La Politique agricole commune et l’agriculture réunionnaise

« Vigilant mais pas pessimiste »

Jean-Claude Fruteau rencontre les élus de la Chambre d’Agriculture

7 avril 2003

Samedi matin, le député de La Réunion au Parlement européen, Jean-Claude Fruteau, a eu une rencontre de près de deux heures avec le Bureau et le président de la Chambre d’Agriculture, Guy Derand, auxquels il a présenté un point d’actualité sur la réforme en cours de la politique agricole commune de l’Europe, les incidences sur l’agriculture de notre île et en particulier les discussions pour l’OCM Sucre.

L’euro-député Jean-Claude Fruteau, l’un des deux élus de La Réunion au Parlement européen, passe relativement peu de temps dans son île d’origine : le temps utile cependant pour organiser des rencontres avec les professions agricoles et faire circuler les informations. Le dernier samedi de mars, il a rencontré à Saint-Benoît des agriculteurs de l’Est, a répondu au pied levé à l’invitation du président de la Chambre pour le premier samedi d’avril et sera en une prochaine occasion en présence d’agriculteurs de l’Ouest.
Les planteurs réunionnais ont tous le même besoin de savoir en quoi les transformations de la Politique agricole commune (PAC) vont peser sur les orientations, voire les résultats de l’agriculture insulaire. Pour la plupart, ils sont inquiets. Le président de la Chambre d’Agriculture, Guy Derand, a exprimé à la fois le besoin d’être « rassuré » et celui de « rester très vigilant », en particulier devant les négociations de l’OCM Sucre.

« On subventionne le déficit »

Devant une douzaine de membres élus de la Chambre d’Agriculture, l’euro-député a évoqué le gel du budget agricole (2006-2013) décidé au dernier sommet de Bruxelles avant même que ne soit fixé le cadre de la réforme, la défense de l’article 299-2 dans le cadre de la préparation de la prochaine Conférence Inter-Gouvernementale (CIG), l’initiative "Tout sauf les Armes" (EBA, en anglais) et, plus près de nous, « l’alerte orange-rouge » mise sur l’agriculture réunionnaise par les pressions sur le foncier.
Membre de la commission agricole du parlement européen, où il siège avec les autres socialistes, Jean-Claude Fruteau est favorable à une réforme de la Politique agricole commune (PAC), soulignant que « dans la PAC actuelle, 80% des aides vont à 20% des agriculteurs », la France étant le premier bénéficiaire et particulièrement ses plus gros producteurs céréaliers.
Il rappelle que la réforme de la PAC doit « rendre les politiques conformes aux règles de l’organisation mondiale du Commerce » (OMC) et permettre d’aller « vers une autre politique alimentaire » - disent ses défenseurs - pour corriger une politique décidée à la sortie de la guerre pour combattre les pénuries. « Aujourd’hui, on produit à perte et on compense. On pourrait même dire qu’on subventionne le déficit », a-t-il ajouté.

Des répercussions sur la répartition des aides publiques

Face au petit aréopage constitué de quelques élus de la FDSEA, l’euro-député n’a pas caché ses réserves devant la politique du gouvernement français, se déclarant « gêné par l’attitude de la France » du fait de son opposition à la réforme. Il devait rappeler à la suite que le bras de fer franco-allemand sur ce sujet avait conduit à un compromis lourd de menaces : celui du gel des budgets agricoles jusqu’en 2013.
Ce gel aura des répercussions sur la réforme du secteur laitier en particulier et sur la répartition des aides publiques, puisqu’entre 2006 et 2013, l’aide publique aux dix pays d’Europe de l’Est nouvellement intégrés doit passer de 35% à 100% sans augmentation du budget global.
« L’opposition frontale du gouvernement français n’est pas la meilleure posture qui soit pour demander en même temps le maintien des spécificités pour l’outre-mer », a-t-il commenté, ouvrant ainsi le chapitre des RUP et du sort de l’article 299-2 du Traité d’Amsterdam.

