Logement

Où l’on parle de mixité...

Semaine : où loger nos enfants ?

3 avril 2003

« La mixité, oui, mais pour quoi faire ? », lançait d’entrée de jeu hier René-Paul Victoria en ouvrant la troisième journée de la "Semaine du logement". Et quand certains se posent la question, d’autres ont déjà mis en pratique le concept de mixité. Au Port, 70% du parc de logements est du "logement social" expliquait mardi Alain Moreau, de la Mairie du Port. À Sainte-Suzanne, le taux est sensiblement le même. Et dans les deux cas, les opérations menées ont été réalisées avec la participation de la population. Attila Cheyssial, architecte et sociologue, l’a d’ailleurs clairement montré en expliquant ce qui s’était réalisé au Port, dans le quartier "Say Piscine". Maurice Gironcel présentait l’opération menée sur Bagatelle, sur une surface de 160.000 mètres carrés. Le projet a débuté en avril 1997 et s’achèvera l’an prochain. Et sur cette ZAC, se trouve du logement social (locatif/collectif, accession/individuel), du logement privé (accession/individuel), des équipements publics (mini-crèche, école maternelle). Le tout avec un « accompagnement social très fort », puisque toutes les ressources mobilisables ont été utilisées (MOUS, CEJ etc.). Et l’un des facteurs de réussite de l’opération a été le fait qu’elle ait été montée en multi-partenariat. Et d’affirmer haut et fort : « la mixité sociale, ça ne se décrète pas ». Autrement dit, pas besoin de passer par des lois mises en place (celle dite SRU - solidarité renouvellement urbain) par un gouvernement puis vite remises en cause par un autre.

Mixités sociale et résidentielle

Pour Michel Watin (université de La Réunion), la mixité résidentielle (la construction sur un même périmètre de différents types de logements) n’est qu’une - infime - partie de ce que l’on pourrait appeler « mixité sociale ». Il interroge : « la mixité résidentielle produit-elle de la mixité sociale ? ». Et de démontrer qu’il n’en est rien, premièrement pour des raisons de prix du foncier et de conditions d’accès à celui-ci. Il y a aussi ce que l’on appelle « les pratiques sociales » qui entrent en jeu. On pourrait alors penser à la "mixité" en créant des « espaces publics de proximité » mais qui ont l’effet inverse à celui recherché, puisqu’ils « renforcent l’identité de certains quartiers ». Et l’on se retrouve sur des positions "ségrégationnistes", si l’on peut dire, puisque certains lieux ne sont pas investis par les femmes s’il y a des hommes, par des jeunes s’il y a des gramounes, etc...
Il est donc très difficile de "créer" la mixité dans ces espaces publics, et « il ne faut pas se leurrer sur ce qu’ils peuvent produire », souligne Michel Watin. Car les espaces qui "fonctionnent" généralement le mieux, sont ceux qui ont été spontanément investis. Il est donc indispensable de réfléchir à la manière de "faire" un « espace réellement public », de le penser de manière réunionnaise, car « La Réunion ne peut s’en passer ». Et il serait « dangereux de penser uniquement en terme de logement sans parler d’aménagement des quartiers, d’espaces centraux ».

Et toujours la question du foncier

Pour la troisième fois, le prix du foncier a été mis en évidence, par la quasi totalité des intervenants ; des propositions ont été formulées : une taxation sur le foncier non bâti (et non classé en zone inconstructible) pour alimenter l’EPF (établissement public foncier). Rendre le prix du foncier compatible avec le type de produit proposé (il y a quelques années, pour un budget de 800.000 francs, 200.000 était pour le foncier et 600.000 pour la maison, aujourd’hui, c’est 400.000 pour chacun...).
Autre proposition : une taxation sur la plus-value effectuée par ceux qui "jouent" sur leurs réserves foncières, attendant que les prix au mètre carré montent encore pour vendre...
Des propositions à intégrer dans la charte rédigée vendredi ?

