Social

Le rectorat occupé

Colère des fonctionnaires de l’Éducation nationale

9 avril 2003

Une grande partie des collèges et des lycées de La Réunion a été paralysée hier par un mouvement de grève du personnel enseignant et non enseignant. Les grévistes protestent contre le projet du gouvernement de transférer une partie du personnel dans les collectivités territoriales et contre le projet d’alignement des retraites du secteur public sur celles du privé. Une partie des grévistes a passé la nuit d’hier à aujourd’hui dans les locaux du rectorat à Saint-Denis. Selon le rectorat, une quarantaine d’établissements - sur la centaine que compte l’île dans l’enseignement du second degré - étaient fermés hier. Les syndicats annonçaient, eux, que les deux tiers des collèges et lycées étaient paralysés. Le mot d’ordre de grève a été lancé lundi par l’intersyndicale CGC, CGTR, SGEN-CFDT, UNSA, FO et FSU. Le jour même, les personnels ATOS (agents techniciens et ouvriers de service) de plusieurs établissements du second degré ont cessé le travail, souvent soutenu par les enseignants.

« Défendre nos missions »

Mais c’est hier que le mouvement a pris toute son ampleur. Après avoir tenu des rassemblement devant leurs établissements, dès 9 heures, des délégations de grévistes venues de plusieurs communes de l’île se sont rassemblées à Champ-Fleuri à Saint-Denis. En fin de matinée, les grévistes se sont rendus au rectorat et ont immédiatement occupé les locaux dans une ambiance plutôt bon enfant.
« Nous ne sommes pas là pour défendre notre statut, mais nos missions », soulignait Gilbert Romain, porte-parole de l’intersyndicale. Il faisait référence à l’annonce faite le 28 février dernier par le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, « sans concertation et sans dialogue », du projet du gouvernement de transférer les personnels ATOS de la fonction publique d’État à la fonction publique territoriale.
Ces agents, selon qu’ils travaillent dans les collèges ou dans les lycées, relèveront alors de la compétence du Conseil général ou du Conseil régional.

« Démantèlement »

« Cela s’apparente à un démantèlement du service public de l’Education nationale et ce n’est que le début puisque à terme ce sont les enseignants eux-mêmes qui seront transférés vers les collectivités territoriales », affirmait Gilbert Romain.
De plus, en cas de transfert, les agents en poste continueraient à percevoir des salaires indexés à la hausse par rapport à ceux de leurs homologues de métropole, mais ce "plus" disparaîtrait à leur départ à la retraite. Ce qui n’est pas le cas pour les agents de la fonction publique d’État qui, eux, perçoivent une pension indexée.
Les retraites de la fonction publique et le projet gouvernemental d’aligner leur régime sur celui du privé sont le second motif de mécontentement des grévistes. En effet, si la réforme est adoptée, les fonctionnaires comme les salariés du secteur privé devraient cotiser 40 ans et non plus 37,5 ans pour avoir droit à une retraite à taux plein.

« Absence de concertation »

En début d’après-midi, le recteur Christian Duverger rencontrait les représentants de l’intersyndicale. À l’issue d’un entretien de trois quarts d’heure, il s’adressait brièvement aux grévistes réunis dans le hall du bâtiment. « Le recteur que je suis ne peut rester insensible aux marques d’attachement que vous manifestez vis-à-vis du service public », disait-il avait de souligner : « il est vrai que la situation est difficile dans la mesure où l’absence de concertation avant l’annonce du projet de transfert nous a démuni de notre pratique habituelle de dialogue ».
Dès lors, c’est devant un auditoire conquis que le recteur poursuivait : « il y a un déficit évident de communication. Nous avons à construire ensemble un dialogue pour faire bouger le dossier et je suis votre relais auprès du gouvernement pour protéger le service public ».
Une partie des manifestants a passé la nuit dans les locaux du rectorat. Les syndicalistes ont annoncé qu’ils allaient durcir leur mouvement - « nous pourrons même aller jusqu’au boycott des examens » -, et le poursuivre tant que le gouvernement n’aura pas retiré le projet de transfert.
L’IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) a déposé un préavis de grève illimitée à partir d’aujourd’hui.

