Billet philosophique

« Choisir son camp »

23 janvier 2015, par Roger Orlu

La philosophie est une science humaine différente de la sociologie, mais des recherches sociologiques peuvent très bien éclairer des réflexions philosophiques. C’est le cas du travail effectué depuis des dizaines d’années par le sociologue suisse Jean Ziegler, qui vient de publier une nouvelle version de son ouvrage “Retournez les fusils ! Choisir son camp“, où il nous donne notamment le contexte des événements tragiques survenus dans le monde ces derniers temps et les engagements à prendre.

Selon la FAO, un enfant meurt de faim toutes les 5 secondes, assassiné par une finance détentrice d’un pouvoir que nul n’a connu dans l’histoire. Photo réalisée au Soudan en mars 1993 par le Sud-Africain Kevin Carter et désignée « photo de l’année » par le Prix Pulitzer en 1994.

Dans ce livre, Jean Ziegler « décrypte un système capitaliste cannibale, qui tue pour une maximalisation des profits. Face aux assauts de ce système, il appelle les citoyens à se mobiliser, à se retourner contre cette dictature oligarchique pour renverser la forteresse financière », comme le dit ‘’l’Humanité-Dimanche’’, qui vient de l’interviewer. Nous publions de larges extraits de cet entretien.

HD : La paix était-elle concevable dans un monde où un enfant meurt de faim toutes les 5 secondes ?

– Jean Ziegler : Nous vivons sous un ordre cannibale du monde, totalement absurde. L’année dernière, les 500 plus grandes sociétés transcontinentales privées, tous secteurs confondus, ont contrôlé 52,8 % du produit mondial brut, ce qui correspond à toutes les richesses produites une année sur la planète. Marchandises, capitaux, services, brevets, etc. il n’a jamais existé une telle monopolisation, une telle concentration de pouvoir politique, économique, financier, idéologique et militaire.
Cette dictature du capital financier globalisé détient le pouvoir comme jamais un pape ou un empereur n’en n’a eu entre ses mains. Cette oligarchie échappe à tout contrôle social et dicte sa loi aux États, même les plus puissants. Elle fonctionne autour d’un seul principe : la maximalisation du profit dans le temps le plus court. C’est un système de violence structurelle.
En même temps que ces dictatures du capital financier ont produit cette concentration de pouvoir totalement incontrôlé, dans les pays du Sud, les pyramides de martyrs augmentent. Dans son dernier rapport sur l’insécurité alimentaire dans le monde, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) constate que, toutes les 5 secondes, un enfant meurt de faim ou de ses suites immédiates. Plus d’un milliard de personnes sont en permanence gravement sous-alimentées et 59.000 périssent tous les jours. Or la FAO y affirme que l’agriculture mondiale dans son état actuel avec ses forces de production pourrait nourrir normalement 12 milliards d’êtres humains. Nous sommes 7,8 milliards. On est en capacité de nourrir près du double d’êtres humains. Un enfant qui meurt de faim, aujourd’hui, est assassiné. Voilà l’ordre cannibale du monde dans lequel nous nous trouvons et qui écrase la planète. La paix ne se fera jamais, d’aucune façon, sans son renversement. Il faut exproprier et détruire cette dictature du capital financier afin que l’on puisse restaurer des États et le bien commun pour la justice sociale.

• HD : Face à cet ordre cannibale, vous décrivez un large mouvement citoyen. Mais est-il en capacité de retourner les fusils que vous décrivez dans votre livre ?

– JZ : Il s’agit d’un nouveau sujet de l’histoire qui est en train de naître, comme le démontrent les nombreux mouvements de lutte à des endroits totalement différents. Cela crée des fronts de refus et des ruptures. Le philosophe allemand Emmanuel Kant explique que l’inhumanité infligée à un autre détruit l’humanité en moi. La conscience de l’identité crée une conscience de solidarité. Marx affirmait que le révolutionnaire doit être capable d’entendre pousser l’herbe. À nous de le faire en 2015. Pour l’instant, il n’y a pas de front unique mais une multitude de fronts de résistance. À nous de nous mobiliser car il n’y a pas d’impuissance en démocratie. L’insurrection des consciences est proche ».

Roger Orlu

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