Histoire

Le précédent de la grotte de Saint-Paul

À propos de lieux réunionnais débaptisés

22 avril 2003

Tout ce que La Réunion compte de personnes sensées se félicitera de la décision du maire du Tampon de surseoir à son intention de débaptiser la Plaine des Cafres en "Plaine des Volcans". Étant perçue comme portant atteinte à l’Histoire de notre pays et à la dignité de son peuple, l’initiative a très rapidement soulevé protestations et contestations.
Il est heureux que la raison l’ait emporté. Ce ne fut pas toujours le cas.
Au début de l’année 1965, l’idée était lancée par la Préfecture, le Conseil général et la Mairie de Saint-Paul de célébrer avec faste le "tricentenaire du peuplement de La Réunion". Toute une série de manifestations - dont une "reconstitution historique" - avait été programmée pendant huit jours à Saint-Paul pour le début octobre. Un crédit de 20 millions de francs CFA - somme énorme pour l’époque - avait été débloqué pour l’opération.
Il s’agissait donc de célébrer l’arrivée dans l’île, en 1665, d’Étienne Regnault et de ses compagnons et de marquer l’événement comme étant le début du peuplement de La Réunion.
Mais l’opération cachait une manipulation.
En effet, le 23 septembre 1965, "Témoignages" débutait une campagne où il dénonçait un « tricentenaire raciste » basé sur un tripatouillage historique. Les premiers à avoir habité l’île ont été les douze Français qui avaient été exilés pour s’être révoltés à Fort-Dauphin. Ils sont restés à Bourbon de 1646 à 1649. Ils furent suivis, de 1654 à 1658, par Couillard et ses compagnons. Mais les premiers véritables habitants de l’île, ceux qui y mirent pied et y sont restés ont été les dix Malgaches - sept hommes et trois femmes - qui arrivés avec deux français (Payen et son compagnon) en 1663 y sont restés. Payen et son compagnon, dont le nom n’est pas resté dans l’Histoire, sont repartis en bateau avec Étienne Regnault.
La campagne de "Témoignages" obligea l’ex-ORTF à interroger l’archiviste départementale, qui aida à rétablir la vérité.
Mais les cérémonies eurent lieu quand même. On a ré-écrit le scénario de la "reconstitution historique". Selon celui-ci, Étienne Regnault et ceux qui l’accompagnèrent étaient censés avoir été accueillis, à leur arrivée, par Payen, son compagnon et les dix Malgaches qui étaient avec eux. Or, ces derniers, dès leur arrivée dans l’île, s’étaient sauvés et devinrent les premiers marrons de l’île.

Deux raisons essentielles

En pleine lutte contre les thèses autonomistes du PCR, le pouvoir n’avait donc pas hésité à monter toute cette manipulation pour deux raisons essentielles :

- la première consistait à gommer de la mémoire collective un fait historique essentiel : dès son premier peuplement, l’Histoire de l’île est traversée comme un fil rouge par l’esprit de révolte ; le premier geste des esclaves malgaches accompagnant Payen avait été de se sauver et de gagner le cœur de l’île pour y devenir des marrons ;

- la seconde motivation des initiateurs des fêtes du tricentenaire était de faire la démonstration du caractère français de La Réunion dès son premier peuplement ; il fallait à tout prix marquer que les premiers habitants de l’île à titre définitif ont été des personnes venues de France.
Il est resté une trace de cette manipulation.
Lorsqu’ils arrivèrent à Bourbon en 1646, les douze exilés de Fort-Dauphin se sont installés sur la côte saint-pauloise dans une grotte. C’est celle qui se trouve en face du cimetière marin de la grande commune de l’Ouest et dont les alentours sont devenus une aire de pique-nique très appréciée. Cette grotte fut baptisée du terme de "Caverne des 12 exilés". C’est ainsi que les vieux saint-paulois l’appelaient et c’est sous cette appellation qu’elle apparaissait dans les livres d’Histoire. En 1965, il fut décidé, dans les fastes du tricentenaire, de la débaptiser et de lui donner le nom de "Grotte des premiers Français".
Cette terminologie, qui ne respecte pas la vérité historique, est restée. Un groupe célèbre de musiciens de l’époque, les Jokary, à qui il fut commandé une chanson de circonstance, avait composé un séga intitulé "Ville Saint-Paul". On y chante le tricentenaire, les « premiers zorèy la débarqué » qui auraient « cassé ce que l’on appelle la grotte des premiers Français » (sic !)
Le moment est-il venu de rétablir la vérité ?

Une tribune libre du G.R.A.H.TER

Pour une archéologie préventive à La Réunion

Le paysage archéologique réunionnais est relativement bien pauvre, en comparaison de ce qui se fait dans les autres départements d’outre-mer, ou en France continentale.

Ce constat vient du manque évident de structures mises en place dans l’île. L’archéologie réunionnaise naissante, comme le démontrent les récentes recherches (revue "Archéologia" n°279), reste bien fragile.

En effet, face au développement urbain intense du monde actuel, rien ne prépare La Réunion à la conservation de son patrimoine archéologique.

Une archéologie préventive serait, à bien des égards une solution, à ne pas négliger devant les risques de saccages des sites témoignant de notre Histoire. La prévention s’avère nécessaire, pour protéger ces richesses. Dans une situation d’urgence, l’archéologie préventive pourrait sauvegarder des sites en danger.

Effectivement, les sites archéologiques sont menacés de disparaître sous les coups des tractopelles, si aucune surveillance n’est assurée lors des travaux publics.

Alors que l’archéologie préventive est systématique dans les autres départements, son inexistence semble ne déranger personne sous nos latitudes.

Le manque de sensibilisation des Réunionnais à leur patrimoine culturel dans ce domaine en est la principale raison. L’insuffisance de publications est la preuve évidente de cette absence d’intérêt.

Les librairies de notre île ne disposent malheureusement pas de revues ou de livres sérieux concernant l’archéologie. Alors que des revues comme "Archéologia" ou "Les Dossiers de l’archéologie" du même éditeur peuvent être trouvées dans tous les kiosques à journaux en France, La Réunion reste quant à elle dans l’ignorance de cette littérature.

L’ignorance est le mal contre lequel il nous faut justement lutter, si nous ne voulons pas être relégués au rang de département le "moins cultivé de France".

Le danger réside ici dans l’appauvrissement de nos réflexions sur notre propre culture et spécificités. Il est en effet plus probable que nos concitoyens soient plus au fait des derniers "tubes" américains en vogue que de ce qui se passe actuellement sur leur sol.

Nous avons la chance d’avoir deux jeunes archéologues Réunionnais qui viennent de s’installer définitivement dans notre île. Il serait bon que le pouvoir public, les collectivités territoriales, fassent appel à eux, dans le cadre de l’archéologie préventive, avant les grands travaux.

Marc Kichenapanaïdou,

Président du G.R.A.H.TER

(Groupe de Recherche sur l’Archéologie

et l’Histoire de la TErre Réunionnaise)


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