Le maintien du 299-2 dans la Constitution européenne

La Convention européenne que préside Valéry Giscard d’Estaing « travaille d’arrache-pied » à la préparation d’un plan qui doit être présenté cette année, « le plus tôt possible », en vue de la Conférence Inter-Gouvernementale - réunissant les chefs d’État et les gouvernements - pour décider avant 2004 de la nouvelle Constitution.
L’euro-député devait rappeler les interventions de la Région Réunion pour que soit gardé dans le droit primaire le contenu de l’article 299-2. Lui-même a fait plusieurs interventions pour faire prendre conscience de l’importance de cette demande à la Commission européenne, actuellement sous présidence grecque.
La plus notable est la signature, avec les députés d’Espagne et du Portugal et le soutien de Pervenche Beres, chef de la délégation socialiste française au Parlement européen, d’une contribution à la Convention expliquant le bien-fondé du maintien du 299-2.
Selon Jean-Claude Fruteau, « le président de la Commission a clairement pris acte de notre demande ». Le maintien du 299-2 dans son contenu ne ferait plus débat, celui-ci portant désormais sur la place de cet article dans la prochaine Constitution européenne. « Il faut que ce soit dans une partie générale, reconnaissant un droit particulier de dérogation » a-t-il expliqué, avant d’inviter les agriculteurs présents à ne pas laisser les politiques et parlementaires intervenir seuls. « Plus il y aura d’interventions, plus la Commission sera réceptive », a complété Jean-Claude Fruteau.

Les risques pesant sur la filière canne

La priorité de l’heure, pour la Commission, est de faire passer la réforme de la PAC, quitte à renvoyer à plus tard la discussion sur les Régions ultra-Périphériques (RUP). Une position qui a sa logique, concède l’euro-député socialiste, qui n’en a pas moins fait une question écrite à Franz Fischler, membre de la Commission chargé de l’agriculture, du développement rural et de la pêche, pour attirer l’attention sur la question de l’avenir des RUP, lié à la réforme de la politique agricole.
Quant aux risques pesant sur la filière canne, le député européen les a surtout abordés à partir du programme "Tout sauf les Armes", qui a donné lieu à des accords commerciaux entre l’Europe et les Pays les Moins Avancés (PMA) permettant à terme à ces derniers d’exporter leurs produits vers l’Europe - et ses dépendances - sans tarification douanière.
Dans le cadre de ces accords commerciaux, le risque existe que ces pays exportent aussi vers l’Europe leur production sucrière. C’est ce qui ressort d’une étude évoquée par le député de La Réunion, selon laquelle - dans une des hypothèses envisagées - l’Europe pourrait importer « un million de tonnes de sucre en provenance des PMA à l’horizon 2010 ».
Une révélation nuancée d’un jugement selon lequel l’initiative "EBA" « est plus un danger virtuel qu’un danger actuel ». Outre qu’il croit peu à la valeur d’outils commerciaux - comme le sont ces accords - pour aider au développement des "pays les moins avancés", l’euro-député s’est dit « vigilant mais pas pessimiste » sur la suite des discussions pour l’OCM Sucre.

Dés pipés

« Nous ne sommes pas les seuls à voir le danger », a dit Jean-Claude Fruteau, ajoutant que l’OCM Banane est beaucoup plus menacée, c’est-à-dire « condamnée à l’horizon 2006 », faute d’anticipation. « C’est l’exemple à ne pas suivre », a-t-il commenté, sans s’étendre sur les effets, au moins psychologiques, qu’une telle déroute pourrait causer dans les rangs des défenseurs de la politique agricole européenne.
Jean-Claude Fruteau a rappelé que l’OMC (Organisation mondiale du Commerce) veut le démantèlement - et non la réforme - de la politique agricole commune, décriée comme « un îlot de protectionnisme » par des ultra libéraux qui, en particulier outre-Atlantique, subventionnent leurs agriculteurs à hauteur de 20.000 euros par an, quand les agriculteurs européens reçoivent 16.000 euros d’aides publiques.
Et c’est bien aussi parce que les dés sont en grande partie pipés qu’il convient de se garder d’attitudes par trop angéliques et de maintenir la vigilance.


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