Nou lé kapab

Le respect des anciens : un atout important des Réunionnais

Au moment où la société française révèle ses graves carences à l’égard des personnes âgées

28 août 2003

La canicule meurtrière en France a agi comme un révélateur du type de société qui se construit là-bas. Elle a mis en évidence la façon indigne dont sont traitées les personnes âgées en France, que cela soit au niveau du lien social et familial ou au niveau du pouvoir politique. La Réunion, même si elle est confrontée à l’influence dominante du libéralisme dans sa vie quotidienne, montre que les anciens ont tout à fait leur place dans la société du 21ème siècle. Les Réunionnais, que les médias dominants présentent le plus souvent de la pire des façons, ont gardé leurs traditions de solidarité, notamment à l’égard des personnes âgées. Ces valeurs de notre société sont un trésor à cultiver.

La récente canicule en France a provoqué une catastrophe sanitaire d’une rare ampleur : selon différentes estimations, au moins 10.000 personnes sont mortes faute de moyens préventifs et de soins appropriés. Des femmes et des hommes âgés en grande majorité.
Plusieurs facteurs sont avancés pour expliquer une telle hécatombe. Certains, comme Albert Jacquard (voir "Témoignages" d’hier), mettent en évidence les faiblesses d’une société où le profit, le chacun pour soi et la compétition sont des valeurs dominantes. Dans cette société, on considère que les personnes âgées ne sont plus suffisamment performantes pour créer de la richesse matérielle, elles sont alors condamnées à mourir seules chez elles ou alors oubliées par leurs proches dans des maisons de retraite.
En effet, la compétition - ou loi de la jungle - mise en valeur par la loi du marché de la société libérale a aussi pour conséquence de distendre les liens familiaux. Ce sont les valeurs dominantes d’une société - l’argent-roi et le chacun pour soi - qu’il est nécessaire de changer. Sans quoi, avec l’augmentation de la fréquence de ce type d’événement climatique, une telle catastrophe peut se reproduire.

Chute des crédits pour les personnes âgées

Pour d’autres, la responsabilité du gouvernement est engagée. Avant de rencontrer mardi le Premier ministre, le Syndicat national des établissements privés pour personnes âgées a rappelé que dès le mois de mars, il a prévenu le gouvernement de la situation alarmante dans laquelle se trouvent de nombreuses maisons de retraite.
Le gel des crédits pour ces établissements est à l’origine d’un important sous-effectif, alors que la France est déjà en retard sur ce dernier point par rapport à plusieurs pays européens de même importance. Mais en mars, le gouvernement était resté sourd à ces appels.
Le gouvernement a également diminué les montants de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) versée aux personnes âgées dépendantes. Sous la signature d’Eugène Rousse, "Témoignages" avait consacré plusieurs articles à ce problème, qui allait avoir des conséquences graves selon leur auteur.
Par ailleurs, dans le domaine des dépenses de santé, la tendance est aux restrictions depuis plusieurs années. Ce qui ne permet pas de recruter et de former suffisamment de personnel. Les hôpitaux ont été submergés par l’arrivée de patients victimes de la canicule. À force de tirer sur la corde, elle finit un jour par casser. C’est ce qui vient de se produire dans le pays où le système de santé est pourtant considéré par beaucoup comme une référence internationale.

Vieillissement de la population

La catastrophe vécue par la France concerne également La Réunion. Même si la situationt est actuellement différente.
En effet, sur un plan démographique, la tendance est à un vieillissement de la population dans notre île. Si, lors du dernier recensement de 1999, les moins de 20 ans représentaient 40% des Réunionnais et les plus de 60 ans 9,8%, dans vingt ans la réalité sera très différente.
Grâce aux luttes menées par plusieurs générations de Réunionnais, la situation sanitaire actuelle n’a plus rien à voir avec ce que l’on connaissait au début de la départementalisation. Conséquence : l’espérance de vie augmente. Et, selon l’INSEE, près de 16% des Réunionnais auront plus de 60 ans en 2020. Ils seront alors 150.000 contre 70.000 en 1999.
Cela signifie que sur un plan démographique, les personnes âgées représenteront chaque jour une part de plus en plus importante des Réunionnais, et à long terme, elle pourrait être égale à la part actuelle des plus de 60 ans en France. Cela amène à se poser une question : une catastrophe sanitaire comparable à celle qu’a vécue récemment la France est-elle possible à La Réunion ?
On remarque que depuis déjà de nombreuses années, les modes de vie à La Réunion tendent à imiter ceux des pays européens. Ainsi, dans les logements que l’on construit aujourd’hui, le manque d’espace amène à ne pas toujours prévoir une place pour le grand-père ou la grand-mère, alors qu’auparavant, les personnes âgées vivaient souvent dans la même cour que leur famille. On doit alors tenir compte de l’équipement de notre pays en structures de prise en charge pour personnes âgées.