La F.C.P.E. « appelle tous les parents à soutenir les revendications des acteurs du système éducatif »
Dans un communiqué publié hier, la FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves) rappelle que « son projet éducatif est ancré sur des valeurs qui sont : l’école de la République qui doit offrir la réussite pour tous dans un service public de qualité ; la gratuité, la tolérance et la fraternité. L’école est un des lieux importants dans la formation des futurs citoyens ». Sous la signature de son président Hervé Lauret, la FCPE rappelle que « parmi ses propositions, l’école publique doit être la priorité de l’État ».
La FCPE « réaffirme le rôle essentiel du service public dans un monde régi par les lois du marché. L’État a l’obligation de permettre l’accès de tous à l’école publique par l’ouverture et le maintien d’écoles et d’établissements partout sur le territoire, le développement du service public d’éducation dans les zones défavorisées et la modernisation de l’école en milieu rural ». « La réussite des jeunes passe entre autres par de bonnes conditions d’études », ajoute la FCPE, qui demande : « des effectifs réalistes, des programmes raisonnables, des moyens suffisants ».
« Le service public permet d’assurer l’égalité d’accès de tous les citoyens à la santé, à l’éducation, à la justice, à la culture, aux transports... en tout point du territoire métropolitain et d’outre-mer », poursuit la FCPE qui « s’inquiète que le projet de décentralisation de l’éducation que propose le gouvernement nuise gravement aux chances de réussite des élèves ».
La FCPE « s’élève contre ce projet qui vise à la dislocation du service public et à la division des moyens, alors qu’il faut au contraire renforcer le service public et amplifier les moyens éducatifs ». L’organisation des parents d’élèves dénonce « cette désorganisation du corps des fonctionnaires, la remise en cause des procédures de mutation et la diminution considérable prévisible des fonctionnaires, dont le manque en effectif est déjà criant, alors qu’aucune certitude n’existe actuellement sur le subventionnement par l’État du coût des nouveaux fonctionnaires à recruter dans son projet de décentralisation, devant la remise en cause du statut des enseignants ».
En conclusion, la FCPE dit « non à une école à plusieurs vitesses, non à la rétrogradation de la mission des enseignants, non au désengagement de l’État dans son obligation d’assurer sa mission d’éducation ».
C’est pourquoi la FCPE « appelle tous les parents à soutenir et à participer à toutes les formes d’actions légales de revendications organisées par les acteurs du système éducatif » et elle « assure de sa solidarité l’ensemble des organisations qui luttent pour un service public de qualité ».
Échos de la grève
Collège les Alizés de Sainte-Clotilde

« Les personnels du Collège les Alizés, réunis en assemblée générale ce mardi 8 avril à 13 heures 30, s’opposent fermement aux transferts des personnels annoncés par le Premier ministre, malgré les promesses de notre ministre de l’Éducation nationale, et décident donc d’entamer un mouvement de grève pour la journée du mercredi 9 avril. Cette grève pouvant être reconduite ».

Lycée de Bras Fusil à Saint-Benoît

« Les personnels du lycée polyvalent de Bras Fusil à Saint-Benoît réunis ce mardi 8 avril à 10 heures 30 en assemblée générale décident de se mettre en grève reconductible à compter du mercredi 9 avril. Une nouvelle assemblée générale aura lieu mercredi 9 avril à 7 heures 30 ».

Lycée Lislet Geoffroy à Saint-Denis

« Sur 50 enseignants présents à l’assemblée générale ce mardi 8 avril à 17 heures 30 au lycée Lislet Geoffroy, 37 ont voté pour une action de grève reconductible à partir du mercredi 9. Motifs : décentralisation et retraite. Il se tiendra une nouvelle assemblée générale ce mercredi matin à 8 heures pour définir des actions, mais surtout pour expliquer aux parents et aux élèves les raisons de cette grève. Le mouvement n’est pas seulement propre à La Réunion.
En effet, dans l’Académie de Rouen, environ 800 enseignants grévistes ont formé une chaîne humaine sur le pont de Tancarville mardi matin 8 avril à 11 heures pour protester contre les fermetures de classes (92), de postes de remplaçants ZIL (27) et contre les menaces sur l’Éducation nationale (décentralisation etc ...). Une manif est prévue à 15 heures du rectorat à l’inspection académique où l’IA devrait recevoir les syndicats et la FCPE (enfin peut-être, après de multiples demandes...) »
. (Éric Hoarau, enseignant au lycée Lislet Geoffroy)

Collège Joseph Suacot de Petite Île

« Les professeurs et la conseillère principale d’éducation du collège Joseph Suacot de Petite Ile, réunis en assemblée générale, ont voté à une très large majorité une grève reconductible quotidiennement à partir du mardi 8 avril 2003 (pendant laquelle ils se réuniront tous les jours dans l’établissement pour décider des actions à mener mais n’accueilleront pas les élèves). Par cette grève, ils s’opposent au désengagement de l’État en matière d’éducation, aux dangers qui menacent le statut de la fonction publique, à la remise en cause des retraites ». (communiqué de l’ensemble des professeurs et la CPE)


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