Refonte du R.M.I. en R.M.A.

• Passage en force, sans consultation

10 mai 2003

Le ministre des Affaires sociales, du travail et de la solidarité a présenté mercredi, au Conseil des ministres, son projet de loi portant sur la décentralisation en matière de revenu minimum d’insertion (RMI) et sur la création d’un revenu minimum d’activité (RMA). Un projet qui, une fois de plus, va être passé ’en force’, sans consultation des intéressés....

La première partie de ce projet confie aux Départements la responsabilité et le financement de l’allocation du RMI, « par cohérence avec le processus de décentralisation de l’action sociale engagé il y a vingt ans ainsi qu’avec l’impératif de proximité inscrit désormais dans la Constitution », indique le communiqué diffusé à l’issue du Conseil des ministres.
Selon ce même communiqué, « afin de préserver l’égalité d’accès de tous aux prestations, les conditions d’accès au RMI ainsi que son barème demeurent fixés au plan national. De même le service de l’allocation continue d’être assuré par les caisses d’allocations familiales et par les caisses de mutualité sociale agricole ».
En France, l’apparition de ce texte a été ponctuée par un tollé général. C’est ce qu’il ressort d’un article publié dans "Le Monde" (voir encadré). Toujours est-il que l’on peut d’ores et déjà faire plusieurs remarques.
- Premièrement, sur un million d’allocataires du RMI en France et outre-mer, à peine la moitié a un contrat d’insertion. Or, c’est pourtant une obligation. Et la faute n’en incombe pas aux allocataires.
- Deuxièmement : le gouvernement avait assuré que cette réforme allait s’appuyer sur un rapport que le Premier ministre avait commandé, en février dernier, à Bernard Seillier, sénateur (non inscrit) de l’Aveyron. Le rapport n’est pas encore terminé, donc n’a pas été remis au gouvernement. Lequel n’a pas donc pas pu s’appuyer sur les préconisations du parlementaire pour faire sa réforme.
- Troisièmement : toutes les remarques, suggestions et critiques formulées par les associations de lutte contre l’exclusion ne seront donc pas prises en compte. Une fois de plus, c’est la méthode du passage en force, sans consultation - ou une pseudo consultation fictive - qui a été employée.

En France, selon "Le Monde"
Un tollé général contre ce dispositif
"Le Monde", dans son édition du 7 mai, a consacré un article à la refonte du RMI en RMA. Extraits.

« L’idée d’instaurer un RMA ne date pas d’hier. Il y a cinq ans, le RPR avait déjà brandi cette trouvaille pour remédier aux « dysfonctionnements » du RMI et stopper le développement d’une « culture de l’assistance » (Le Monde du 19 janvier 1998). Il s’agissait de « conjuguer le versement de l’aide et une participation de la personne à une tâche d’intérêt collectif ». En février 2001, une proposition de loi « portant création du RMA » avait été présentée par deux sénateurs de droite et approuvée par la Haute Assemblée.
Le projet du gouvernement n’a pas grand-chose à voir avec cette initiative parlementaire, restée sans lendemain. Mais les deux textes s’inscrivent, peu ou prou, dans une même filiation idéologique et renvoient à la thèse - controversée - de la « trappe à inactivité » : selon elle, le titulaire d’un minimum social préférerait continuer à toucher son allocation plutôt que de rechercher un emploi.
Entendu, en 2000, par la commission des affaires sociales du Sénat, Bertrand Fragonard, ancien délégué interministériel au RMI, avait contesté cette théorie. Il avait notamment affirmé qu’elle n’était qu’une « simple intuition », étayée sur « aucune analyse méthodologique sérieuse ». Il avait aussi déclaré que le refus du travail chez les RMIstes est un « phénomène rare », et prétendu que personne n’avait jamais pu prouver que les minima sociaux dissuadaient de reprendre une activité. (...)

