L’Histoire de l’union des Réunionnais

Première concertation réunionnaise après 20 ans d’impasse politique

Il y a 20 ans, le 9 mai 1983, le premier Conseil régional élit un « Bureau élargi » de 9 membres

9 mai 2003

Le 9 mai 1983, un lundi, le premier Conseil régional de l’Histoire de La Réunion se réunissait au Palais de la Source en assemblée plénière, la première depuis l’installation officielle, le 25 février précédent, de cette assemblée sortie des urnes le 20 février 1983. L’élection n’avait pas tout réglé puisque l’union PCR-PS, bien que majoritaire en voix, était minoritaire d’un siège et n’avait remporté la présidence, dévolue à Mario Hoarau (PCR), qu’en raison de l’absence d’un conseiller de l’opposition, gravement accidenté sur la route, et au bénéfice de l’âge.
De fin février à début mai, le Bureau de la nouvelle assemblée avait été paralysé par la bipolarité entre les quatre membres - dont trois étaient issus de la coalition RPR-UDF-FMD (Front militant départementaliste) - et la présidence. Il fallait sortir de cette situation de blocage, héritée du climat politique des vingt précédentes années, pour tourner une page dans l’Histoire de la vie politique réunionnaise et construire dans le dialogue un développement concerté. Voici le bref rappel d’une naissance difficile, qui a rendu la vie politique à La Réunion plus riche, plus constructive, tournée vers un avenir meilleur…

Le 20 février 1983 ont eu lieu à La Réunion les premières élections consécutives à la création de la Région comme collectivité territoriale, le Conseil Régional de La Réunion étant aussi le premier à être élu dans l’ensemble de la République. La configuration politique dans ces élections était - en apparence du moins - sous l’influence nette du clivage droite/gauche qui prévalait en France, où l’union de la gauche l’avait emporté aux présidentielle et législatives de mai-juin 1981.
À l’union des listes PCR et PS s’était opposée dans l’île une coalition RPR-UDF-FMD regroupée dans l’UDRP, qui était ressortie amoindrie de ces élections et battue par l’union de la gauche dans 15 communes sur 24. L’union PCR-PS a remporté 45,5% des voix (dont 32,7% au PCR) et n’avait manqué la majorité absolue qu’en raison des deux scissions survenues depuis 1981 chez les alliés socialistes. De ces scissions étaient nées deux listes, Forum et RSD, qui ont obtenu respectivement 2,9% et 2% des suffrages aux élections régionales du 20 février 1983.
À droite, l’UDRP recueillait 38,7% des suffrages et l’UNIR (Union nouvelle dans l’intérêt de La Réunion) emmenée par Pierre Lagourgue, 10,4%. La répartition des 45 sièges entre les quatre formations représentées au Conseil régional donnait donc : 18 sièges à l’UDRP, 5 sièges à l’UNIR, 16 sièges au PCR et 6 au PS.
En suivant les clivages traditionnels - et importés - la droite était majoritaire en sièges mais cette vérité mathématique fut démentie lors de l’élection du Bureau, le 28 février suivant, où le partage s’établit lors des principaux tours de scrutin à 22/22, provoquant l’élection au bénéfice de l’âge du président (Mario Hoarau) et d’un Bureau dominé par la droite, où siégeaient Pierre Lagourgue (UNIR), Camille Bourhis, Marc Gérard et David Moreau (UDRP). La première élection régionale issue de la décentralisation débouchait sur une situation de blocage politique d’où il fallait sortir au plus vite.

Répartir les responsabilités

C’est d’une proposition du président de la Région, Mario Hoarau, inspiré des débats menés au sein du PCR et dans d’autres formations politiques soucieuses de sortir des anciens clivages, que devait venir l’adoption d’un protocole d’accord, signé le 30 avril par les quatre formations politiques siégeant au Conseil régional. Ce protocole proposait d’élargir le Bureau de quatre à neuf membres, de partager les délégations (deux pour chaque groupe) et de répartir les responsabilités au sein des six commissions, de douze membres chacune.
Ce protocole n’a pu être admis qu’au terme de longues discussions, dont certains témoins se souviennent encore (voir les témoignages ci-après) comme d’une période d’âpres débats, saluée dans la presse comme un événement d’importance.
"Témoignages" du 2 mai saluait dans ce protocole « le triomphe du bon sens et de la démocratie » et "le JIR", passés quelques jours de réflexion, s’interrogeait sur la portée d’ « un engagement important qui fera peut-être date dans l’histoire de La Réunion ». Le 3 mai, "JIR" et "Quotidien" publiaient un communiqué du RPR - alors dirigé par Auguste Legros, maire de Saint-Denis - selon lequel « la signature de ce protocole n’engage pas le RPR en tant que formation politique », entraînant une vive protestation de l’organe communiste qui, en rappelant que le RPR est membre de l’UDRP, appelait les élus de cette coalition à « prendre leur responsabilité ».

