La Petite-Île

Trop de pépins pour les producteurs d’agrumes

Une filière peu organisée, des partenaires qui ne jouent pas le jeu…

6 août 2003

ls sont beaux. Ils sont juteux. C’est du produit péi, donc forcément meilleur sak i sorte sé pa kel koté. Et pourtant, ces jolis fruits, les producteurs n’arrivent pas à les écouler. L’an dernier, la production fut plutôt moyenne, la faute aux conséquences de Dina. Mais cette année, tant en quantité qu’en qualité, la production est bonne. Mais la commercialisation, en revanche, n’est pas au rendez-vous. Ou plutôt, les agrumiculteurs ont du mal à écouler leur production à un prix correct.
Selon la Chambre d’agriculture qui tire elle aussi la sonnette d’alarme, les prix pratiqués sur les différents circuits de commercialisation n’ont jamais été aussi bas depuis dix ans ! Pour Joseph Fontaine, qui cultive un hectare de mandarines (ce qui représente une vingtaine de tonnes) la situation est carrément catastrophique. Et il est loin d’être un cas isolé. Pourtant, font remarquer les responsables de la Chambre, les fruits péi, dont tout le monde reconnaît la qualité, sont moins chers que les agrumes importés d’Israël ou d’Afrique du Sud…
La situation est telle que certains agriculteurs vendent à perte. Par exemple, la caisse de 25 kilos de mandarine se vendait à 50 euros, soit 50 centimes le kilo. Sachant que le coût de production est d’environ 30 centimes le kilo, cela permettait une certaine marge. Or, racontent des producteurs, les prix ont tellement chuté, que l’on a même vu la caisse de 25 kilos partir à…4 euros ! « Kan ou sa va vende, i reste a ou 14 caisses dan’ camionette, ou préfère largué plito rante out kaz avec », lâche un planteur, dépité.

« Tout cela a un coût »

La faute à la surproduction ? Pas vraiment. La production de cette année se situerait plutôt dans la moyenne de 8.500 tonnes par an. En fait, si la situation est jugée « catastrophique », les causes de cette situation sont multiples et c’est leur accumulation qui pose problème. Dans cette affaire, chacun porte sa part de responsabilité et les producteurs ne sont pas forcément exempts de tout reproche.
Si la production d’agrumes est, avec 8.500 tonnes par an, la première production fruitière de l’île, elle se caractérise par une "atomisation". En effet, on dénombre plus de 200 producteurs pour 380 hectares cultivés sur l’ensemble de l’île. La plupart des parcelles font en moyenne moins de deux hectares. Ensuite, la filière souffre à l’évidence d’un manque d’organisation. Certes, il existe bien trois groupements, mais qui touchent une petite minorité des 200 producteurs. Par exemple, le GIE fruit, dans le Sud, compte une quinzaine d’adhérents pour une production de 400 tonnes. Ce qui est ridicule quand on sait qu’à elle seule, la commune de La Petite-Île, berceau de la production d’agrumes à La Réunion, fournit plus de 2.000 tonnes, soit un quart de la production réunionnaise !
Mais ces groupements ont le mérite d’exister et leurs adhérents, par leur professionnalisme, leur savoir-faire, tirent la qualité vers le haut. « Aujourd’hui, on ne fait plus de tout-venant. Les fruits sont calibrés, emballés, tout cela a un coût », fait remarquer Alain Cataye, qui intervient en tant que président du SUAD, service de la Chambre d’agriculture.
Face à ces efforts réels consentis par certains producteurs, les partenaires potentiels ne jouent pas forcément le jeu. Ainsi, un technicien de la Chambre fait remarquer que l’an dernier, dans l’ensemble des collèges et lycées de l’île, à de très rares exceptions, l’ensemble des fruits servis aux rationnaires était importé.
Pourtant, avec près de 350.000 repas servis dans la restauration scolaire sur l’ensemble de l’île, rien qu’un fruit par élève par semaine, cela permettrait d’écouler 35 tonnes hebdomadaires. À raison de 25 semaines entre avril et septembre, période de production d’agrumes, cela permettrait d’écouler quelque 800 tonnes, ce qui est loin d’être négligeable.
Pour cette année, les grèves d’avril, mai et juin, la fermeture d’établissements scolaires et des cantines n’ont pas arrangé les affaires des producteurs qui y ont laissé des plumes…
Autre partenaire montré du doigt : les grandes et moyennes surfaces qui, affirme Jean-Bernard Hoarau, vice-président de la Chambre d’agriculture, « ne jouent pas le jeu et privilégient l’importation au détriment de la production locale ». Et il ajoute : « Si les grandes surfaces et les collectivités jouaient le jeu, la production locale ne suffirait pas, alors qu’on importe chaque année 4.000 tonnes d’agrumes ! » Il y a donc là de réels efforts à accomplir en terme de conquête de marché.

