Regards croisés sur la violence sociale

Sylviane Richard et Pascal Gouriou, bénévoles d’ATD-Quart monde

18 août 2003

Dans le cadre de la série commencée le 9 août présentant des ’regards croisés sur la violence sociale’, l’action déployée par les bénévoles de l’association ’Aide à toute détresse’ (ATD-Quart monde) prend sa place tout naturellement. La présence du mouvement dans les quartiers les plus déshérités prend la forme d’un accompagnement dynamique des familles en détresse et d’une recherche permanente du plus petit signe de rebond, vers une reconstruction des personnes et une reprise en main des situations les plus désespérées.
Mais dans la société telle qu’elle est, leur intervention est vouée à un perpétuel recommencement : c’est ce qui ressort du regard porté par deux bénévoles - l’une est du Port, l’autre de Trois-Bassins - si leur accompagnement n’est pas conforté par d’autres formes de reconstruction personnelle et collective, fondée sur l’éradication des causes de la détresse.

« Notre projet est de pousser les gens à rêver plus loin… »

Le mouvement ATD-Quart Monde anime tous les mercredis, au Port, dans le quartier de l’Épuisement, une bibliothèque de rue fréquentée par des mamans et des enfants jusqu’à environ 12-13 ans. Après la nuit de violence de juin, survenue dans la nuit d’un mardi au mercredi, les bénévoles de l’association ont trouvé on s’en doute une atmosphère inhabituelle, le lendemain matin, plus "loquace" que d’habitude : les femmes parlaient entre elles, devant le centre médical de la Pointe.
« Elles avaient honte », explique Sylviane Richard (voir encadré). « Elles ont fait un petit mot de soutien pour un médecin qui avait été agressé. Les enfants ont fait des dessins. On les a laissé parler, pour qu’ils "vident leur tête" sur ce qui s’était passé… même s’ils se "traitaient" entre eux parfois ; des histoires plus ou moins anciennes remontaient… ».
Les bénévoles d’ATD-Quart Monde ont pris leurs paroles d’enfants au sérieux en se disant que les mots échangés étaient forcément le reflet d’une réalité.

Doublement oubliées

Ce n’est pas la première fois que se vérifie un mouvement de "balancier" entre des formes de protestation organisées et massives et, consécutivement, des manifestations spontanées de violences incontrôlées, sans revendications. C’était déjà le cas en 1997, au Port, après le mouvement des fonctionnaires. Le même type de "correspondance" s’est vérifié cette année. D’après ce que les bénévoles d’ATD-Quart monde ont compris des paroles échangées, les familles les plus démunies se sont senties « oubliées » des manifestations et mouvements qui ont secoué l’île pendant plusieurs mois, un peu partout sauf au Port.
« Elles ont eu le sentiment d’une injustice ». Comme si elles étaient doublement oubliées en quelque sorte, car elles ne se sentaient pas non plus partie prenante des manifestations. Mais elles voyaient tout bouger autour d’elles et une fois de plus, elles étaient à l’écart. « Les plus pauvres regardent la vie passer en ayant le sentiment de ne pas être dedans », exprime Sylviane Richard.

La violence retournée

« Les jeunes sans travail vivent une violence quotidienne. Ils se sentent agressés, pas pris en considération. Et à un moment donné, il faut qu’ils "rendent" cette violence-là. C’est une façon de se faire entendre ».
Pour autant, personne dans le mouvement ne se résout à "cautionner" ou justifier ces formes d’expression. Mais ils ne jugent pas non plus. Ils entendent souvent des jeunes exprimer, après des événements comme ceux du mois de juin au Port, le sentiment d’avoir "réussi" quelque chose.

« …Marre de cette vie-là »

Sylviane Richard : « Quand on rencontre un jeune complètement cassé, on cherche en lui ce qui le fait tenir. Un jeune qui n’a jamais travaillé, qui n’a pas 25 ans donc pas d’accès au RMI, qui vit encore avec sa famille… Ce qu’il nous dit en premier c’est : "je veux être libre" ».
Pascal Gouriou : « S’il n’y a rien qui incite les jeunes à repartir, c’est dur pour eux de rebondir ».
Sylviane Richard : « Il leur faut des projets. Ce sont des jeunes qui se sentent rejetés, qui manquent de confiance en eux ».
Pascal Gouriou : « Le fait de se voir traités en égaux (par les bénévoles, entre autres - NDLR) leur montre que les choses ne sont pas toujours ce qu’ils croient qu’elles sont. Il y a des gens qui croient en eux ».
Sylviane Richard : « Le plus important est que les jeunes aient la volonté de s’en sortir. S’ils ont fait cela, en juin, ce n’est pas pour rien. Ils en ont marre de cette vie-là. Ils expriment la peur de tomber ou retomber dans l’alcool, le zamal ou autres… Ils vivent accrochés à leurs parents, qui leur offrent ce qu’ils peuvent - une mob ou un scooter, par exemple - mais qui ne peuvent faire face à tout. »

Face à l’extrême ?

Au fil de leur dialogue, il se vérifie que la détresse morale ne se "quantifie" pas. Lorsqu’elle est présente, quel que soit le niveau matériel atteint, elle fait son œuvre de déstructuration, de grignotement lent des relations sociales. Que faire sinon analyser, intervenir sur les causes et, parfois, relativiser.
C’est ce que fait à sa façon Sylviane Richard, après avoir participé à une rencontre en Région parisienne, sur le thème : « Qui sommes-nous devant l’extrême ? »
« On a eu l’impression qu’à La Réunion, nous étions encore loin de l’extrême, devant les témoignages des autres, qu’on était encore bien tranquille… » commente-t-elle. Peut-être… Mais les jeunes vivent-ils dans la relativité de ce qui les mine ?

Un projet musical

Chaque année en mars, le Mouvement ATD organise une semaine de « l’avenir partagé », durant laquelle les jeunes découvrent d’autres horizons. « Souvent on pense que les enfants des familles défavorisées ont surtout besoin de biens de consommation. En fait, ils peuvent être intéressés par la photo, la peinture, la musique… En mars, lors des rencontres de quartiers sur "l’avenir partagé", ceux qui ont un métier ou une passion viennent en parler et montrer ce qu’ils font, pour donner aux jeunes confiance en eux ». Un projet musical a été mis en route avec Thierry Gauliris.
« Les gens tiennent beaucoup par la musique ». Pour Sylviane Richard, « la musique est une arme contre l’exclusion ». À partir de témoignages, de rêves, des paroles de chanson seront mises en musique par le chanteur du groupe Bastèr.

« Le petit grain qui brille »

« Notre projet est de pousser les gens à rêver plus loin. C’est important pour eux de savoir qu’ils ont réussi quelque chose » ajoute Sylviane Richard. Avec l’ensemble des bénévoles, ils recherchent « le petit grain qui brille » chez les plus démunis et ne les jugent jamais.
Sylviane Richard : « C’est vrai que quand on se trouve entraînés avec eux dans la violence, on est en colère, on a envie de les claquer. Mais si on les lâche, que vont-ils devenir ? Cela nous motive pour repartir. Quelquefois aussi, on se fait jeter parce qu’on n’a rien à leur donner. »
Pascal Gouriou : « Cela prend du temps, des fois, pour se faire accepter. Des années. Mais quand ils savent qu’on veut juste faire un bout de chemin avec eux, partager leur vie et la leur rendre plus supportable, une fois que la confiance est là, c’est bien. »


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