Décentralisation

Les conseillers généraux : oui, mais....

Le projet de loi soumis aux deux assemblées réunionnaises

28 août 2003

Réunis hier matin en assemblée plénière, les conseillers généraux ont étudié le projet de loi du gouvernement sur la décentralisation. Le groupe des élus progressistes a déposé deux motions (voir encadré). Celles-ci n’ont pas été adoptées mais elles ont permis de placer immédiatement le débat sur l’un des points essentiels : le transfert financier.
Certes, il y a bien quelques discordances entre élus du Conseil général quant à la répartition des compétences entre Région et Département. Ou des légers désaccords quant aux propositions gouvernementales sur quelques transferts de compétences. Mais cela n’appartenait pas réellement au débat, en quelque sorte, celui s’étant focalisé sur la question financière.
Peut-être aussi parce que les conseillers généraux ne se faisaient guère d’illusion, parce que « la cause était entendue », pour reprendre l’expression d’Alain Armand. En clair, que le gouvernement ne s’arrêtera pas sur un avis, même négatif, d’élus du Conseil général réunionnais. Voire de Réunionnais, puisque la même position avait été développée au Conseil économique et social régional (CESR). À noter qu’à aucun moment les conseillers généraux appartenant à la majorité présidentielle n’ont répondu à cette prise de position.

Transferts, rattrapage...

Ibrahim Dindar a, selon son habitude, tenu un réquisitoire pathétique contre le PCR et ses responsables (et aussi le PS, cette fois), sans bien sûr, les citer une fois. Est-ce que la remarque de Jean-Jacques Morel sur la « nécessité de dépasser les querelles partisanes » lui était adressée ? Très probablement.
Toujours est-il que si la nécessité de la décentralisation a été soulignée par tous, pour ce qu’elle a permis dans le passé et ce qu’elle peut permettre dans l’avenir, ses modalités d’application sont sujettes à caution. « On ne peut pas accepter de décentralisation sans moyens financiers » (Daniel Tholozan). Rien ne sert de discuter "argent" aujourd’hui car « nous aurons à nous prononcer au moment de la discussion sur la loi de finances » (Jean-Marie Virapoullé). « On ne peut pas accepter la décentralisation sans tenir compte du rattrapage » (Clovis Pavaye). « Il n’y aura pas de transferts de compétences s’il n’y a pas les moyens financiers nécessaires » (Serge Camatchy).
Tous, sans exception, mais à des degrés différents, ont donc souligné l’importance de cette question financière. « Il y a eu consensus dans les commissions pour dire que le transfert n’est pas possible sans remise à niveau par rapport aux départements métropolitains », expliquait Jean-Claude Ramsamy.
Ce consensus n’était pas si clairement affiché en séance plénière. Car, vraisemblablement, la majorité était gênée aux entournures ; un peu coincée entre sa croyance (et sa fidélité) politiques et sa vision réunionnaise des choses. Cela s’est nettement fait sentir tout au long des discussions au vu de l’argumentaire développé.

Aux parlementaires...

Le recours aux parlementaires a été proposé à deux reprises : la première fois, pour qu’ils amendent le texte (et la loi de finances). Mais comme le soulignait Philippe Leconstant, on se rappelle la loi de programme, qui, puisque ne correspondant pas aux attentes des Réunionnais, allait être amendée dans le bon sens par les parlementaires ; certes, des amendements ont été déposés, mais ils ont quasiment tous été rejetés par le gouvernement. On ne peut donc que craindre que cela se renouvelle pour ce projet de loi.
Deuxième recours, comme l’expliquait Cyrille Hamilcaro, il faudrait que 60 sénateurs (ou députés) aillent devant le Conseil constitutionnel en expliquant que les transferts financiers ne suivent pas les transferts de compétence pour régler la situation. En effet, il est clairement inscrit dans la Constitution que l’un ne peut pas aller sans l’autre.
C’est une solution qui ne répond pas au problème posé. Et analysé par le Conseil général lui-même, via l’avis de toutes ses commissions, lorsqu’elles écrivent qu’il conviendrait de différer les transfert dans l’attente d’une compensation des retards. Transférer d’abord les compétences puis les moyens financiers, cela a été fait en 1982. Les premières ont été plus rapidement déléguées que les seconds ne sont arrivés outre-mer. Une expérience qui peut susciter une inquiétude légitime.

Réforme hypothéquée

D’où cette remarque de Julien Ramin : « nous sommes obligés de constater et de dire qu’avant même d’être débattue, qu’avant même d’être votée, la réforme que veut le gouvernement est doublement hypothéquée » : par le fait que certains perçoivent cette loi comme une régression sociale, et surtout par le fait que le principe fondateur de la décentralisation - à savoir l’égalité territoriale - ne pourra s’appliquer à La Réunion.
Parce que les retards en équipements et encadrements sont trop importants. Parce que la progression démographique est ici importante. Parce que l’égalité entre fonctions publiques d’État et territoriale restera, ici, en l’état actuel des choses, un vœu pieu.
Julien Ramin concluait : « il nous faut régler ici un préalable : celui du personnel des collectivités locales et de son statut ». Autrement dit : le cas des journaliers communaux, des emplois précaires : CES, CIA, CEC, CEJ.

