Billet philosophique

Alon métamorfozé nout sosiété

28 janvier 2011, par Roger Orlu

« Lorsque ceux qui sont aux responsabilités politiques ne veulent pas regarder la situation en face, alors, il appartient à chacune et chacun de s’informer, se concerter, pour trouver, ensemble, une solution pour sortir de cette situation dont chacun perçoit l’extrême gravité ». Un ami nous a signalé cette phrase sur le blog de Paul Vergès cette semaine. Elle nous a tout de suite fait penser au livre du sociologue et philosophe français Edgar Morin paru ce 19 janvier aux Éditions Fayard sous le titre : ’La Voie, pour l’avenir de l’humanité’. Voici quelques extraits de cet ouvrage très intéressant, où l’auteur — un des plus grands penseurs actuels en France — plaide pour « la métamorphose des sociétés ». Les inter-titres sont de ’Témoignages’.

« L’issue catastrophique du cours des choses actuel est hautement probable, la probabilité étant définie par ce qu’un observateur, en un temps et un lieu donnés, peut induire de la continuation des processus en cours. Aussi peut on dire que la globalisation constitue le pire qui soit advenu à l’humanité.
Il faut dire également qu’elle en constitue le meilleur. Ce meilleur est que, pour la première fois dans l’histoire humaine, sont réunies les conditions d’un dépassement de cette histoire faite de guerres dont les puissances de mort se sont renforcées jusqu’à permettre désormais un suicide global de l’humanité.
Le meilleur est qu’il y ait désormais interdépendance accrue de chacun et de tous, nations, communautés, individus, sur la planète Terre, que se multiplient symbioses et métissages culturels en tous domaines, que les diversités résistent en dépit des processus d’homogénéisation qui tendent à les détruire. Le meilleur est que les menaces mortelles et les problèmes fondamentaux créent une communauté de destin pour l’humanité entière.
Le meilleur est que la globalisation ait produit l’infra texture d’une société-monde ; que, dans ces conditions d’une communauté de destin et d’une possible société monde, nous puissions envisager la Terre comme patrie sans que celle ci nie les patries existantes, mais, au contraire, les englobe et les protège.

Du probable au possible

Mais la conscience des périls est encore bien faible et dispersée. Mais la conscience de la nécessité de dépasser l’histoire n’a pas encore émergé. Mais la conscience d’une Terre Patrie est encore marginale et disséminée. Mais la globalisation techno économique empêche l’émergence de la société monde dont elle a pourtant créé les infra textures. Mais il y a contradiction entre les souverainetés nationales, encore absolues, et la nécessité d’autorités supranationales pour traiter les problèmes vitaux de la planète. Mais les convulsions de la crise de l’humanité risquent d’être mortelles.
Ainsi, effectivement, la mondialisation est à la fois le meilleur (la possibilité d’émergence d’un monde nouveau) et le pire (la possibilité d’autodestruction de l’humanité). Elle porte en elle des périls inouïs ; elle porte aussi en elle des chances inouïes. Elle porte en elle la probable catastrophe ; elle porte aussi en elle l’improbable mais donc possible espérance.
(…) Mais la chance n’est possible que s’il est possible de changer de voie. Est ce possible ?

Oui, s’il y a métamorphose

Quand un système est incapable de traiter ses problèmes vitaux, il se dégrade, se désintègre, ou bien se révèle capable de susciter un méta système à même de traiter ses problèmes : il se métamorphose.
Tel quel, le système Terre est incapable de s’organiser pour traiter ses problèmes vitaux : périls nucléaires qui s’aggravent avec la dissémination et peut être bientôt la privatisation de l’arme atomique ; dégradation de la biosphère ; économie mondiale dépourvue d’un système de contrôle régulation ; retour des famines ; conflits ethno politico religieux pouvant dégénérer en guerres de civilisations.
(…) Le probable est la désintégration. L’improbable, mais possible, est la métamorphose.

Tout est à repenser

(...) À partir du 21ème siècle se pose le problème de la métamorphose des sociétés historiques en une société monde d’un type nouveau qui engloberait les États nations sans les supprimer. Car la poursuite de l’histoire, c’est à dire des guerres par des États disposant des armes d’anéantissement, conduit à la quasi destruction de l’humanité. Il y a nécessité vitale d’une méta histoire (…).
C’est dans la métamorphose que se régénéreraient ces capacités créatrices. La notion de métamorphose est plus riche que celle de révolution. Elle en garde la radicalité novatrice, mais la lie à la conservation (de la vie, des cultures, du legs de pensées et de sagesses de l’humanité). On ne peut en prévoir les modalités ni les formes : tout changement d’échelle entraîne un surgissement créateur. (…)
Tout est à repenser. Tout est à commencer.

Le salut a commencé par la base

Tout, en fait, a déjà commencé, mais sans qu’on le sache. Nous en sommes au stade de préliminaires modestes, invisibles, marginaux, dispersés. Il existe déjà sur tous les continents, en toutes les nations, des bouillonnements créatifs, une multitude d’initiatives locales dans le sens de la régénération économique,
ou sociale, ou politique, ou cognitive, ou éducationnelle, ou éthique, ou existentielle.
Mais tout ce qui devrait être relié est dispersé, séparé, compartimenté. Ces initiatives ne se connaissent pas les unes les autres (…). Mais elles sont le vivier du futur. Il s’agit de les reconnaître, de les recenser, de les collationner, de les répertorier afin d’ouvrir une pluralité de chemins réformateurs. Ce sont ces voies multiples qui pourront, en se développant conjointement, se conjuguer pour former la Voie nouvelle, laquelle décomposera la voie que nous suivons et nous dirigera vers l’encore invisible et inconcevable Métamorphose. Le salut a commencé par la base ».

Voilà des réflexions très intéressantes, qui encouragent les Réunionnais qui se sont toujours battus pour libérer leur pays. Le concept de "métamorphose" mis en avant par Edgar Morin pour ouvrir une nouvelle voie à l’avenir de l’humanité peut nous inspirer des idées et des actions transformatrices de notre vivre ensemble dans ce pays. Alon batay ansanm pou métamorfozé nout sosiété !

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