Billet philosophique

« À quand un observatoire social à La Réunion ? »

9 mai 2008, par Roger Orlu

Trop peu de personnes ont participé ce mardi au forum du Centre Saint-Ignace à Saint-Denis avec le sociologue Laurent Médéa sur le thème “Jeunes Réunionnais : alerte misère morale”. Preuve que les discriminations ethno-socio-culturelles et les souffrances physiques et mentales dont sont victimes de très nombreuses personnes à La Réunion n’intéressent pas asez les responsables économiques et ceux qu’ils conditionnent : administratifs, politiques, médiatiques, culturels, religieux etc.
D’ailleurs, il n’y a qu’à voir comment nombre d’entre eux traitent cette réalité humaine vraiment pénible. La plupart de ces détenteurs de pouvoirs sont indifférents à ces problèmes, sous-estiment leur gravité, refusent de s’attaquer à leurs causes (le partage inégal des richesses) et se contentent de prières vers le ciel ou de discours moralisateurs à l’égard des victimes, souvent traitées de “kagnar” et réprimées.
Mais tout cela est logique : comment voulez-vous que la plupart de ceux qui profitent de ce système injuste et inhumain cherchent à le remettre en cause ? Pour eux, c’est à chacun de se débrouiller pour trouver les moyens et les raisons de vivre. C’est la loi de la compétition qui compte par-dessus tout, depuis toujours et pour toujours. Amen !

D’ailleurs, Laurent Médéa a clairement démontré ce qu’il expose dans son étude “La délinquance juvénile à La Réunion” (1) à partir de centaines de dossiers judiciaires et d’entretiens avec des détenus, des travailleurs sociaux et auxiliaires de justice : plus de 80% des personnes mises en examen sont issues des 45 quartiers (sur 400 dans l’île) qui sont « les plus sinistrés socialement ». La quasi totalité de ces personnes sont des descendants d’esclaves, d’engagés et de “ti-blan”, donc des “kaf”, “malbar” et “yab”. Elles ont subi la pauvreté, l’échec scolaire, le racisme, le mépris de classe, l’exclusion sociale, le chômage, la précarité, le mal-logement, le malaise familial, l’absence de projet de vie etc, avec toutes leurs conséquences : souffrances physiques et mentales, dépendance à “l’effet”, dépressions, tentatives de suicides (plus de 3.500 par an), violences familiales, délinquance...
Si l’on prend uniquement le taux de chômage, on mesure la gravité de ce problème. Officiellement, il tourne autour de 30%, ce qui est déjà énorme par rapport à celui de France. Mais si l’on ne compte pas les “zorèy” dans la population active, ce taux atteint les 62% ; mais dans les quartiers en difficulté, il est de 80% et il frappe jusqu’à 98% des jeunes de 16 à 25 ans.

Que fait l’État devant un tel phénomène pour faire respecter un droit constitutionnel : le droit au travail pour tous les Réunionnais ? Que fait-il pour instaurer à La Réunion une société équitable et donc harmonieuse ? Que font les services de l’État pour prévenir les conséquences d’une telle situation ? Il suffit de se poser ces questions et d’y réfléchir un peu pour mesurer les fautes politiques et les carences de l’État, principal détenteur de pouvoirs dans l’île. Et à quel type d’État avons-nous affaire ?
Que fait-il au moins pour connaître ces problèmes et analyser leur évolution afin de favoriser la recherche et la mise en place de solutions ? La réponse est claire : rien. Il y a bien dans notre pays un observatoire volcanologique, un observatoire des tortues marines, un observatoire des prix et des revenus (même s’il n’a produit jusqu’à présent aucune analyse digne de ce nom) et d’autres structures de ce type. « Mais à quand un observatoire social à La Réunion ? » a demandé Laurent Médéa en concluant son exposé.
Le conseiller régional Radjah Véloupoulé a rappelé récemment qu’une des tâches de l’État qui s’impose au niveau de l’Université de La Réunion est de créer un institut des sciences humaines, avec de la philosophie, de la psychologie et de la sociologie.

Roger Orlu

(1) Janvier 2007. Centre Interdisciplinaire de Recherche de Construction Indentitaire (CIRCI) - Université de La Réunion.

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Messages

  • Cet article suscite plusieurs interogations :
    - Lorsque que l’on affirme que "La quasi totalité de ces personnes sont des descendants d’esclaves, d’engagés et de “ti-blan”, donc des “kaf”, “malbar” et “yab”" cela signifie que l’essentiel de la population Réunionnaise est représentée dans le panel. Alors qu’elle est le but de la démonstration ?
    - L’autre affirmation qui me trouble est celle -ci, je cite "Si l’on prend uniquement le taux de chômage, on mesure la gravité de ce problème. Officiellement, il tourne autour de 30%, ce qui est déjà énorme par rapport à celui de France. Mais si l’on ne compte pas les “zorèy” dans la population active, ce taux atteint les 62%" Les statistiques ethniques étant interdites, comment le chercheur détermine t-il le nombre de zoreils dans la population active ?

    Sans nier le désastre social et humain que vit notre île avec une jeunesse complètement larguée, je crois qu’il est nécessaire de faire une analyse de la situation qui soit incontestable.

  • A propos de l’observatoire social à la Réunion.

    Oui,cet article est trop partisan, il ne propose aucune solution.En effet,tout ce qu’il écrit semble exact mais idéologique, il voit de la discrimination partout, ce n’est pas avec de tels arguments que l’on résoudra le problème. Il est trés facile de proner le partage des richesses des autres en ignorant toute l’assistance actuelle "Assedic,RMI, Cadeaux de Noel aux chomeurs et autres aides de toutes sortes etc...etc...etc..".Ce n’est pas rien.Il est inutile aussi de se focaliser sur une ethnie particulière, cela ressemble à une autre discrimination, ce problème existe partout.Il est, certes,plus facile d’accuser l’ETAT mais que fait la Société Civile,que font les Politiques,que font les Associations,que faisons nous nous-mêmes ????.C’est par l’ECOLE, avec un apprentissage adéquat que l’on résoudra le problème. C’est tout ce que je souhaite à mon pays.

  • tout est juste : article, réactions des différents intervenants !
    Mais personne ne propose de solution ! C’est vrai que c’est un sociologue et non pas un politique - doté de pouvoirs !
    Malcolm

    • Oui Malcom, la réponse est dans l’un des messages L’ECOLE, L’EDUCATION, L’APPRENTISSAGE d’un métier. Il faut commencer par le commencement, malheureusement pour l’appliquer, je ne détiens aucun pouvoir, la parole est aux Politiques, qu’attendent-ils ???


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