Violence sociale

Reynolds Michel : « La violence, comment vivre ensemble ? »

Regards croisés de quelques acteurs de terrain

14 août 2003

Comment aborder les manifestations de débordements urbains ? Souvent présentées comme la réponse à une violence sociale générale, affligeant plus spécifiquement les catégories sociales les plus défavorisées, sont-elles pour autant une réponse acceptable ? Dans la série d’articles ouverte la semaine dernière (voir ’Témoignages’ de samedi), un aumônier des prisons, le père jésuite Stéphane Nicaise, a livré les réflexions que lui inspire une situation sociale jugée « de plus en plus alarmante ».
La série se poursuit avec aujourd’hui la réflexion de Reynolds Michel, ancien prêtre et acteur de l’éducation populaire. D’origine mauricienne, Reynolds Michel a été arrêté arbitrairement dans sa cure de La Rivière des Galets en décembre 1970 et expulsé le jour même de La Réunion par les autorités gouvernementales. Celle-ci voyaient d’un mauvais œil l’action journalistique et sociale déployée par ce membre fondateur du Groupe Témoignage Chrétien de La Réunion et membre de l’ADNOE, une association fondée pour veiller à la régularité des élections. Les autorités ont évoqué un décret - inapproprié - du 29 juillet 1935 pour lui retirer carte d’identité et carte de séjour, s’exposant ainsi à une annulation de l’arrêté d’expulsion.
Reynolds Michel a fondé et dirigé par la suite le Centre pour le Développement et la Promotion sociale (ex-CDPS). Il est aujourd’hui proche de la retraite et demeure au Port. On lira ci-après sa contribution à l’analyse de la violence sociale à La Réunion et ses propositions pour lutte contre ce phénomène de société.

Lutter contre les actes de violence des jeunes de nos quartiers passe, c’est évident, par une compréhension des causes qui les produisent. Mais tenir trop rapidement et exclusivement cette violence comme le produit ou le résultat d’un ensemble de phénomènes extérieurs (chômage, précarité, exclusion...) ne peut que nous conduire à l’impuissance et à la démobilisation.
Car que pouvons-nous devant un mal extérieur contre lequel nous n’avons aucune prise ? La tentation est alors grande de chercher à se protéger par tous les moyens contre les auteurs de ces troubles. Que faire ?

Se réconcilier avec soi-même

La violence est un obstacle au "vivre ensemble" dans une société. Elle est le refus de l’autre, de ses droits et de son humanité. Elle pourrit et détruit tout sur son passage en se nourrissant de notre propre violence, celle qui est en chacun de nous (l’homo sapiens est également un "homo violens"), prête à nous envahir si nous ne cherchons pas à la découvrir et la faire reculer.
Il faut donc cesser de ne voir la violence qu’en dehors de nous et avoir le courage et l’intelligence d’observer la violence qui est en nous pour mieux la canaliser. Se réconcilier avec soi-même passe par cette reconnaissance.
« Nous ne pourrions concevoir une civilisation qui décharge un seul d’entre nous de la création de soi par soi », a écrit l’économiste François Perroux (1).

Réagir immédiatement

La violence sociale est donc à combattre immédiatement là où elle se produit, même dans ses moindres formes de délinquance et/ou d’incivilités, en faisant évidemment le choix de la prévention et de l’éducation.
Ne pas la traiter immédiatement et radicalement avec tous les moyens à notre disposition et en impliquant tous les partenaires de terrain et toutes les médiations possibles, c’est prendre le risque d’augmenter le sentiment d’insécurité et de peur en faisant disparaître tous les espaces de communication et de convivialité dans la cité.
Comme l’a écrit justement Sébastien Roché, « c’est à l’aune des civilités quotidiennes que les habitants font l’expérience du lien social. Ce n’est que si les incivilités sont réduites que la citoyenneté peut trouver tout son sens ». (2)

