Décentralisation

La Réunion sur la voie des Antilles ou de la Corse ?

Le thème de la 4ème partie du colloque : "Autres modèles d’évolution statutaire"

6 septembre 2003

La quatrième et dernière partie du colloque organisé la semaine dernière par la Région et l’Université sur l’histoire et les perspectives de la décentralisation avait pour thème : ’Autres modèles d’évolution statutaire’. Avec trois communications : ’Pouvoir d’expérimentation et d’adaptation locales dans les départements d’outre-mer’ (Laurent Blériot), ’Les départements français d’Amérique, entre Nation et République’ (Thierry Michalon) et ’L’approfondissement de la Décentralisation, la Corse : les enseignements pour La Réunion’ (Wilfrid Bertile).

"Pouvoir d’expérimentation et d’adaptation locales dans les départements d’outre-mer" - Laurent Blériot

L’expérimentation est en fait une dérogation. Cet article, inscrit dans la Constitution et qui a fait l’objet d’une loi organique parue au "Journal Officiel" en août 2003 (voir le fac similé) , est ouvert à l’outre-mer. Mais quelle est la pertinence de cette ouverture ?
Toujours est-il que le principe de l’expérimentation a déjà été utilisé par l’État français lui-même, en menant des "expériences" limitées dans le temps (IVG, RMI...), avant une "généralisation", ou limitées territorialement. L’expérimentation a aussi été faite de manière "décentralisée", comme en Île et Vilaine en 1986, où le Conseil général a mis en place un complément local de ressources.
Néanmoins, « l’expérimentation reste l’apanage de l’État ». Elle restera strictement encadrée, non seulement quant aux objets sur lesquels portera l’expérimentation mais sur sa durée (5 ans, plus un an de transition et trois ans de "supplément") soit 9 ans maximum, période à l’issue de laquelle l’expérimentation peut soit être abandonnée soit généralisée.
C’est sur rapport du gouvernement au parlement que celui-ci prendra sa décision. Et c’est là que ce pose a question de la généralisation. Une expérimentation outre-mer peut-elle être généralisée et réciproquement ?
Si l’on conçoit la création d’un groupe expérimental "DROM" (département et région d’outre-mer), menant une expérimentation, le groupe restera néanmoins insuffisant pour permettre une réelle évaluation. D’autant plus que les conditions d’évaluation pourraient être faussées, au vu des conditions particulières des DOM ou COM. Resterait bien une solution : « une généralisation limitée ». Si rien dans la loi ne l’indique, rien, non plus, ne l’empêche.
En poursuivant la logique, Laurent Blériot explique que l’utilisation de ce droit à l’expérimentation peut être « une manière de contourner l’amendement Virapoullé ».

"Les Départements français d’Amérique entre Nation et République" - Thierry Michalon

L’universitaire en poste en Martinique s’est lancé dans une grand exposé pour expliquer comment Aimé Césaire, entre 1945 et 2002, a dit quelque chose et son contraire, essentiellement sur "l’assimilation" qui a découlé de la Départementalisation et qui a entraîné des phénomènes de déculturation. Ce mot "assimilation" ayant été connoté ou dénoté différemment, que l’on soit en Martinique ou à Paris.
Par ailleurs, ce statut de département a été donné à des populations qui, même si elles ne le demandaient pas, étaient "culturellement" françaises (à Saint-Pierre et Miquelon), mais refusé à des populations qui le voulaient mais qui n’étaient pas culturellement assimilées (à Mayotte).
Et aujourd’hui, selon lui, l’inscription des Antillais et plus spécialement des Martiniquais dans la logique de l’article 74 (collectivité) et non pas 73 (département). Ce qui serait « une revendication ambiguë » puisqu’elle « aurait un autre but que celui d’être satisfaite », mais serait un moyen « d’établir un rapport de force enfin favorable entre David et Goliath » (Martinique et France), serait également « puisqu’en situation de demande, un moyen de garder la pression » voire d’arriver à obtenir « la réparation tant attendue ».

• "L’approfondissement de la Décentralisation, la Corse : les enseignements pour La Réunion" - Wilfrid Bertile

La Corse pourrait-elle être un modèle d’évolution statutaire pour La Réunion ? Wilfrid Bertile a analysé, point par point, tant dans le domaine historique que géographique, culturel que social, politique que psychologique, ce qui caractérise chacune des deux îles.
Force est de constater que « La Réunion a des spécificités plus marquées que la Corse », et que si les différences sont énormes (éloignement plus important, évolution dans la société paysanne ou industrielle…), « les analogies ne manquent pas entre La Corse et La Réunion » : des « frustrations » nées de l’éviction des voies de développement des populations "locales" au profit de personnes extérieures.
Mais ces enseignements ne sont-ils pas à prendre, comme le soulignait l’universitaire, avec les regards critiques que portent les Corses eux-mêmes, notamment les élus - qu’ils appartiennent à "la droite" ou à d’autres partis - : la revendication de compétences partagées a-t-elle été satisfaite ? A-t-on trouvé le bon échelon de transfert des prises de décision ? Une communication qui mériterait d’être plus profondément publiée.

La loi organique sur l’expérimentation
« Art. LO 1113-1. - La loi qui autorise, sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales à déroger, à titre expérimental aux dispositions législatives régissant l’exercice de leurs compétences, définit l’objet de l’expérimentation ainsi que sa durée, qui ne peut excéder cinq ans, et mentionne les dispositions auxquelles il peut être dérogé.

