Psychologie et société

Le rêve en psychanalyse au quotidien

Le rêve réunionnais et l’existence : une tribune libre de Jean-François Reverzy - 3 -

22 août 2003

Comme l’énonçait Sigmund Freud, le rêve est la voie royale qui ouvre les portes de l’inconscient à l’analyste. Il ouvre et tourne les pages d’un livre du sujet et des objets du transfert.
La qualité d’un travail d’analyse se repère autour de ces trois critères fondateurs que sont l’élaboration du transfert, l’énonciation des rêves et des rêves de transfert, et enfin la libre association, soit le fait que l’analysant assume pleinement une liberté totale de parole - au-delà de tous les contenus logiques.
Après bientôt vingt ans de pratique analytique et la conduite de cures de sujets réunionnais de souche ou de métropolitains fixés à La Réunion, je confirmerais ici l’importance du rêve tel que l’approchèrent les pères de la psychanalyse ou Octave Mannoni.

Beaucoup de ces récits - reconstruits par les analysants - traduisent un univers symbolique. Un univers où se tisse ce lien subtil dans cet espace intermédiaire ou interstitiel entre les êtres humains dans lequel se joue la fonction première de la parole, cette "Aïda" chère au phénoménologue japonais Bin Kimura [1].
L’Aïda fait aussi lien entre le corps propre - et ses langages biologiques -, le monde et son économie, et le sujet parlant. Le parlêtre de la personne, pour reprendre le terme introduit par Jacques Lacan dans son devenir.

À La Réunion, les avatars du rêve et de son interprétation sont pluriels. Pour les uns, ils mettent souvent en scène - comme chez Mannoni - le politique. On y retrouve des espaces symboliques - balances et usines - et les figures politiques du temps : Vergès, Lagourgue, Debré et quelques autres.
Pour les autres, on retrouve les symboles abyssaux et archétypaux : déferlantes et baleines, volcans, figures de déesses éruptives précédant les cyclones ou les catastrophes. Souvent, bien des Réunionnais y appréhendent confluences et énigmes, prémonitoires des avatars de la vie courante.

Deux temps forts peuvent être ici évoqués. Le premier est ce rêve singulier dont l’auteur identifie un territoire insulaire mythique, "Leïla, l’île brigadée". Deux signifiants scandent le parcours du rêveur : Leïla, à la fois le nom d’une de ses patientes (il s’agissait d’un médecin) et d’une de ses collègues d’origine maghrébine, mais aussi la figure emblématique de la légende arabe et sa face nocturne en relation avec la folie de Majnoun.
Le territoire initial est continental et désertique : un bout de Sahara où se joue une sorte de roman d’espionnage. Le désert devient ensuite une île peuplée de colons erratiques. Ce ne sont pas des brigands mais des brigades et ce mot devient avec insistance le leitmotiv de l’île et de sa langue : cette île est celle de la brigade et se brigader (le sens du terme français a disparu) désigne dans le contenu de ce rêve un acte de liberté par lequel on est ensemble et libre dans une symétrie du marronnage des temps esclavagistes.
"Brigader" est aussi proche de "bigarré", de "bizarre" et de "bigarade", et inverse la figure d’organisation militaire des temps anciens. Le rêveur associe ce terme aux nominations premières de La Réunion ou de l’île Maurice par les navigateurs arabes. "Dina Morgabin" ou "Dina Arobia", l’île inhabitée.

L’autre citation onirique est extraite d’un travail de groupe accompli dans un service hospitalier et que l’animatrice avait focalisé sur le thème : "Raconter et écrire un rêve important pour vous".
Une patiente évoqua alors un rêve blanc, où revenait l’ombre d’une parente disparue et dont le deuil difficile était au centre de sa souffrance actuelle qui l’avait conduite à l’hôpital.
L’énonciation collective du rêve, son partage par les autres membres du groupe amenèrent ensuite la rêveuse à ce commentaire suivant : « Cette séance m’a libérée, quasiment guérie, car à la différence d’une séance de psychothérapie individuelle, j’ai pu sentir là avec les autres ce partage de ma souffrance essentielle, de la parler ensemble ».

Aux Réunionnais et à nos lecteurs donnons ce conseil fraternel :
Ne rêvez donc plus devant les écrans. Il y a bien mieux en vous. Un trésor.
Retenez vos rêves ! Lisez et relisez leurs leçons, leur réalité est à votre portée et le temps inversera son cours...!
C’est en vous que dort la connaissance surréelle... antécédente, palingénétique, lémurienne…

(Fin)


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