« La Réunion en sort gagnante »

Le 9 mai, le Conseil régional se réunissait au Palais de la Source en Assemblée plénière, la première depuis le mois de février. En l’absence de quatre élus, les conseillers régionaux furent 41 à voter pour l’élargissement du Bureau - 25 voix se reportant sur la liste composée de Paul Vergès-Élie Hoarau (PCR), Albert Ramassamy-Gilbert Annette (PS) et André Thien-Ah-Koon (UNIR). Le Bureau élargi comportait donc dans sa nouvelle version 3 UDRP, 2 PCR, 2 PS et 2 UNIR. « Le bon sens et le sang-froid ont fini par l’emporter. La Réunion en sort gagnante », a commenté sobrement "Témoignages".
Dans les faits, la tendance la plus intolérante du camp conservateur avait dû composer avec la première majorité exprimant un pluralisme politique réunionnais. Ceux qui s’appelaient quelques années plus tôt encore les "Nationaux" allaient vivre au début des années 80 les derniers moments de la tutelle debréenne, tandis que s’affirmait dans l’île l’impérieux besoin de débattre de tout et de mettre en pratique une autre conception de la vie politique, très éloignée de celle qui avait prévalu depuis au moins le début des années soixante.
Cette étape importante dans l’avancée de la démocratie politique à La Réunion a tout juste vingt ans. Et, à en juger par les mouvements sociaux actuels, cette démocratie politique a « une énorme envie de bouger ». Car certains défis à relever par le pays aujourd’hui sont encore plus lourds qu’il y a vingt ans.

Paroles de témoins
• Alain Defaud (UDRP)
« Une expérience extrêmement riche… »

« C’était l’apprentissage de la démocratie - et j’ajouterai : de la démocratie décentralisée. C’était très nouveau pour tout le monde, surtout pour le jeune élu que j’étais. Cela m’amène à parler de la décentralisation, pour dire qu’il faut l’affronter et non s’y opposer. Il y a une nécessité de prise de responsabilité des acteurs, qui a un poids d’autant plus fort à La Réunion qu’elle est une nécessité technique autant que politique.

J’ai vécu cette réalité à deux niveaux : au Département avec Guy Dupont et à la Région où j’étais élu pour la première fois et où il y avait tout à bâtir. Je peux évoquer ici la politique de construction des lycées, pour lequel la Région a su lancer un plan de financement spécifique allant au-delà de la vitesse programmée par l’État. Je garde le regret d’une certaine frilosité dans la politique routière…

C’était une expérience extrêmement riche, qui montre qu’au lieu de reculer, il faut savoir appréhender les nouvelles compétences de la décentralisation, parce qu’elles sont fondamentalement profitables à la population. »

• Michel-Charles Hoarau (PS)
« Nous avons mis le train sur les rails »

« Avant le Conseil régional élu au suffrage universel, il y avait un embryon de collectivité, un Établisement public régional - dont Yves Barau était le président. Cela ressemblait un peu à notre CESR de maintenant. On peut dire que nous avons mis le train sur les rails. Mario Hoarau était un brave homme qui recherchait le consensus. Pierre Lagourgue (1er vice-président - NDLR) aussi jouait la carte du consensus, apportant un soutien actif continu, que Mario Hoarau appréciait je crois. Cela a sans doute facilité l’accession de Pierre Lagourgue à la présidence, en 1986, sur la base d’un consensus qui s’est fait alors (en 86 - NDLR) contre l’avis de UDRP.

C’était une période où les élus de La Réunion cherchaient leurs marques. Sur le plan agricole, nous avons préparé un plan mettant en œuvre plusieurs pistes. Par exemple, sur la base de ce plan, la Région a décidé de racheter le domaine de la SEDAEL (Société d’étude pour le développement et l’amélioration de l’élevage), dans les Hauts du Tampon. Le Crédit Agricole était à deux doigts de tout faire saisir pour "récupérer sa mise". Il s’agissait d’un projet lancé dans les années soixante, pour le croisement entre la blonde d’Aquitaine et le zébu de Madagascar, dont les rejetons devaient être vendus en Amérique latine ! On avait fait venir les bêtes mais le projet, sans doute mal conçu et porté par une technicité défaillante, avait échoué et le Crédit Agricole, qui avait joué le rôle de banquier de la SEDAEL, menaçait de faire saisir le patrimoine. La Région a racheté les actifs et a pu donner ensuite à ce foncier une vocation agricole confirmée, qui a été le noyau dur de l’élevage bovin actuel, étendu à l’activité laitière. C’est le souvenir politique le plus tangible que je garde de cette première assemblée, qui a pris cette décision lors d’une assemblée plénière au Palais de la Source. »

• Philippe Berne (PCR)
« Une bonne ambiance de travail »

« Je n’ai pas participé aux négociations qui ont abouti à l’élargissement du Bureau et avant d’être conseiller régional, je n’étais pas élu puisqu’il n’y avait pas d’opposition dans les communes. C’était ma première participation à un exécutif. Il y a eu une répartition des présidences de commissions et j’ai présidé la commission "habitat, urbanisme, aménagement du territoire et affaires sociales", où se sont posées les premières questions de compétence de la Région : nous avons travaillé à un "plan transport", qui n’était pas alors clairement dans les compétences de la Région.