Un rattrapage

En effet avec l’allongement de l’espérance de vie, plus l’âge avance, plus on risque d’être dépendant. Et si la famille de la personne âgée n’a pas les moyens de veiller sur elle, alors elle a besoin que des structures existent pour lui venir en aide.
Selon l’Observatoire du développement de La Réunion (ODR), « La Réunion connaît un déficit par rapport aux autres régions françaises, que ce soit dans son équipement en structures d’hébergement, en structures médicalisées ou en services de soins à domicile ».
Quand on sait que les représentants des maisons de retraite en France ont besoin d’un plan de rattrapage urgent - de l’ordre de 7 milliards d’euros sur plusieurs années, selon eux - (voir "Témoignages" d’hier), cela donne une idée de la mesure de l’effort nécessaire à La Réunion. Et avec le vieillissement de la population, « l’augmentation du nombre de personnes potentiellement dépendantes viendra accentuer cet écart structurel », précise l’ODR.
Cela veut dire que plus le temps passera, plus le retard sur la France se creusera. Or la France n’est pas au niveau d’autres pays européens comparables à elle dans ce secteur. Cela signifie que pour garantir aux personnes âgées de La Réunion la même dignité qu’à ceux de l’Union européenne, le gouvernement devra assumer ses responsabilités afin de combler cet écart.

Ne pas oublier les anciens

Reste à savoir dans quelle mesure l’impact de la domination du libéralisme va changer les modes de vie à La Réunion, et notamment la perception que l’on se fait des personnes âgées.
Aujourd’hui, on remarque que les Réunionnais sont davantage attachés à leurs anciens que les Occidentaux. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette spécificité. Sur un plan historique, géographique et culturel, La Réunion est un pays du Sud. Et dans ces pays, contrairement à ce qui se passe dans certains pays dits développés, les personnes âgées ne sont pas vues comme improductives et reléguées hors de la société.
À La Réunion, les anciens sont généralement considérés comme des puits de sagesse, porteurs d’expérience et de mémoire historique, relais de la tradition orale. Ils sont respectés car on reconnaît encore véritablement que toute leur vie ils ont travaillé pour que leurs enfants aient des conditions d’existence moins difficiles que celles qu’ils ont connues dans leur jeunesse.
Dès leur plus jeune âge, les Réunionnais sont également habitués à fréquenter quotidiennement leurs grands-parents, car les familles sont élargies, c’est le phénomène de la cour. Même si certains n’ont pas les moyens de prendre leurs vieux parents devenus dépendants avec eux, ils leur rendent visite à la maison de retraite. Et la culture du respect des anciens est profondément ancrée à La Réunion. Ce qui laisse à penser que malgré le vieillissement de la population, on peut rester optimiste. À condition d’être vigilant et de continuer à cultiver ces valeurs de solidarité avec les anciens.
Ce qui est loin d’être le cas en France. Nombreuses y sont les personnes âgées qui, placées dans des centres d’accueil par leurs enfants, ne bénéficient ensuite d’aucune visite. Ce qui montre que donner une place aux anciens dans la société est une valeur en voie de disparition.

Un apport culturel important

Sur ce plan, l’apport culturel des Réunionnais au monde est essentiel. Car même si les valeurs de compétition véhiculées par la société de consommation prennent chaque jour davantage le pas sur les autres, aidées en cela par les messages martelés dans les médias, le respect de la personne âgée est quelque chose de bien réel à La Réunion.
D’ailleurs, un fait est révélateur. En France, des centaines de défunts sont abandonnés dans des morgues ou dans des entrepôts frigorifiques. La plupart ont une famille, mais aucun parent ne veut s’occuper des obsèques. Et ils seront probablement enterrés sur réquisition de l’État, sans qu’un dernier hommage ne leur soit rendu par leurs proches.
C’est une situation inimaginable à La Réunion. Si un Réunionnais vient à décéder et s’il a une famille, une veillée mortuaire sera organisée. Il ne viendrait pas à l’idée d’un Réunionnais de laisser sa mère ou son père des jours entiers dans la morgue d’un hôpital sans s’en occuper. Le respect de la personne âgée reste un des fondements de la société réunionnaise, c’est un atout important que nous pouvons, au même titre que les autres peuples du Sud, apporter aux pays européens.


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