Une grande voix

Laurent, l’âme du rassemblement des Réunionnais

« Laurent, ta jeunesse rebelle vit en nous »

7 octobre 2003

Il y a quinze ans, le 7 octobre 1988, un violent accident de la route emportait le jeune député de La Réunion, Laurent Vergès, décédé le 12 octobre à l’âge de 33 ans.
Que peuvent bien savoir de lui aujourd’hui les Réunionnais de moins de vingt ans ? Savent-ils seulement qu’ils ont en lui, pour toujours, un guide souriant et sûr de ses combats contre les injustices, contre tous les racismes, contre les inégalités ? Un frère en rébellion, toujours dressé contre les formes les plus inacceptables d’un monde qui tourne à l’envers.
Comment ces jeunes d’aujourd’hui pourraient-ils retrouver, dans le tourbillon effréné de consommation en tous genres qui les fascine tant, le pas tranquille de celui qui, dans sa jeunesse arrêtée en plein vol, les invitait déjà à ne pas tomber dans les pièges les plus grossiers d’une société planétaire souvent décervelante, toujours déroutante ?

Un livre reste -"Laurent, jeunesse rebelle" [1] - qu’il est plus urgent que jamais de répandre dans la jeunesse, trop souvent révoltée, sans projet. Il parle d’une vie réunionnaise, d’un engagement conduit jusqu’au bout de ses forces, d’une vie de solidarités avec les peuples de la terre en lutte pour la justice et la liberté, d’un militant culturel et politique « amoureux fou de son pays »… et toujours sage lorsqu’il fallait trouver une traduction politique à une situation confuse.
Laurent Vergès, dans sa courte vie, a été militant aux côtés des habitants de Saint-André qui l’ont élu très largement dans le Conseil municipal, où le jeune homme a affronté un ténor de la fraude et ses hommes de main ; il a assumé la direction politique de notre journal, pour lequel il rêvait d’un avenir à la hauteur de son passé. Il a été élu dans le premier Conseil régional, puis à l’Assemblée nationale en octobre 87, après la démission spectaculaire de Paul Vergès et Élie Hoarau, et à nouveau le 5 juin 1988. Nul doute que s’il était encore parmi nous, le discours de dénigrement des élus réunionnais passerait sans l’ombre d’une hésitation pour ce qu’il est : une mauvaise rengaine d’impuissants politiques fascinés par des élus véreux.
Laurent ne mangeait pas de ce riz là. L’exemple qu’il a laissé auprès de nombreux jeunes vit encore chez beaucoup, comme le disent ici deux d’entre eux.
Aujourd’hui encore, il revient à ceux qui l’ont connu, qui ont combattu à ses côtés, de transmettre le sens de son engagement, la force de ses convictions communistes et de réaliser -pas seulement par fidélité à Laurent mais parce que c’est la seule voie possible pour La Réunion- le grand rassemblement politique dans lequel il rêvait d’entraîner le plus gros des forces vives du pays. Il ne fait aucun doute que si Laurent était encore parmi nous, il œuvrerait ardemment à ce rassemblement, qu’il appelait déjà de ses vœux il y a quinze ans, auquel il s’est dévoué sans compter et pour lequel il est mort.
Mais soyons sûrs aussi qu’il le ferait sans rien renier de ses convictions et de son héritage politique. Sans s’enfermer dedans non plus. Ce sont ses qualités d’ouverture et de force de conviction qu’il nous faut convoquer dans l’œuvre politique qui nous attend.

Johnny Samou-Aran, agent technique
« Un leader pour les jeunes… »
« Ma la koni a li trè pé, mé le pé ke moin la koni lété tré for. Lété tré pé, tré for… Pa asé alor ! » À 41 ans, Johnny Samou-Aran se rappelle ses brefs contacts avec Laurent Vergès comme s’il l’avait quitté il y a une semaine ou un mois. Il voyait en lui un « leader pour la jeunesse de La Réunion ». Une jeunesse jugée aujourd’hui « en perdition », c’est-à-dire en perte de repères… politiques et culturels surtout. « Laurent, sé la persone té pé fé bougé. Mi mazine la fèt "Témoignages" ke moin la vi étan pli zènn. Kan mi voi Salif Keita zordi, mi di mon bann zanfan :"moin la finn vi sa…" et zot i domann amoin koman. -Par la fèt "Témoignages" Laurent té i okip. Sé li la fé konèt amoin Cheb Kadèr, Salif Keita, Mory Kanté, Alpha Blondy… et d’autres ». Au passage, Johnny fait observer que
« [son] promié garson i port Laurent (apré Hadja) akoz li lé né le mois suivant la mort de Laurent Vergès ». Pour montrer que « la vie ne s’arrête pas ».