Nous prenions nos marques, les commissions étaient des réunions de travail et c’était la première fois que nous arrivions à avoir des discussions ensemble, plutôt que des votes majoritaires écrasants. Nous recherchions aussi nos marques dans les compétences de plein droit, face à un Département qui existait déjà et qui avait des compétences bien définies. Je peux citer l’exemple de la tortue : on s’y est intéressé à cette époque, au départ parce que la ferme Corail se trouve à Saint-Leu, dont Mario Hoarau est devenu le maire en mars 83.

Avec la pratique et l’usage, on a modifié nos terrains d’actions. Par exemple, les routes et Travaux Publics sont restés séparés de l’Aménagement jusqu’au début des années 90.

Pour l’environnement, on a essayé de voir dans quels domaines intervenir. A la fin du mandat de Mario Hoarau (83-86), on a fait un "staff environnement", avec des collaborateurs nouveaux, dans la recherche de ce qu’il fallait faire. En 84, il y a eu la loi sur le SAR (Schéma d’aménagement régional) - une grosse compétence dévolue à la Région - puis le transfert des lycées et les routes nationales, en fin de mandat.

C’est plutôt sous le mandat de Pierre Lagourgue qu’ont été suivis les problèmes routiers et de lycées. Ceci n’est pas étranger au fait que nous ayons continué à travailler avec Pierre Lagourgue.

Je garde le souvenir d’une période marquée par un travail commun et par certains transferts. Ensuite, après 86, il y a eu des négociations avec le Département sur "qui fait quoi ?" Faut-il coordonner les missions (pour l’environnement, par exemple), ou répartir les compétences entre les deux assemblées, comme cela a été fait - parfois de façon discutable ?

C’était une période de tâtonnement et d’organisation interne, avec une bonne ambiance de travail. »

• Serge Payet (ex-UNIR, Union nouvelle dans l’intérêt de La Réunion)
« Une image de responsabilité réunionnaise »

« Il fallait faire marcher la machine, surtout que nous étions en avance sur les élections métropolitaines. Nous étions "regardés" et la gestion pouvait s’avéver difficile.

Si on considère la composition de l’assemblée, l’UNIR et l’UDRP ensemble avaient une voix de majorité. Dans les faits, les 5 élus UNIR avaient un rôle de balancier et il fallait se déterminer en fonction des intérêts de La Réunion, hors clivage politiques.

Je me souviens de discussions - parfois jusqu’à 4 heures du matin - non pas sur des places mais sur ce que nous allions faire dans les 5 à 6 ans à venir. Quelle est la vision de la majorité des conseillers pour cet avenir ? Quelle est la vision de la majorité du Bureau et de ceux qui entourent le président ? Et nous nous disions : "Soit on part dans l’idéologie et on va tout planter, soit on part sur quelques visions".

Quelques exemples ? À l’époque, il y avait 400 apprentis. Nous avons lancé le plan "Apprentis 2000" pour atteindre les deux mille apprentis. Aujourd’hui, nous passons les 3.000 ! Pour la desserte aérienne, on a refinancé la motorisation du DC 8 de Point Air et ouvert la ligne Mulhouse-Réunion. On a réfléchi sur l’octroi de mer et évoqué la dévolution de l’AFPA (aujourd’hui AFPAR) de l’État à la Région (les bâtiments, les formateurs). C’était la régionalisation de l’AFPAR, comme on voit aujourd’hui la régionalisation de l’Education Nationale.

Tout le programme routier est passé du Département à la Région. Il faut aussi évoquer le dossier de nos relations avec la CEE. Sur tous ces sujets - sur lesquels, je crois, nous n’avons pas failli - nous nous sommes demandés, au moment de l’élargissement du Bureau : pour quoi faire ?

J’ai un assez bon souvenir de cette période, dont j’ai gardé une image de responsabilité réunionnaise. Parfois, dans les oppositions les plus radicales, on arrivait à trouver le sens de l’intérêt général réunionnais.

L’élargissement du bureau a été long et laborieux… et l’affaire s’est réglée au moins pour "faire marcher la machine". »


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