La production et la coproduction d’émissions locales de Télévision dans notre département ne sont pas toujours un long fleuve tranquille. Dernièrement, une société de production "péï" a pu en faire l’amère expérience.
La société KISA PROD, société de production réunionnaise implantée dans le Sud de notre île, depuis 2 ans travaille sur le projet d’une série de documentaires sur les musiciens réunionnais, au format de 10 fois 26 minutes. Ce projet soutenu par "la Région, le CNC, le PRMA, la SACEM" était sur la bonne voie, il ne manquait plus à la nouvelle société de production qu’à trouver un diffuseur.

Nous savons tous que les diffuseurs d’émissions de Télévision sont en nombre restreint dans notre île, et là, il y aurait beaucoup à dire car il y a un manque évident de chaînes de Télévision en raison des lobbys qui ont tout fait pour freiner la naissance de la TNT chez nous, mais ceci c’est une autre histoire, bien que cela freine également le développement de sociétés de productions et les filières de l’audiovisuel.

Pour en revenir à la production de la série "Live La Kaz" (c’est le titre de ce programme) et à sa diffusion, KISA PROD n’a pas attendu longtemps. Après les offres de RFO, c’est Antenne Réunion qui s’est empressée de prendre contact avec une meilleure proposition que la station du Barachois. Le Directeur des programmes de la petite chaîne privée, Olivier Beaudet, propose aux responsables de la société de production une rencontre. Le responsable d’Antenne est plein d’enthousiasme après avoir vu le pilote, il faut dire que des émissions de musique "péï" de qualité, il ne s’en produit pas tous les jours. Antenne Réunion propose d’investir 40.000 euros dans ce qui doit être une coproduction, et de plus, cerise sur le gâteau, le magazine sera diffusé en première partie de soirée le samedi. Elle est pas belle la vie !!

Du rififi entre concurrents !

Jusqu’ici, tout va bien pour KISA PROD. Croyant en la parole des responsables d’Antenne Réunion, ils peuvent envisager un avenir assez serein, d’autant plus qu’ils n’ont pas qu’un seul fer au feu ! Mais voilà, c’était sans compter sur les aléas des humeurs des programmateurs Télé et aussi sans la pression du public qui réclame toujours plus de trash ! Les dirigeants de cette nouvelle société de production ne sont peut-être pas encore rompus au coup de pied de l’âne. C’est bien connu, les artistes sont candides et n’ont que faire des petites guerres d’audience entre chaînes concurrentes. Pourtant, ils auraient dû se méfier, car dans les métiers de l’audiovisuel, une promesse n’a de valeur que pour celui qui y croit, et la parole donnée ne demeure qu’une parole, c’est-à-dire du vent !

Il faut dire que toute démarche en matière de coproduction commence par la signature d’une lettre d’intention, c’est cette même lettre qui sert à la société de production pour faire des démarches afin d’obtenir des aides. Apparemment, les responsables de KISA PROD ont cru la Direction d’Antenne Réunion (candide je vous dis !). « Ce projet a été porté pendant deux ans, le directeur d’antenne de la petite chaîne privée prétendait s’y intéresser, nous certifiant qu’Antenne participerait et qu’il envisageait un prime. Que le projet lui plaisait ainsi et qu’il en parlerait très vite en haut lieu », selon Monsieur Terence Leroy-Beaulieu.
Mais voilà qu’au moment le plus délicat, quand il faut fournir la lettre d’intention du diffuseur, à trois jours de la commission, Antenne Réunion se rétracte par courriel, demande des modifications majeures du projet (en faire un 6 minutes), remettant en cause un travail de 2 ans, 2.500 heures de travail pour des intermittents, un portail pour les musiciens réunionnais qui en ont fortement besoin pour leur évolution. Ce courriel est envoyé le vendredi, barrant ainsi la route à la société de production qui, compte tenu du week-end, ne dispose plus que du lundi pour se retourner et trouver une solution. Il faut avouer qu’un jour pour un projet de cette envergure, c’est un peu restreint !

Contrits, les responsables de KISA PROD ont l’impression que le ciel leur tombe sur la tête, d’autant plus déçus qu’avant la proposition alléchante d’Antenne Réunion, RFO été prêt à recevoir ce très bon programme sur Télé Réunion ! Mais voilà, en matière d’audiovisuel, les jeux sont faits à partir du mois d’août, les grilles de programmes sont calées et l’offre faite par la Direction de RFO remonte au mois de mai. Alors, la concurrence surenchérissait pour contrer le "monstre" du service public ! Selon Monsieur Terence Leroy-Beaulieu, il suppose être au milieu d’une guerre des chaînes dont il n’a que faire. « Ont-ils simplement voulu éviter que RFO puisse produire un tel programme ? Et ainsi garder sous le coude un projet ambitieux sur la musique à La Réunion et pouvoir le jeter dès que bon leur semble ? Ça, nous ne le saurons pas, je pense ! », telle est sa réaction amère !

