade de l’existence de la Région », indique Frédéric Sauvageot.

• Jean-Louis Grandvaux
« Il reste beaucoup à faire d’ici 20 ans »
L’intervention du directeur de l’AGORAH (Agence pour l’observation de La Réunion, l’aménagement et l’habitat) s’attardera davantage sur les données statistiques de La Réunion. Entre les aménagements du territoire et des équipements, demandant des efforts considérables sur 20 ans, la prise en charge financière des collectivités territoriales, de l’État et de l’Europe ou le rééquilibrage des hauts de l’île comme de l’Ouest et l’Est de La Réunion, font dire à Jean-Louis Grandvaux qu’il reste beaucoup à faire d’ici 20 ans. Les avancées techniques et économiques se mesurent par rapport au parc immobilier : en 1982, on comptait 142.000 logements alors qu’on en est à + de 250.000 aujourd’hui. Parmi eux une baisse des logements traditionnels de 58,2% en 1982 à 27,3% en 1999, selon les rapports de l’INSEE-Réunion.

Les défis à venir restent dans la persistance de 9% des logements précaires et insalubres (soit 21.000 logements). « Les grosses poches de bidonvilles ont laissé place à des petites poches », a remarqué le directeur de l’AGORAH.

2020 signifiera plus de 156.000 logements soit, 60 à 70% de ce qu’on connaît aujourd’hui, sur 7.000 hectares. Quant aux infrastructures, elles sont allées en s’accroissant, pour les activités portuaires (1 million 300.000 tonnes de marchandises en 1986 à 3 millions 300.000 tonnes aujourd’hui), les aménagements routiers (+ de 600 millions d’euros en 20 ans), les réseaux d’assainissement (100 millions d’investissements) ou encore le trafic aérien (de 500.000 passagers en 1986 à 1 million 500.000 aujourd’hui).

Mais bien entendu des problèmes demeurent notamment avec l’exemple révélateur d’augmentation de 10% par an des immatriculations des véhicules automobiles. Les équipements scolaires ont également donné lieu à des chiffres détaillés (14 lycées en 1980 comparées aux 43 aujourd’hui) ; au niveau des équipements sportifs, La Réunion est à égalité sur le plan français ; les carences se comptant plus dans le domaine culturel.

• René Squarzoni
Les compétences encore trop brouillées
L’intervention de René Squarzoni, professeur en sciences de l’éducation mais également président de l’IRTS (Institut régional du travail social), clôturait la matinée.

René Squarzoni avait choisi pour thématique, "De l’harmonisation des interventions de la Région et du Département, à la gestion État/Région/Département à La Réunion". De par son expérience dans les Antilles et au Conseil économique et social régional, il a évoqué les difficultés de la décentralisation dans notre île au travers de « deux collectivités ayant le même territoire et devant intervenir simultanément ».

Les limites sont encore trop floues entre les deux structures : « il y eu une phase de compétition entre elles, de 1989 à 1993 ; puis ce fut l’harmonisation par la "paix des braves" d’Eric Boyer et Pierre Lagourgue ; enfin, de 1993 à 1997, c’est l’approfondissement de cette paix », a déclaré René Squarzoni. La phase de compétition de la Région et du Département s’est appuyée sur des journées à thèmes par le Conseil général (l’eau, l’artisanat, l’année des Communes en 88) pour rentrer en concurrence avec la Région, selon lui. L’harmonisation aura permis d’effectuer un toilettage modéré des compétences des collectivités, car certaines d’entre elles sont encore trop croisées (par exemple en agriculture, les productions végétales pour le Département, animales pour la Région etc.)

Des guichets uniques ont été mis en place pour favoriser cette unité de collaboration : l’AGORAH, le Comité régional du tourisme (CTR), la coopération régionale, AGIL.

Toutefois, le président de l’IRTS précise que ces décisions ont été prises de manière peu démocratique pour la création de ces instances. La bi-départementalisation aura posé le problème du couple Région-Département.

En clair, René Squarzoni estime que les compétences des collectivités sont encore trop brouillées, ce qui sera approuvé par une partie des participants. La résurgence de la problématique d’une assemblée unique en guise de solution s’est fait ressentir tout au long de la matinée, tout comme le rôle crucial que prennent les communautés d’agglomération. « La Réunion est le seul département » où toutes les communes font partie d’une telle structure de coopération, a relevé René Squarzoni

200% d’emplois en plus dans l’hôtellerie
La deuxième partie de la matinée a donné lieu au panorama touristique de La Réunion de 1982 à 2003. Ont participé à cet exposé Michel Boyer de l’IUP Tourisme Hôtellerie Transports et Pascal Porcel, hôtelier professionnel. L’occasion de présenter les avancées importantes des métiers et formations de l’hôtellerie à La Réunion comme la création d’emplois dans ce domaine, passant de 200% entre 1982 à 1998.

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