Billet philosophique

De graves oublis

27 avril 2012

La philosophie est une science humaine qui ne sert pas à grand-chose si elle ne contribue pas notamment à attirer l’attention de nos sœurs et frères humains sur les problèmes les plus cruciaux à résoudre pour transformer nos sociétés. Parmi ces problèmes, il y en a un qui n’a presque pas été évoqué en France durant la campagne électorale du 1er tour de l’élection présidentielle dans un État qui est pourtant une des six premières puissances mondiales. Et à La Réunion, une des principales contradictions de notre société a également été quasi absente des débats électoraux. Pourquoi ces oublis gravissimes ?

Avez-vous lu ou entendu au cours de cette campagne électorale un seul candidat attirer l’attention des citoyennes et citoyens sur le problème numéro 1 qui frappe une grande partie de l’humanité, à savoir : la faim et la soif dans le monde ? Pourtant, dans le dernier numéro de la revue "Biocontact", Jean Ziegler rappelle que « la faim est aujourd’hui la première cause de mortalité sur Terre : pour 70 millions de décès annuels, la moitié, 35 millions de personnes, meurent de faim ou de ses suites immédiates en un an, la plupart étant des enfants en bas âge vivant dans les pays du Sud ».

Selon le vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, ce crime contre l’humanité est dû notamment au « rôle que jouent les multinationales de l’agroalimentaire, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, l’Organisation mondiale du commerce, la léthargie des gouvernements ». Et la République française est-elle solidaire des peuples du monde victimes de ce crime ? Selon l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), l’an dernier, la France de Sarko a baissé de 5,6% son aide publique au développement, tandis que l’ensemble de cette aide a baissé de 2,7% et que l’aide nette s’est limitée à 101,7 milliards d’euros, soit 0,31% du revenu national brut cumulé des pays riches, alors que l’objectif fixé par les Nations unies d’ici à 2015 est de 0,7%.

Voilà pourquoi il est important de soutenir le projet spécifique réunionnais signé par François Hollande avec Élie Hoarau, qui préconise un co-développement régional solidaire « dans l’océan Indien : travailler en partenariat avec les pays de la zone dans les secteurs de la sécurité alimentaire, de la santé, des énergies renouvelables, de la pêche ».

Abolir l’apartheid social

À La Réunion même se pose depuis des dizaines d’années un problème fondamental qui est néanmoins rarement évoqué par la plupart des organisations politiques, syndicales et associatives. Il s’agit de la coupure de notre société en deux mondes, que Paul Vergès a qualifiée depuis très longtemps d’« apartheid social institutionnalisé ».

Tout le monde sait ce que signifie le mot "apartheid" en Afrique du Sud où, pendant une quarantaine d’années (1948-1991), ce régime raciste a "séparé", "mis à part" les habitants selon la couleur de leur peau, privant les "non-Blancs" de tous les droits humains. À La Réunion, le pouvoir a organisé depuis les années 50 une "séparation sociale" officialisée entre deux catégories de la population, en donnant un contenu néo-colonial à la départementalisation.

En effet, tous les gouvernements ont décidé qu’une partie de la population a droit à des revenus nettement supérieurs à ceux de France, tandis que l’autre partie — la moitié des habitants — est placée sous le seuil de pauvreté officiel de la France. Cet "apartheid social" est le fondement de notre économie, qui n’est pas sociale et solidaire ; il est la base d’un système sociétal qui n’est pas équitable, avec un partage injuste des richesses, dont profite notamment une grande partie du monde politico-médiatique, administratif, économique et syndical. Il est donc contraire à des conditions essentielles d’un développement durable.

Par conséquent, si nous voulons enfin bâtir nous-mêmes un développement durable, solidaire et responsable de notre pays, il faut abolir ce système injuste, aux conséquences dramatiques quotidiennes (voir les "faits divers" chaque jour). C’est pourquoi, dans le contrat signé par François Hollande avec les Réunionnais est prévue une politique équitable en termes de revenus, de fiscalité, des prix et du régime bancaire, avec notamment la création d’un « Fonds Réunionnais de Développement ».

Voilà les perspectives concrètes d’un changement réel à mettre en œuvre après l’élection présidentielle et les législatives. À cette occasion et par la suite, le moment est donc venu pour les Réunionnais d’assumer leurs responsabilités pour prendre en mains l’avenir de leur pays sur des bases nouvelles afin d’achever la décolonisation de La Réunion, proclamée par la loi Vergès-Lépervanche du 19 mars 1946.

 Roger Orlu 

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