Billet philosophique

De « mauvais Réunionnais » ... ?

28 septembre 2007, par Roger Orlu

Les journaux, radios et télévisions de l’île ont très peu annoncé ou commenté les quatre journées de “ciné-philo” organisées ces deux derniers week-ends dans nos quatre micro-régions sur l’œuvre du célèbre cinéaste africain Ousmane Sembène. L’association Perspectives du Cinéma et le Cercle Philosophique Réunionnais ont voulu faire connaître cet artiste militant et pédagogue, mais aussi lui rendre hommage, trois mois après son décès à Dakar à l’âge de 84 ans. C’était également une occasion de réfléchir et de débattre à propos de ses films sur les philosophies africaines, qui font partie de notre culture.

« Mauvais Juif »

À ce propos, le jeune universitaire franco-sénégalais Thierno Ibrahima Dia, qui a animé ces journées, a comparé Ousmane Sembène au philosophe hollandais Baruch Spinoza (1632-1677), traité de « mauvais Juif » par le philosophe conservateur Léo Strauss (1899-1973), « car il s’attaquait aux tabous ».
Un ouvrage de l’économiste Frédéric Lordon, paru en 2006 aux Éditions La Découverte, illustre le côté anticipateur et subversif de Spinoza. Celui-ci dénonce la violence de « la stratégie de prédation de l’économie marchande », qui « jette les humains dans une marchandisation » et « efface la possibilité de rapports pacifiés interhumains », selon les termes du philosophe français André Tosel.
Plus de trois siècles après son élaboration, l’économie spinozienne reste tellement d’actualité que les militants anticapitalistes du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales) s’en inspirent toujours aujourd’hui. Ceux-ci prônent une vie sociale solidaire autour du don, basée sur le désintéressement et la gratuité plutôt que sur l’utilitarisme économiciste, dominé par une compétition toujours davantage inégalitaire.

« Mauvais Africain »

En raison des ressemblances entre les valeurs de Sembène et la philosophie de Spinoza, l’animateur des journées “ciné-philo” a dit que l’on pourrait qualifier le cinéaste sénégalais de « mauvais Africain », cette fois « dans le sens le plus noble du terme ». En effet, celui-ci a consacré toute sa vie, depuis son adolescence, à lutter pour le respect de la personne, pour la justice, la liberté, la reconnaissance de la dignité humaine. D’abord comme écolier rebelle, puis comme docker syndicaliste, résistant anti-nazi, militant anti-colonialiste, adversaire du néo-colonialisme, défenseur des femmes victimes de mutilations sexuelles. Et il a mis ses talents de cinéaste à la défense de toutes ces grandes causes.
Les Réunionnais qui ont voulu faire connaître ce trésor de la culture universelle sont-ils de « mauvais Réunionnais » - dans le pire sens du terme cette fois-ci - aux yeux des censeurs de l’information locale, qui imposent leurs normes européocentristes et bourgeoises ? Espérons que les médias parleront un peu plus de l’édition 2007 du Festival International du Film d’Afrique et des Îles (FIFAI), organisé par la Ville du Port du 4 au 14 octobre prochain...

Roger Orlu

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