« La loi précise également la nature juridique et les caractéristiques des collectivités territoriales autorisées à participer à l’expérimentation ainsi que, le cas échéant, les cas dans lesquels l’expérimentation peut être entreprise. Elle fixe le délai dans lequel les collectivités territoriales qui remplissent les conditions qu’elle a fixées peuvent demander à participer à l’expérimentation.

« Art. LO 1113-2. - Toute collectivité territoriale entrant dans le champ d’application défini par la loi mentionnée à l’article LO 1113-1 peut demander, dans le délai prévu à l’article précédent, par une délibération motivée de son assemblée délibérante, à bénéficier de l’expérimentation mentionnée par cette loi. Sa demande est transmise au représentant de l’État qui l’adresse, accompagnée de ses observations, au ministre chargé des collectivités territoriales. Le Gouvernement vérifie que les conditions légales sont remplies et publie, par décret, la liste des collectivités territoriales autorisées à participer à l’expérimentation.

« Art. LO 1113-3. - Les actes à caractère général et impersonnel d’une collectivité territoriale portant dérogation aux dispositions législatives mentionnent leur durée de validité. Ils font l’objet, après leur transmission au représentant de l’État, d’une publication au Journal officiel de la République française. Leur entrée en vigueur est subordonnée à cette publication.

« Art. LO 1113-4. - Le représentant de l’État peut assortir un recours dirigé contre un acte pris en application du présent chapitre d’une demande de suspension ; cet acte cesse alors de produire ses effets jusqu’à ce que le tribunal administratif ait statué sur cette demande. Si le tribunal administratif n’a pas statué dans un délai d’un mois suivant sa saisine, l’acte redevient exécutoire.

« Art. LO 1113-5. - Avant l’expiration de la durée fixée pour l’expérimentation, le Gouvernement transmet au Parlement, aux fins d’évaluation, un rapport assorti des observations des collectivités territoriales qui ont participé à l’expérimentation. Ce rapport expose les effets des mesures prises par ces collectivités en ce qui concerne notamment le coût et la qualité des services rendus aux usagers, l’organisation des collectivités territoriales et des services de l’État ainsi que leurs incidences financières et fiscales.

« Chaque année, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport retraçant l’ensemble des propositions d’expérimentation et demandes formulées au titre de l’article LO 1113-2 que lui ont adressées les collectivités, en exposant les suites qui leur ont été réservées.

« Art. LO 1113-6. - Avant l’expiration de la durée fixée pour l’expérimentation et au vu de son évaluation, la loi détermine selon le cas :

« - les conditions de la prolongation ou de la modification de l’expérimentation pour une durée qui ne peut excéder trois ans ;

« - le maintien et la généralisation des mesures prises à titre expérimental ;

« - l’abandon de l’expérimentation.

« Le dépôt d’une proposition ou d’un projet de loi ayant l’un de ces effets proroge cette expérimentation jusqu’à l’adoption définitive de la loi, dans la limite d’un an à compter du terme prévu dans la loi ayant autorisé l’expérimentation. Mention est faite de cette prorogation au Journal officiel de la République française.

« En dehors des cas prévus ci-dessus, l’expérimentation ne peut être poursuivie au-delà du terme fixé par la loi qui l’avait organisée.

« Art. LO 1113-7. - Le Gouvernement, agissant par voie de décret en Conseil d’État, autorise, sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales à déroger, à titre expérimental, aux dispositions réglementaires régissant l’exercice de leurs compétences. Ce décret contient les précisions mentionnées à l’article LO 1113-1.

« Les collectivités territoriales peuvent demander à bénéficier de l’expérimentation prévue par le décret mentionné à l’alinéa qui précède, dans les conditions et selon les procédures définies à l’article LO 1113-2. Les actes d’une collectivité territoriale dérogeant aux dispositions réglementaires sont soumis au régime défini à l’article LO 1113-3 et peuvent faire l’objet d’un recours du représentant de l’État dans les conditions exposées à l’article LO 1113-4. Le décret en Conseil d’État mentionné au premier alinéa précise les modalités d’évaluation des dispositions prises sur le fondement de l’autorisation.

« Le Gouvernement adresse au Parlement un bilan des évaluations auxquelles il est ainsi procédé.

« L’expérimentation ne peut être poursuivie au-delà de l’expiration du délai mentionné par le décret en Conseil d’État qui l’avait autorisée, si elle n’a fait l’objet, par décret en Conseil d’État, de l’une des mesures prévues à l’article LO 1113-6 ».

Au fil des débats
• Les propos du professeur Michalon n’ont pas manqué de susciter des réactions : pour Françoise Vergès, la revendication identiaire et culturelle, à La Réunion, ne s’exprime pas uniquement par la voie juridique.

• Pour Jean Saint-Marc, il y a eu « adhésion » des populations d’outre-mer « à une certaine idée de la France », « une idée de justice et d’émancipation », ce qui ne peut en rien être considéré comme une volonté d’être assimilé. Par ailleurs, faire jouer la peur - celle du largage - pour esquiver un débat ou comme "arme politique" est « un moyen lamentable ».

• Pour Samuel Mouen, « les citoyens sont les grands oubliés de la décentralisation ».


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