Traiter les symptômes ensemble

Est-ce à dire que nous devons nous contenter de traiter les symptômes de la violence juvénile sans tenir compte du terrain qui la produit ? Bien sûr que non. Si nous voulons une société plus pacifiée, il est plus que jamais nécessaire de lutter contre les injustices-mères qui gangrènent le tissu social en engendrant diverses formes de violence. Le rejet d’une multitude de jeunes dans la marginalité sociale ne sert pas la paix sociale.
Quel espoir d’intégration professionnelle ont les jeunes de nos quartiers ? Pratiquement aucun. Ils se sentent inutiles, impuissants et abandonnés. D’où un certain nombre de réactions violentes.

Un travail en réseaux

La délinquance des jeunes est souvent - il faut en prendre conscience - une délinquance d’exclusion, une forme désespérée de survie.
Mais ce combat de fond visant les racines même du mal doit être mené conjointement avec la lutte contre tous les actes et situations de violence, sans aucune complaisance avec la jeunesse. Autrement dit, les causes et les conséquences doivent être traitées ensemble, de manière systémique.
Le traitement de ces diverses causes de violence est, comme on le sait, fort complexe et c’est un travail à long terme. En outre, il n’y a pas une seule réponse, une réponse miracle et définitive. Mais un ensemble d’initiatives à mener de front, articulé à un travail en réseaux peut la faire reculer afin de permettre un mieux vivre ensemble.

Apporter des réponses concrètes

Les politiques agissent. L’État conduit diverses interventions sur les causes et les conséquences des situations de violence, mais les réponses ne sont pas à la hauteur des enjeux d’un mieux vivre ensemble dans notre société. Les collectivités locales - notamment les Mairies - ne sont pas inactives.
Elles mènent des politiques d’animation sportive et culturelle en direction des jeunes ; elles tentent d’animer socialement et économiquement les quartiers et incitent les entreprises à s’installer sur leur territoire respectif.
À travers le Contrat local de sécurité et d’autres instances, elles tentent une meilleure collaboration entre les divers acteurs de terrain en vue d’une meilleure prévention et intégration des jeunes. D’autres initiatives sont prises par les associations pour animer les quartiers et donner la parole aux jeunes.

La concertation la plus large

Mais, il reste encore beaucoup à faire, notamment en matière de soutien aux familles en difficulté, d’accompagnement des jeunes les plus déstructurés, de développement des liens sociaux entre les habitants des quartiers, à travers, par exemple, des ateliers d’échanges de savoirs et savoir-faire et surtout de concertation entre les partenaires intervenant sur le terrain.
Que proposer encore dans les quartiers pour lutter contre le désespoir et les frustrations de nos jeunes ? C’est par la concertation la plus large possible que nous aurons la chance de trouver les réponses éducatives, à inventer ensemble, pour donner un peu d’espoir aux jeunes de nos quartiers.

Une mobilisation permanente de la société dans son ensemble

À ce sujet, concernant la Commune du Port, nous constatons, d’une part, que les associations financées par la Mairie ont du mal à travailler ensemble et, d’autre part, que les Confessions religieuses qui ont pourtant un impact important sur la population et les Centres de formation qui font un travail difficile auprès de jeunes ne sont jamais invités à participer à ce combat en collaboration avec les autres institutions. Il y a là une grosse lacune. Ces problèmes de violence exigent une mobilisation permanente de la société dans son ensemble.
Pour conclure ce point de vue, pourquoi pas une semaine de réflexion chaque année sur la violence (à travers un thème précis) dans tous les quartiers et institutions éducatives pour mieux sensibiliser les jeunes, les parents et tous les citoyens et acteurs de terrain aux enjeux du "vivre ensemble" ?
Et pourquoi pas la mise en place, dans chaque quartier de la ville, d’un atelier "professionnel" destiné aux jeunes où ils pourront échanger et partager leurs savoirs et savoir-faire, tout en s’initiant à un métier ?


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