Billet philosophique

À quoi cela sert d’avoir peur ?

30 octobre 2009, par Roger Orlu

Vendredi dernier, suite à la conférence-débat organisée à Saint-Denis par l’Association pour le 19 Mars, nous avons souligné les impasses et les blocages où peuvent conduire l’irrationalité et l’impulsivité, notamment dans la vie politique, ainsi que les transformations sociales que favorise à l’inverse l’usage de la raison. Dans la semaine, une amie nous a raconté une anecdote qui met en évidence, sous un autre angle, les pièges de l’existence lorsqu’elle est déterminée par les émotions plutôt que par la raison.
Cette amie, qui se déplace à vélo sur de courtes distances pour tous ses besoins quotidiens chaque fois que cela est possible, a rencontré un jeune sportif de sa ville et elle l’a invité à se déplacer avec elle le soir lorsqu’ils participent ensemble à des réunions de travail. Il lui a répondu gentiment : « non, ce n’est pas possible, j’ai peur de me déplacer à vélo en ville la nuit, c’est trop dangereux ».

Le "4 X 4 la moukate"

Cette remarque est révélatrice des préjugés qui entourent les modes de déplacements doux et actifs. Parmi ces préjugés, il y a la croyance que le vélo est dangereux, risqué. Les craintes sur les prétendus risques liés à la circulation dominent l’idée qu’il suffit d’assurer sa sécurité par la prudence, la vigilance et la prévention de tous les dangers par la visibilité du cycliste et par son attention constante aux autres usagers de la route, en particulier avec l’aide d’un rétroviseur.
À ces craintes s’ajoutent celles créées par la propagande et le conditionnement médiatique des esprits sur l’insécurité liée à la délinquance. On croit en permanence que l’on risque à chaque instant, surtout la nuit, d’être agressé par des délinquants. On est tellement formaté par ce préjugé que l’on croit qu’il vaut mieux se déplacer en voiture, une tour d’ivoire, de préférence un "4 X 4 la moukate" pollueur, plutôt qu’à vélo.

La peur de l’autre

En fait, la peur est utilisée dans tous les domaines pour conditionner les mentalités afin d’imposer à la population l’idéologie dominante et des habitudes donnant à notre vie quotidienne une forme de servitude. La peur ne sert à rien d’autre qu’à faire croire à la personne qu’elle n’a pas intérêt à réfléchir en toute liberté pour analyser une situation et surmonter les contradictions de l’existence.
Voici quelques exemples de ces peurs que l’idéologie bourgeoise cultive en permanence :
la peur de penser par soi-même
la peur de la résistance à toutes les formes d’exploitation et de domination
la peur du changement social
la peur du communisme
la peur de la mort
la peur d’une puissance surnaturelle, bien sûr inexistante
la peur de notre soi-disant destin ou du soi-disant hasard, qui n’existent pas non plus, car tout événement est lié à certaines circonstances
la peur de l’autre en général.

Nous libérer des peurs

Ces craintes, ces appréhensions, ces méfiances, ces inquiétudes dont on nous imprègne chaque jour du matin au soir ont pour objectif d’empêcher au maximum les citoyens d’être libres et responsables. Tout est fait pour les empêcher de chercher à être maîtres de leur existence, de tisser des liens de solidarité avec les autres, voire même de dialoguer avec les autres pour renforcer les liens sociaux et l’harmonie sociale. Tout est mis en œuvre, à travers les peurs, pour faire des citoyens des valets des classes dominantes afin de permettre à celles-ci d’accumuler toujours plus de profit.
Certes, des craintes, des appréhensions, des inquiétudes voire des angoisses peuvent être légitimes, compréhensibles et même parfaitement justifiées. Par exemple, quand une personne a été victime d’une agression ou quand une population est confrontée à de réelles menaces.
Il ne s’agit donc pas de stigmatiser les personnes qui souffrent de la peur, ni de les culpabiliser. Le seul problème, c’est que cette peur ne suffit pas pour affronter le danger. Elle est même inutile, voire néfaste, car elle entraîne une perte de temps pour se préparer à faire face aux difficultés à surmonter.
Cela ne nous sert donc à rien d’avoir peur. Au contraire. La peur gangrène notre existence. Et face aux dangers quotidiens, il vaut mieux tenter de la surmonter par notre intelligence.
Un de nos défis permanents consiste à nous libérer des peurs qu’on nous inculque depuis notre enfance. De nombreux philosophes l’expliquent. En particulier Jean-Paul Sartre (1905 – 1980), pour qui, « le choix du passage à l’action contredit la peur et donne sens à l’existence », selon le dernier numéro de "Philosophie Magazine" (N° 34, novembre 2009).

 Roger Orlu

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