La motion du groupe EDDE relative au projet de loi de décentralisation
« Considérant l’importance du projet de loi sur la décentralisation,
- l’ampleur des transferts de compétences proposés de l’État vers les collectivités locales de la République,
- l’application des dispositions qu’il contient aux régions et départements d’outre-mer,
- la situation de La Réunion, caractérisée par des retards structurels en matière d’équipements et de taux d’encadrement dans le secteur public,
- les besoins croissants générés par la progression démographique,
- considérant par conséquent les contraintes pesant sur la situation financière des collectivités locales,
le Conseil général :
rappelle que toute compensation financière accompagnant les transferts de compétences doit absolument prendre en compte les charges découlant du rattrapage des retards et de la progression démographique ;
constate que le texte du projet de loi ne prend pas en compte ces paramètres ;
exprime sa plus vive inquiétude face à cette situation, qui risque à terme d’obérer lourdement les capacités financières des collectivités locales et de vider ainsi la décentralisation de son esprit
souligne qu’une telle perspective ne peut qu’aggraver les préjudices déjà provoqués par le contexte de réduction des dépenses de l’état alors que le développement de La Réunion appelle au contraire une augmentation des moyens financiers ;
estime qu’il n’est pas possible de formuler un avis éclairé sur les propositions de transfert de compétences en l’absence des garanties financières prenant en compte la réalité de notre situation, et qu’il serait donc particulièrement risqué et inopportun de formuler un avis sur ce projet de loi dans un tel contexte.
Par conséquent, le Conseil général
- demande au gouvernement d’apporter au préalable à l’examen de ce projet, les garanties d’une prise en compte des retards et de la dynamique démographique dans le processus de décentralisation concernant La Réunion ;
- dans cette attente, sollicite du gouvernement un nouveau délai pour rendre son avis sur ce projet de loi, dont la discussion devant le parlement n’est d’ailleurs prévue qu’en 2004, pour une application en 2005 »
.
Motion signée par Julien Ramin, Jean-Yves Langenier, Graziella Leveneur, Monica Govindin, Jean-Fred Gonthier, Jean-Claude Fruteau, Philippe Leconstant, Yvon Bello.
Un peu confus
Le dossier était complexe, certes ; et l’organisation de cette plénière a été quelque peu confuse. Après la lecture des motions, a débuté la "discussion générale", qui a été arrêtée pour permettre la lecture du discours d’introduction du président Poudroux. Et on est passé directement au vote sur l’avis des commissions sur le premier et le deuxième article du projet de loi... Trois interventions se sont déroulées, non seulement sur ces deux avis mais aussi sur le fond du problème.
D’où la demande de Jean-Claude Fruteau de revenir au débat général avant de se prononcer non article par article mais sur la globalité du proejt. Si la proposition a obtenu l’accord de Jean-Luc Poudroux, elle a nettement fait tiquer Serge Camatchy. Néanmoins, les conseillers se sont prononcés sur la totalité du document : avis favorable pour les autres conseillers de la majorité mais abstention pour les trois formations progressistes, sauf sur l’article 59 du projet de loi (voir encadré).
Les commissions demandent de différer le transfert
Avis du Département sur l’Article 59 du projet de loi
« Les commissions rappellent que le transfert des personnels TOS ne constitue pas une priorité dans la mesure où les collectivités locales de La Réunion sont déjà confrontées aux problèmes récurrents des "journaliers autorisés", qui sont au nombre de 12.000 et attendent depuis de nombreuses années leur intégration dans la fonction publique territoriale ; cette évolution est impossible uniquement pour les raisons budgétaires. Par ailleurs, les commissions soulignent que la grande priorité de l’éducation à La Réunion, reste le rattrapage des retards structurels accumulés. Ces retards existent aussi bien au niveau de la construction et de la réhabilitation des établissements dans le primaire et le secondaire, qu’au niveau du très faible taux d’encadrement dans ces mêmes établissements par rapport à la moyenne nationale. Cette situation est aggravée par la pression démographique qui ne faiblit pas. Les commissions considèrent donc, que, sauf à avoir des garanties quant à une participation financière dynamique tenant compte du rattrapage à effectuer, il conviendrait de différer ce transfert dans l’attente d’une compensation des retards ».
À mettre en parallèle avec la déclaration de Jean-Luc Poudroux dans son discours introductif : « je l’ai dit à plusieurs reprises et je le répète : le Département n’est pas demandeur de ces transferts. Néanmoins et nonobstant la concertation ouverte à ce chapitre avec l’État, si la loi devait être votée en l’état, notre collectivité saura mettre en œuvre cette nouvelle compétence ».
Communiqué du Département
« Le Conseil général, présidé par Jean-Luc Poudroux, s’est réuni ce mercredi en assemblée plénière afin d’émettre un avis sur le projet de loi de décentralisation, pour lequel la collectivité a été saisie par le Gouvernement.
Les élus du Département ont émis un avis favorable sur ce projet et approuvent la mise en oeuvre de l’acte II de la décentralisation et les clarifications de compétences apportées par ce texte.
Par ailleurs, ils ont souligné l’objectif poursuivi par ce projet de loi, à savoir l’émergence d’une République des proximités.
Néanmoins, il a été rappelé que les compensations des transferts de compétences constitueront un élément essentiel de cette nouvelle décentralisation. En conséquence, il est souhaité que les retards structurels que connaît La Réunion ainsi que son évolution démographique dynamique, différente de celle des départements métropolitains, soient pris en compte lors de l’évaluation des ressources à transférer.
Concernant le transfert des personnels techniciens et ouvriers de service (TOS), le Conseil général a rappelé que ce transfert de personnel ne constitue pas une priorité pour notre Département. En effet, la grande priorité à La Réunion reste le rattrapage des retards structurels accumulés, qui existent aussi bien au niveau de la construction et de la réhabilitation des établissements dans le primaire et le secondaire qu’au niveau du très faible taux d’encadrement dans ces mêmes établissements par rapport à la moyenne nationale. Cette situation est aggravée par la pression démographique qui ne faiblit pas.
Il conviendrait donc, sauf à avoir des garanties financières quant à une participation financière dynamique tenant compte du rattrapage à effectuer, de différer ce transfert dans l’attente d’une compensation des retards »
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