50.000 ménages dans des logements trop petits
C’est la présentation faite par Nelly Actif, chef de la division Études de l’INSEE, en présentant les grandes lignes d’un dossier que l’institut consacre à ce sujet ("Économie de La Réunion" - premier trimestre 2003 - disponible dans les prochains jours). Les conclusions de son enquête sont simples : « Environ 49.000 ménages réunionnais ne disposent pas de suffisamment de pièces pour loger chacun de leurs membres de façon décente. Ce sont au total 200.000 personnes qui en souffrent, dont 80.000 enfants mineurs. Car le surpeuplement des logements augmente avec la taille des ménages. Le surpeuplement favorise les conflits familiaux et le retard scolaire. Il est particulièrement fréquent dans l’habitat social ».
Elle explique ensuite que le surpeuplement est fréquent dans l’habitat social. « Dans l’habitat social, le souci de limiter la charge financière de locataires qui ont par définition de faibles ressources favorise le surpeuplement. Avec 25% des logements de type F4 et 9% de type F5, la taille des logements semble adaptée à la taille des familles. En fait, le surpeuplement apparaît fréquemment quand la famille s’agrandit ou quand les aînés atteignent leur majorité, tout en restant dans leur famille. La présence dans le logement de membres de la famille élargie y contribue également ».
Quelle définition des "espaces publics" ?
Pendant à cette question de mixité, vient la question de l’espace publique. Une notion définie par Michel Watin (université de La Réunion), qui travaille depuis des années sur ce concept. Il a par ailleurs travaillé avec Jean-Denis Compain, architecte urbaniste au CAUE. Pour eux, cette notion d’espace public a des significations différentes. Avant-hier et hier, la notion évoquait les « forum ou agora, tribunes réservées à certains individus ou certaines couches de la population ». Puis ce fut l’apparition des places centrales de villes. En France, depuis 1789,« une exigence de place publique se fait jour », avec l’idée de « libre accès à toutes les catégories sociales et à tous les âges ».
Aujourd’hui, ce même vocable est associé aux mots « lieux d’animation, d’expression, de création, d’un côté, d’apprentissage du rôle social, de l’autre, et enfin d’échanges de biens et de services ». Et dans chacun des trois cas, l’espace a un rôle particulier : « de rencontre, dans le premier, de régulateur de conflit dans le deuxième, de support de la vie économique ». Ils poursuivent : « l’espace public urbain se développe dans les "sociétés individuelles de masse", qui doivent valoriser à la fois l’individu, au nom de la modernité et de sa tendance libérale, et le grand nombre, au nom de l’égalité entre les citoyens ».
Demain, quel sera le contenu de cette notion ? « Il est intéressant de noter que les termes de réseaux, de sites, de lieux d’échanges, s’appliquent à la ville comme à Internet. Avec les autoroutes de l’information, ce n’est plus la distance qui compte, mais la vitesse. Encore embryonnaire, le "cyber espace public" émerge déjà ».
Vous avez dit logement aidé ?
Depuis trois jours, tout le monde en parle, du logement social. Mais au juste, c’est quoi ? La question était posée par un jeune. Une réponse pourrait être que c’est celui qui est destiné à une population démunie qui ne peut se permettre de payer un loyer (80% de la population réunionnaise est dans ce cas. Seul problème : 35% seulement du parc de logement est dit social) et dont une partie (trop faible) du coût de construction est prise en charge par l’État.
Mais la question qui est revenue aussi, à plusieurs reprises, ces derniers jours, est la suivante : les logements bâtis grâce aux lois de défiscalisation (passées, présentes ou avenir...), ne sont-ils pas, eux aussi, des logements aidés ? Et il ne s’est pas trouvé de participants pour démentir l’affirmation... Question : à quand une étude montrant d’une part, ce que l’État a investi (directement) pour le logement dit social, et d’autre part, ce que l’État a investi (indirectement) pour "l’autre logement" ?

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