Irak

« Notre démocratie est meurtrière »

Au rassemblement de Saint-Pierre contre la guerre

17 mars 2003

Samedi après-midi, plusieurs centaines de personnes ont répondu à l’appel du collectif ’La Réunion contre la guerre, pour la paix’ à se retrouver sur le front de mer de Saint-Pierre afin d’exprimer leur opposition aux menées bellicistes des dirigeants américains en Irak. Les personnes présentes ont apporté leur soutien aux messages des différents intervenants, responsables d’organismes et d’associations comme ATTAC-Réunion, le Collectif Réunion-Palestine ou encore la CGTR et l’association Maha-Badra-Karli.
Tous sont venus dire d’une seule voix leur détermination à s’opposer à la guerre en Irak. Ainsi, comme dans de nombreux pays dans le monde, La Réunion a tenu elle aussi à faire entendre sa voix sur la question des troubles qui menacent l’avenir de l’humanité et à montrer du doigt les dangers qu’engendre l’hégémonisme américaine.
On lira ci-après de larges extraits du discours prononcé samedi dernier par Farouk Issop au nom du Collectif Réunion Palestine lors du rassemblement au front de mer de Saint-Pierre.

« Une logique invisible, jour après jour, tire le tapis sous nos pieds. Et nous sommes devant un stupéfiant paradoxe : les valeurs, les concepts, les objectifs démocratiques que nous mettons ostensiblement en avant se voient bafoués dans leurs tréfonds. Notre démocratie est meurtrière : "l’embargo de la honte", qui tue 300 enfants irakiens par jour depuis 10 ans, est là pour le prouver. Alors qui menace la paix ?
Trente pays sont détenteurs d’armes nucléaires, chimiques ou bactériologiques. Il n’est ni moralement acceptable ni politiquement possible de les éradiquer en leur faisant la guerre ! Nous savons tous l’objectif déclaré de cette nouvelle guerre qui consiste à contrôler définitivement le pétrole irakien ainsi que l’insertion forcée de la région - de ses peuples et de ses ressources - dans l’économie capitaliste globalisée sous le leadership des États-Unis.
Il s’agit aussi - et cela il ne faudrait pas l’oublier non plus - d’une nouvelle guerre pour effectuer un profond remodelage géopolitique de l’ensemble du Moyen-Orient. Un remodelage au sein duquel une offensive décisive de l’État d’Israël contre Gaza et la Cisjordanie, l’écrasement militaire de l’Intifada et un nouvel exode massif des populations palestiniennes sont des options tout à fait plausibles.

Il faut dès maintenant éviter de tomber dans le piège de ne mobiliser les consciences que contre la guerre. Au-delà de cette dernière, de ses victimes et des centaines d’innocents qui depuis dix ans sont morts en silence à cause de l’embargo, c’est bien le futur ordre du monde auquel il faut penser. À l’heure où les gouvernements européens semblent déboussolés et incapables de proposer une politique internationale alternative, c’est aux populations, donc à nous, de les forcer à scruter de nouveaux horizons. Ceux qui étaient dans les rues le 15 février dernier étaient autant contre la guerre que contre l’unilatéralisme américain : de ces mobilisations devrait naître une réflexion profonde sur notre rôle et nos responsabilités.

Quatre objectifs nous semblent prioritaires :

  1. Exiger des gouvernements européens qu’ils encouragent la démocratisation dans tous les pays en refusant les alliances avec les dictatures. Il est de la responsabilité éthique des citoyens de faire entendre à leur gouvernement que l’on ne peut critiquer Bush pour son cynisme politique et agir de la même façon. Il faut s’opposer à tous les autocrates sans distinction. (…)
  2. Proposer une gestion plus équilibrée du dossier palestinien, qui fasse réellement contrepoids au soutien indéfectible des Etats-Unis à Israël. Des résolutions de l’ONU qui n’ont jamais été appliquées à l’égard d’Israël depuis 50 ans, alors que l’on en impose au peuple Irakien : deux poids, deux mesures !
  3. Plus près de nous, au cœur de nos sociétés, il convient de réussir le pari du pluralisme des cultures et des religions. Notre île doit savoir préserver cet acquis. C’est au sein de nos cités que nous trouverons les moyens d’éviter le choc des civilisations. (…)
  4. (…) Dans le cadre d’une globalisation capitaliste renforcée, au nom de la guerre contre le terrorisme et plus prosaïquement au nom des diktats du marché, l’intérêt économique est devenu un formidable producteur de silence politique. Nous citoyens sommes en train de perdre nos droits et notre liberté : de plus en plus, on décide sans nous, en notre nom.
    C’est à nous de rappeler à notre gouvernement que l’on endigue la terreur en s’attaquant d’abord à ses causes et en respectant le droit des humains au minimum vital, à la liberté, à l’intégrité et à la dignité. Quels qu’ils soient, parce que ce sont les droits inaliénables de chaque être humain, qu’il soit français, américain, palestinien, ivoirien, tchétchène ou irakien…

La vraie question, au fond, la question qui est commune à chaque civilisation, à chaque culture, à chaque société, à chaque conscience, à chaque cœur est la question de la liberté. (…)
On sait ce qu’il en coûte à certaines femmes ou hommes de subir l’humiliation, l’esclavage et la discrimination sous le joug d’une domination institutionnelle ou symbolique qui terrorise ou qui tue physiquement autant qu’intellectuellement. On sait la capacité de l’être humain à produire l’inhumain et à s’en satisfaire. On sait tout cela… on le dénonce souvent, on s’y oppose parfois, on le regrette toujours.
On comptabilise et on évalue à juste titre, dans nos sociétés de droit, les acquis qui protègent la liberté du citoyen, sa dignité, ses droits. Rien n’est pourtant définitivement acquis et les luttes pour revendiquer le légitime et plein exercice de cette dernière accompagneront les collectivités humaines jusqu’à la fin des temps… Point de liberté sans effort, sans détermination, sans combat : la quête de la liberté exige la lucidité. (…) ».


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