Billet philosophique

« De l’indifférence à la politique »

30 mai 2014, par Roger Orlu

Durant cette dernière semaine de mai 2014, une initiative très intéressante pour le peuple réunionnais a été prise par des associations culturelles, en particulier LERKA et Les Rencontres Place Publique, avec des partenaires publics et privés — comme l’École Supérieure d’Art de La Réunion —, pour faire avancer la pratique de la philosophie dans le pays. Il s’agit de la première édition réunionnaise de la Semaine de la Pop Philosophie, un concept lancé par le philosophe français Gilles Deleuze en 1977, comme l’a rappelé lundi soir au Port l’un des principaux organisateurs de cette semaine, Jacques Serrano. Quels sont les premiers enseignements que l’on peut tirer de cette initiative ?

Lors de l’ouverture de la Semaine réunionnaise de la Pop Philosophie, Robert Maggiori a notamment expliqué pourquoi il est important de faire vivre cette science humaine à La Réunion et dans le monde entier, afin qu’« elle continue à s’intéresser aux réalités de la vie quotidienne ». Et cela est d’autant plus important, pour ce philosophe et journaliste à "Libération" en France, que « l’idéologie économique omniprésente nous fait accepter un certain nombre de choses inacceptables ; c’est la théologie de notre temps ».

Durant les échanges avec le public, Robert Maggiori a expliqué pourquoi et comment nous devons « démocratiser la philosophie, la dépoussiérer, afin que nul n’y soit étranger et que le désir philosophique appartienne à tout le monde pour parler des objets et sujets de notre monde quotidien ». Selon lui, la philosophie peut et doit « nous aider à mieux gérer ce qui nous arrive » ; et il a eu cette belle conclusion : « on peut vivre sans philosopher, mais pas si bien ! ».

« Transmettre un régime de pensée intensive »

Un autre intervenant lors de cette conférence-débat, Laurent de Sutter, a fait savoir au public qu’« il n’y a pas de lien entre la Pop Philosophie et le capitalisme, avec le monde des affaires », afin qu’elle ne soit pas « une basse culture » et qu’elle puisse « transmettre un régime de pensée intensive ». Dans la présentation de cette Semaine, ce philosophe signale également ceci : « Pour Deleuze, une rencontre est quelque chose à cultiver en vue d’en tirer les plus belles, les plus riches et les plus intenses conséquences. Telle est donc la "pop’philosophie" que nous défendons : l’art de tirer de la rencontre avec les objets les plus triviaux les conséquences les plus élevées ».

Est-ce pour aller dans ce sens que Laurent de Sutter a publié en 2008 un livre intitulé : "De l’indifférence à la politique" ? Ce livre est défini comme « un bréviaire de l’indifférence à la politique » et il explique que « manifester son indifférence à la politique implique de ne se reconnaître qu’un seul principe pour en traiter : le caprice le plus total ».

L’intelligence politique du peuple réunionnais

À l’inverse, on peut également comprendre le titre de ce livre de Laurent de Sutter comme un appel et un encouragement philosophique à passer de l’indifférence à l’égard du racisme, des injustices, des oppressions et de toutes les autres formes de non-respect des droits humains vers l’engagement politique pour rendre notre société vraiment humaine. Cela nous fait penser à l’ancien résistant anti-nazi, diplomate et philosophe Stéphane Hessel, qui a lancé en 2010 et 2011 ses célèbres appels à s’indigner et à s’engager, où il se dit notamment « préoccupé par l’écart incommensurable qui existe entre les forces politiques et la jeunesse française » et mentionne « la dégradation de la planète et de l’environnement » comme « probablement le défi le plus mobilisateur pour la jeune génération ».

Lorsque l’on voit l’importance des abstentions et des votes pour les néo-fascistes lors des élections des députés au Parlement européen dimanche dernier à La Réunion, en France et dans l’Union Européenne, on comprend cette préoccupation justifiée de Stéphane Hessel. En même temps, la belle victoire du jeune réunionnais anti-colonialiste Younous Omarjee, réélu député sur la liste de l’Union pour les Outremer, nous donne de l’espoir car elle prouve à quel point notre peuple n’est pas privé à cent pour cent d’intelligence politique, comme le croient et le font croire certains, et à quel point ce peule est capable comme d’autres de s’unir et de continuer à lutter pour avancer vers sa libération.

Roger Orlu

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