Il faut reconnaître qu’il y a de quoi se poser des questions ! En effet, la Direction d’Antenne Réunion avait calé sa grille de rentrée dont elle avait fait part à la presse. Comment peut-on croire alors que le responsable des programmes attende le dernier moment pour avertir que le magazine de KISA PROD ne ferait pas partie de la grille ? Les échanges de courriels prouvent que la petite chaîne privée s’est intéressée depuis le mois de mai à ce programme, pourquoi l’avoir fait si, en "misouk", elle préparait une grille de laquelle "Live la Kaz" serait exclu ? Peut-on croire que désormais, afin de déstabiliser la concurrence, une chaîne de Télé emploie l’arme de la destruction d’une petite société de production ? Vous imaginez TF1 promettre à une société de participer à une coproduction pour empêcher France Télévision ou M6 de réaliser ce même programme et ensuite se désister ! Bien entendu, il n’y avait rien de signé, mais l’honnêteté aurait voulu que la Direction d’Antenne Réunion ne fasse miroiter un contrat alors qu’elle en voulait un autre ! Lors des journées de l’UCOI, il est ressorti des discussions, selon Monsieur Terence Leroy-Beaulieu que : « La préoccupation de la majeure partie des producteurs de La Réunion était de savoir quelle part nous est léguée dans leur grille de programme, quel argent nous est destiné pour produire des programmes “peï”, à quel diffuseur et à quelle ligne éditoriale peut-on se fier ? ». Légitime préoccupation à l’heure où La Réunion doit s’ouvrir au monde, et l’on comprend l’inquiétude des producteurs après l’affaire douteuse qui empoisonne la vie et qui déséquilibre les finances d’une société de production "péï".

Le point de vue de RFO

Monsieur Terence Leroy-Beaulieu, après ces déconvenues, s’est retourné vers les dirigeants de la station du Barachois pour essayer de sauver son projet, et malgré son choix passé, il a pu s’apercevoir que la Direction de RFO avait une oreille attentive, mais il est vrai qu’au dernier moment, il n’est pas véritablement possible de caler une émission alors que la grille de rentrée est prête depuis bien longtemps. Car, contrairement à Antenne Réunion, à la station du Barachois, ils ont l’honnêteté de ne pas faire des coups tordus aux sociétés de productions, et KISA PROD qui, au mois de mai, avait refusé l’offre de RFO, peut légitimement penser que les budgets sont bouclés et qu’à RFO, on a su trouver une autre production locale. Dommage, car en plus d’écrire ses engagements noir sur blanc dès que le programme est avalisé, RFO dispose d’une enveloppe de près d’1 million d’euros pour la production, coproduction et les achats de droits d’émissions locales.

Nous nous sommes entretenus avec Monsieur Gérald Prufer et Monsieur Bouquet Grilli, respectivement Directeur de RFO Réunion et responsable des programmes de la chaîne, pour qu’ils nous donnent leur sentiment sur cette affaire. Monsieur Preufer nous a bien confirmé qu’il avait été fortement intéressé par ce programme qui mettait en avant les artistes "péï" et que cette production était de qualité, mais comme Antenne Réunion avait eu les faveurs de KISA PROD, il ne voulait pas faire de polémique, d’autant plus que depuis, il avait trouvé auprès d’un autre producteur local une émission équivalente. Mais Monsieur Prufer a tenu à souligner que comme RFO devait être un support de la production locale, suite à la déconvenue de Monsieur Terence Leroy-Beaulieu, le staff de RFO allait tout faire pour tenter de sauver le projet, notamment en faisant appel à d’autres chaînes du groupe, car en effet, cette émission est susceptible d’intéresser d’autres Départements d’Outre-mer ! Mais pour l’instant, aucune réponse n’est parvenue à RFO Réunion. Peut-être que les producteurs "péï" tireront une leçon de cette affaire, mais quoi qu’il en soit, il serait grand temps de revoir les conditions dans lesquelles se débattent les sociétés de productions locales qui ne peuvent compter que sur deux sociétés de Télévisions si elles souhaitent que leurs productions voient le jour !

Pour conclure, je retiendrai cette phrase de Monsieur Terence Leroy-Beaulieu : « Ce ne sont pas les producteurs qui ne savent pas faire, ce sont les diffuseurs qui savent comment tuer un projet ». Dont acte !!

Philippe Tesseron
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