Sensibiliser les collectivités et les transformateurs

Il suffit de se promener dans les Hauts du Sud, de La Petite-Île, de Saint-Joseph, et en d’autres lieux de production de l’île pour constater qu’alors que la fin de la saison est toute proche, les pieds sont encore copieusement garnis de fruits. Se pose alors la question de la transformation. Mais là encore, producteurs et Chambre d’agriculteurs sont d’accord pour dire que les transformateurs potentiels ne jouent pas le jeu et préfèrent se tourner vers des produits importés sous forme de concentrés.
« Il y a une quinzaine de jours », expliquent MM Lucas et Rossolin, techniciens de la Chambre d’agriculture, « nous avons organisé une réunion entre producteurs et transformateurs. Sur une dizaine d’invitations envoyées aux industriels, un seul a répondu présent ! »
Pour les professionnels, la chose est entendue : sans le concours des collectivités pour la restauration scolaire, sans un écoulement dans les grandes surfaces, et sans le concours des industriels pour la transformation, point de salut. Mais, rappelle Alain Cataye, les producteurs doivent également se prendre en main. Le président du SUAD affirme que la Chambre consulaire travaille actuellement sur deux axes.
En premier lieu, l’immédiat, avec des actions de valorisation et de promotion et l’organisation d’un marché mettant en contact le producteur et le consommateur. Un marché forain bis ? « Non », répond Alain Cataye, « car sur les marchés forains, on trouve essentiellement des bazardiers et à peine 10% de producteurs ». L’organisation de cette action de communication devrait se faire d’ici à la fin du mois d’août.
Seconde piste de travail, concernant le moyen et le long terme : sensibiliser les collectivités et les transformateurs. Comme quoi, produire péi est une chose et les agriculteurs ont un avoir-faire que nul ne conteste. Mais le réflexe de la consommation péi reste à acquérir… Souhaitons que nos agrumes péi ne meurent pas, victimes du complexe de la goyave de France…

An plis ke sa…
Surfaces cultivées en fruits
En surfaces cultivées, c’est le letchi qui arrive en tête, cultivé sur près de 900 hectares. Viennent ensuite les agrumes, sur 380 hectares.
Production fruitière
Avec 8.500 tonnes annuelles, les agrumes représentent 21% de la production fruitière réunionnaise, suivis par les letchis, avec 21%, tandis que l’ananas arrive en tête avec 24%. En quatrième position, arrive la banane, qui représente 16% de la production de fruits dans l’île.
Chiffre d’affaires
La filière agrumes représente un chiffre d’affaires de 4 millions 500.000 euros, soit 17% de la valeur globale des productions fruitières réunionnaises.
Sites de production
On compte dans l’île 200 producteurs d’agrumes. Les plus gros sites de production sont Petite-Île (80 hectares), Saint-Benoît (80 hectares) ou encore Sainte-Rose avec 30 hectares. Ces fruits sont cultivés jusqu’à une altitude de 900 mètres, mais les conditions de productions optimales se situent entre 300 et 700 mètres d’altitude.
La reine mandarine
Au total, ce sont huit espèces d’agrumes qui sont cultivées dans l’île. Mais à elle seule, la mandarine représente 46% des surfaces plantées. Viennent ensuite les oranges et tangor avec 32,9% des surfaces et les clémentines (12,3%), les combavas (4,6%), les citrons (2,9%) le reste des surfaces étant occupé par les pomelos, limes ou kumquat.

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