Responsabilité

Sans entrer dans ce débat, plusieurs associations de lutte contre la pauvreté trouvent que « l’état d’esprit du gouvernement pose question », selon le mot de Gilbert Lagouanelle, du Secours catholique. « Il donne l’impression de rejeter sur les bénéficiaires la responsabilité de l’échec du volet insertion du RMI. Or le problème est plus complexe. Et certains Conseils généraux ne se sont pas beaucoup mobilisés ». M. Fillon a tenu des propos « ambigus »à "100 minutes pour convaincre", renchérit Martin Hirsch, président d’Emmaüs-France. « Le RMA ne doit pas viser à stigmatiser les inactifs, mais à lever les obstacles à leur intégration en prenant en compte leurs difficultés sociales », ajoute-t-il. Indépendamment de la philosophie qui la sous-tend, cette réforme est « décevante » dans ses modalités mêmes, poursuit Jean-Paul Péneau, directeur général de la Fnars (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale). D’après lui, le RMA ressemble « aux premières générations de contrats aidés, avec tous leurs défauts originels » : rigidité dans les horaires et la durée des contrats, rigidité dans la définition des publics... Alors qu’il aurait fallu du « sur-mesure » pour répondre aux besoins d’une population composite, le gouvernement invente un système uniforme, sans « souplesse », déplore Jean-Paul Péneau. « C’est un contrat emploi-solidarité au rabais, conclut-il. Les obligations d’accompagnement des bénéficiaires sont très légères ».
Quant à l’incitation financière, « elle nous semble insuffisante », commente Bruno Grouès, de l’UNIOPSS (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux). La perspective de gagner « un demi-SMIC » ne sera guère mobilisatrice, pense-t-il, compte tenu des frais induits par la reprise d’activité (transport, garde d’enfants...). Enfin, les administrateurs de la CNAF ont émis un avis défavorable au projet de M. Fillon, estimant qu’il soulève des « interrogations », « notamment sur le respect des principes d’égalité et de solidarité ». Dans la même veine, Bruno Grouès craint que le RMI ne devienne « aléatoire », alors qu’il s’agissait, jusqu’alors, d’un « droit garanti et quasi inconditionnel. C’est bien de mettre l’accent sur l’insertion professionnelle, mais les personnes très éloignées du monde du travail risquent de ne pas pouvoir se plier aux nouvelles obligations créées autour du contrat d’insertion, dit-il. Du coup, elles risquent de perdre leur allocation ».

Bertrand Bissuel

"Le Monde" (édition du 7 mai 2003)

Quelques chiffres
1 million 090.348 bénéficiaires du RMI
À la fin de l’an dernier, 1 million 090.348 personnes touchaient le RMI. En douze mois, le nombre de bénéficiaires s’est accru de 1,57% alors qu’il avait diminué de 6,25% entre la fin 1999 et la fin 2001. En prenant en compte les ayants droit (conjoint, enfants), c’est plus de 2,1 millions de personnes qui étaient couvertes par le RMI à la mi-2002, d’après une étude de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) publiée en octobre 2002 ; dans les départements d’outre-mer, 19% de la population était concernée (contre 3,1% en métropole). À la fin juin 2002, la moitié des RMIstes percevaient leur allocation depuis plus de trois ans, tandis que 23,2% d’entre eux bénéficiaient du dispositif depuis moins d’un an. C’est dans les départements de La Réunion (67.977), des Bouches-du-Rhône (67.605) et du Nord (60.747) que le nombre de bénéficiaires était le plus élevé. Le RMI constituait la seule ressource pour près d’un tiers des allocataires. Enfin, les sommes versées au titre du RMI durant le premier semestre 2002 s’élevaient à 2,3 milliards d’euros.

(Source : "Le Monde" édition du 08.05.03)

Questions
• Selon le communiqué paru à l’issue du Conseil des ministres, « la décentralisation du RMI s’accompagne d’un transfert de ressources aux Départements dans des conditions à préciser par la loi de finances ». On est donc dans le flou le plus total. Et La Réunion a toutes les raisons d’être inquiète. Comment le RMI et le RMA vont-ils être gérés par le Conseil général ? Avec quels moyens matériels et humains ?

• Toujours selon ce même communiqué, « le champ d’application est celui des employeurs des secteurs marchand (à l’exception des particuliers employeurs) et non marchand (à l’exception de l’État et des départements). Le RMA ouvre droit, dans le secteur non marchand, à une exonération des cotisations patronales de sécurité sociale compensée par le budget de l’État ».

• Quels seront les critères retenus par le Conseil général pour choisir les employeurs qui bénéficieront de ces employés mis à leur disposition pour l’équivalent de la compensation entre le montant du RMI perçu par l’intéressé et le montant du SMIC horaire ?

• Comment réagiront les entrepreneurs qui ne bénéficieront pas de ces emplois et qui seront donc supporter la distorsion de concurrence ainsi créée ?

• Les dispositions prévues par le ministre des Affaires sociales ne vont-elles pas télescoper celles prévues par la ministre de l’outre-mer ? Quelle sera la réelle incitation pour La Réunion (et les employeurs potentiels de érémastes) ?

• Le communiqué gouvernemental précise : « La troisième partie du projet de loi définit les modalités de suivi statistique et d’évaluation du dispositif et attribue à l’inspection générale des affaires sociales une compétence de contrôle ». Sur quels critères ? Le "taux d’embauche" ? Le taux de radiation, puisqu’il s’agit essentiellement d’un « suivi statistique »… ?


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