Billet philosophique

10.000 enfants meurent de faim chaque jour ; et alors... ?

22 octobre 2010, par Roger Orlu

Samedi dernier, dans son journal télévisé de 20 heures, TF1 a parlé pendant quelques secondes du “Banquet de la Faim” organisé ce jour-là à Paris par les équipes d’Action contre la Faim et la Commission européenne avec plusieurs partenaires. Pour sensibiliser l’opinion à la gravité de la faim dans le monde, des manifestations de ce type ont eu lieu dans une trentaine d’autres villes en France. Quels sont les moyens accordés par les dirigeants des États les plus riches sur la Terre pour combattre les causes de ce crime contre l’humanité ?

Lors du “Banquet de la Faim” mis en place ce 16 octobre à Paris, 10.000 assiettes étalées sur le Champ de Mars ont représenté les enfants morts de malnutrition en une seule journée. Alix Maitre, un des militants bénévoles de cette manifestation, donne les raisons de son engagement : « Je crois que nous ne sommes pas assez sensibilisés à la malnutrition ; on sait tous que ça existe, mais on n’agit pas. La Journée Mondiale de l’Alimentation est l’occasion de faire un gros événement pour sensibiliser la population. De plus, le Champ de Mars est un lieu touristique, et les 10.000 assiettes symbolisant les 10.000 enfants qui meurent chaque jour de la malnutrition permettent de prendre conscience de l’ampleur du fléau ».
Lorsqu’on lui demande ce qu’on pourrait dire au public pour lui faire prendre conscience de l’ampleur de la malnutrition, il répond :
 « Tout d’abord, que 3,5 millions d’enfants meurent de faim chaque année, ce qui fait 10.000 par jour ! La malnutrition aiguë sévère est une maladie très grave mais on sait comment la soigner. C’est ce qu’il est important de retenir : tout ce qu’il manque, ce sont les moyens. Il existe de nombreuses maladies pour lesquelles il n’existe pas encore de traitement ; pour la malnutrition, le traitement existe ; alors qu’attendons-nous ? ». Et il ajoute : « La faim n’est pas une fatalité, mobilisons-nous et soutenons les actions menées par les associations ! ».

« Un ordre cannibale »

Le 16 septembre dernier, “l’Humanité-Dimanche” a publié un entretien avec Jean Ziegler sur les causes de cette tragédie d’originelle criminelle, qui suscite l’indifférence chez la plupart des dirigeants de la planète, avant tout au service des plus riches, dont les 1.011 milliardaires (en dollars) actuels (contre 25 en 1991). Le vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l’Homme à l’ONU, ancien rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, dénonce les retards de la réalisation des 8 Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) décidés en septembre 2000 par les dirigeants des États membres de l’ONU pour 2015.
Et d’où viennent ces retards ? Du fait qu’« il existe aujourd’hui, à l’intérieur de l’Organisation, deux camps : ceux qui demandent des mesures coercitives pour que cet intérêt général soit assuré ; et ceux pour qui seul un marché mondial libéralisé et privatisé permettra de répondre à ces huit tragédies mondiales ». Parmi ces derniers, on trouve notamment les États français et allemand. Ainsi, « fin 2008, Merkel et Sarkozy annonçaient 1.700 milliards d’euros pour le système bancaire. Et peu après, leur aide au Programme alimentaire mondial s’est tarie. Son budget est passé de 6 milliards à 3,2... ». Et Jean Ziegler d’ajouter : « Bien sûr, la crise est horrible mais elle est due à la spéculation effrénée, à l’avidité folle de quelques oligarques, détenteurs du capital financier ». C’est pourquoi, « les huit tragédies que recouvrent les OMD tiennent à l’ordre cannibale du monde, et c’est aux structures de cet ordre qu’il faut s’attaquer ».

« Des décisions collectives »

Dans cet entretien, Jean Ziegler expose un certain nombre de mesures concrètes à prendre d’urgence afin que « l’ensemble de ces structures meurtrières soient brisées par la négociation inter-étatique ». Et il conclut : « l’espoir réside dans la prise de conscience de plus en plus avancée que cet ordre du monde est cannibale, que le langage occidental des droits de l’Homme est un double langage, que ces huit tragédies mondiales sont faites de mains d’humains et que ces structures d’oppression peuvent être brisées par des décisions collectives (…) contre la dictature mondiale du capital financier et les ravages qu’il impose à la planète ».

Évidemment, les graves problèmes sociaux de La Réunion sont très différents de ceux de la faim dans le monde, même si ces derniers nous concernent également. Toutefois, nous pouvons “réunionniser” les réflexions planétaires de Jean Ziegler si nous voulons libérer notre pays des effets dramatiques de la politique néo-coloniale menée par Paris avec la complicité de certains élus “péi” assimilés. Il y a en particulier ce concept de “décisions collectives” qu’il met en avant.

Ainsi, peut-on imaginer une union des organisations politiques, syndicales et associatives de La Réunion — dans le respect de leur diversité — autour d’un projet de développement durable pour le bien commun de notre peuple et d’abord des plus pauvres ? Une union de nos élu(e)s et des collectivités réunionnaises solidaires d’un tel projet ? Une union débouchant sur des décisions collectives prises par les Réunionnais eux-mêmes, en partenariat avec l’État, l’Union européenne et les pays voisins partenaires d’un co-développement régional solidaire ? Koman nou fé sa ?

Roger Orlu

(*) Merci d’envoyer vos critiques, remarques et contributions afin que nous philosophions ensemble… ! [email protected]


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Messages

  • Si à La Réunion, chaque jour autant de personnes devaient mourir de faim ou autrement, ça serait difficile de pouvoir produire quelque denrée en moins de trois mois.

    La Réunion serait décimée entièrement de ses habitants. Cette illusion catastrophique ne fait même plus peur à qui que ce soit, ne serait ce que d’en parler : rien.
    Comment ou y veut que le pays y développe ?

  • 25 milliardaires en 1991 contre 1011 en 2010.
    10.000 enfants meurt chaque jour.

    Plus d’un milliard de gens souffre de la famine, c-à-d qu’ils ont des séquelles permanentes dû à la malnutrition.

    Aujourd’hui, 1.3 milliards de gens ’vivent’ avec seulement 1.25$ U.S. par jour,
    ou encore 2.5 milliards de gens vivent avec moins de 2$ par jour,
    ou finalement 5.5 milliards de gens avec moins de 10$ par jour.

    La question est : Est-ce que notre système social (la société) opère vraiment pour le bien-être tous ?
    Je crois que poser la question est y répondre ...


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