Il a aussi une autre raison de ne pas oublier ses contacts avec le jeune militant, de sept ans son aîné : c’était à propos des transformations imaginées pour le journal. « Il voulait rénover le journal "Témoignages". À l’époque, "le Réunionnais" venait de sortir et Laurent pensait qu’un nouveau "Témoignages" pouvait prendre sa place. Il le voyait "en couleur" et, connaissant ma passion pour le football, il m’avait demandé si je pourrais faire des chroniques sportives ». Allier le travail et passion… le jeune Johnny ne demandait pas mieux. Étroitement liée au projet de rénovation du journal, la question culturelle était une de celle dans laquelle Laurent Vergès était le plus impliqué. « C’était un défenseur de la musique réunionnaise… Il était toujours là pour la mettre en avant. Si mes enfants aiment tant Danyèl Waro, aujourd’hui, à travers moi, c’est un peu par la passion que Laurent m’en avait transmis », dit-il aussi. En d’autres occasions, les deux jeunes se sont retrouvés à Saint-Gilles : Johnny parce qu’il y a de la famille et Laurent parce qu’il y emmenait quelquefois la sienne en week-end. « Souvan nou té i kroiz mé lété pa pou parlé travay… Laurent, c’était quelqu’un qui se fondait dans toutes les situations… pas le genre à ne pas dire bonjour sous prétexte qu’il était en famille, non ! »
« Beaucoup d’espoir est parti avec lui », dit aussi Johnny. Beaucoup de ceux qui ont côtoyé le jeune député disent cela, encore aujourd’hui. En même temps, la fidélité à celui qu’ils ont tant admiré leur commande de ne pas se laisser aller à la nostalgie. « Laurent représente toujours pour moi le jeune qui ne veut pas se laisser embourber dans le laxisme et l’assistanat. Il faut montrer que Le Réunionnais a autant de qualité que les autres ». Son dernier message "Nou lé pa plis, nou lé pa moins, respèct’ anou" résonne encore aux oreilles de très nombreux Réunionnais, de tous âges.
« Il nous a montré la voie à suivre et je ne l’oublierai jamais ».

Monica Govindin :
« Laurent Vergès a marqué La Réunion »
« Vu mon âge, je ne l’ai pas vraiment connu… Mais sa mort tragique m’a fait pleurer à chaudes larmes, alors que je ne connaissais rien à la politique. J’avais neuf ans et je voyais en lui un symbole des jeunes. Il était très loin de l’image du politicien… On le disait toujours très proche de la population, notamment à Saint-André mais aussi au Port, où j’ai toujours vécu et où j’entendais parler de lui dans ma famille. J’ai été marquée par sa mort. Mais aussi par des rapprochements que les gens ont fait devant moi pendant la campagne : à cause de ma jeunesse, du fait que je m’engage jeune dans la politique. Cela m’a fait chaud au cœur, même si je me disais que ce n’est pas possible. Laurent, c’est une grande figure, un symbole… Des Laurent, malheureusement, il n’y en a plus !
Il était entouré de gens qui menaient des batailles avec lui, mais quand c’était fini, il rentrait chez lui, la vie continuait et ce n’était pas quelqu’un qui s’entourait de gardes du corps. Il n’a pas pris la grosse tête non plus.
En politique, j’admire Huguette Bello pour ce qu’elle fait. Mais c’est vrai aussi que j’admire toujours Laurent pour ce qu’il était. J’ai appris à connaître un peu mieux sa vie pendant ma campagne. Il avait un charisme auquel ne pouvait être comparé aucun autre jeune de sa génération. Jusqu’à aujourd’hui, je me demande ce qu’aurait été La Réunion s’il était toujours là. Je pense que beaucoup plus de jeunes auraient été entraînés dans la politique, avec l’envie de prendre en main le destin de leur pays. Beaucoup de ceux qui l’ont côtoyé ont été effondrés à sa mort et je me suis souvent demandée comment j’aurais réagi si j’avais eu en 88 l’âge que j’ai maintenant.
Il avait une façon d’attirer les gens à lui… Il était jeune mais il était grand à la fois. Je garde de lui l’image d’un "grand Bouddha" comme on en voit dans les temples, en Asie. Je pense qu’il a marqué l’esprit des Réunionnais qui l’ont connu, de quelque bord politique qu’ils soient. Personne ne peut oublier cela.
Je ne peux pas oublier non plus la dernière phrase prononcée par Paul Vergès pour l’inauguration de l’école des Beaux-Arts, rappelant ce qu’a dit Laurent à la tribune de l’Assemblée nationale. J’ai senti dans l’émotion perceptible toute la force des sentiments du père, mais aussi quelque chose qui parlait de leur filiation politique. Laurent tenait beaucoup de son père en politique. Je suis en train de lire la biographie de Raymond Vergès et en découvrant ce qu’a été son enfance, j’ai compris l’engagement politique du "père de la loi de 1946". Laurent a beaucoup été ce qu’il était par rapport à son milieu familial.
Laurent a marqué La Réunion. Ce serait tellement beau et juste que les gens arrivent à se rassembler comme quand il était là. Que les jeunes d’aujourd’hui fassent comme les jeunes d’avant, sans pour cela se faire accuser d’être "manipulés".
C’est bien d’avoir donné son nom au parc boisé. Quand je fais visiter la ville, je donne toujours le nom entier du Parc "Fonnkèr Laurent Vergès" et j’explique pourquoi. Si les gens d’ici connaissaient un peu mieux leur Histoire, ils ne feraient pas au Parc boisé la réputation qui lui est faite… surtout par des gens extérieurs au Port à mon avis.
C’est bien d’avoir donné le nom de Laurent à un Parc mais il faut aller plus loin… Parce que c’était un grand homme ».
Laurent Vergès

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