Nos peines

’Toto’ Nirlo n’est plus

Saint-Denis

6 août 2003

Qui à Saint-Denis ne connaissait pas "Toto" Nirlo ? Jocelyn Nirlo pour l’état-civil, qui lui ouvre ses registres en 1921, "Toto" a été une figure populaire parmi les plus attachantes qu’ait connues Saint-Denis, depuis l’époque de la fin de la Colonie et des combats des Réunionnais pour leurs libertés.
C’était un petit homme sec, d’aspect fragile, un regard malicieux sous une toison frisée et un caractère indomptable. « Nerveux comme un tang ! Personne n’a jamais eu raison de lui », se souvient un camarade dionysien.
D’origine très modeste, il était devenu petit colon et a travaillé comme journalier agricole sur les terres de plusieurs propriétaires du Bois de Nèfles et de la Bretagne. Grand travailleur, il entendait bien mener sa barque lui-même, en dépit de sa relative pauvreté et il a passé une partie de sa vie à tenir tête à ses propriétaires, dans la période de l’après-guerre.
Très proche de Félix Gauvin, son aîné de neuf ans, Toto Nirlo était comme lui d’un dévouement sans borne envers la population. « Félix Gauvin était l’infirmier du village, dans les années d’après la guerre. Et quand en 1956, il a quitté le Bois de Nèfles, "Toto" a appris de lui à faire les piqûres pour pouvoir continuer à soigner les gens. Il allait de case en case avec ses grandes seringues à alcool », se rappelle Georges Gauvin.

« Toujours prêt à servir tout le monde »

Mais Toto Nirlo était surtout connu comme agriculteur. Il a cultivé la canne, planté du géranium, du manioc, des ananas et des letchis. Travailleur acharné, il était toujours prêt à tenter des expériences. Plus tard, dans les années 70, il a expérimenté la culture du riz de montagne, qui à l’époque n’a pas reçu le soutien des dirigeants agricoles.
Quel soutien Toto Nirlo aurait-il pu attendre de quelque pouvoir que ce soit, à l’époque où il menait la vie dure aux épigones des maîtres fraudeurs et aux agents de la répression ? Dans la mémoire des habitants du Bois de Nèfles, et bien au-delà, Toto Nirlo était un "pilier" du quartier.
« Il était toujours prêt à servir tout le monde », se souvient Florian Baillif, qui a connu Toto en arrivant à Saint-Denis, dans le milieu des années 70. Quand la fête de "Témoignages" battait le rappel des militants en décembre, Toto Nirlo y envoyait par solidarité des balles de letchis.

Expulsés ensemble du bureau de vote

« Quand Toto faisait une réunion chez lui, tout le Bois de Nèfles venait. Il ne savait peut être pas lire mais il était très écouté », poursuit le Dionysien d’adoption, pour qui Toto a été et reste, avec tant d’autres personnages flambloyants, une des figures historiques du Parti communiste réunionnais à l’époque de la répression la plus dure. Les réunions, toujours plus ou moins interdites, se tenaient à la nuit tombée et les militants s’éclairaient au fanal pour passer de case en case.
Joseph Quasimodo, 84 ans cette année, a tenu des bureaux de vote en ce temps-là avec son camarade du Bois-de-Nèfles/La Bretagne. Ils ont même été expulsés ensemble ! « J’y suis allé deux fois, à l’époque du "vote franc", quand les colons devaient voter devant leur propriétaire sans passer par l’isoloir », se souvient l’ancienne victime de l’ordonnance d’octobre 60, aujourd’hui retiré à la Plaine des Palmistes.
« Une fois, après avoir été expulsés d’un bureau de vote, on a dû se réfugier dans un champ de cannes là-haut, par une nuit sans lune… heureusement. Toto connaissait tout le monde et tous les chemins du secteur. C’est comme ça qu’on a pu échapper aux nervis des gros propriétaires du coin », se souvient encore Joseph Quasimodo.

Un modèle de rassembleur

Des histoires de l’époque héroïque, Toto Nirlo et ses camarades en ont vécues à foison, entraînant avec eux des jeunes jusqu’à une période récente. Avant la maladie qui a finalement emporté l’ancien "infirmier marron"…
Sully Laude, petit-fils de Léonide et neveu d’Éliard Laude, disparu tragiquement en 1959 dans une manifestation contre la fraude, est un de ces jeunes militants d’aujourd’hui qui ont trouvé en Toto Nirlo un grand frère et un guide, un modèle de rassembleur aussi. Connaissant les liens de très grande fraternité qui unissent encore entre eux les "survivants" de l’époque de braises, c’est tout naturellement qu’il s’est trouvé porteur d’une lettre que Paul Vergès a adressée hier par ses soins aux enfants de Toto Nirlo, qui en ont été très émus.
À toutes les personnes touchées par la disparition de "Toto" Nirlo, en particulier ses six enfants, "Témoignages" présente ses plus sincères condoléances et les sentiments fraternels et chaleureux de tous ceux, amis du journal et militants, qui ont connu leur père.


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