Billet philosophique

« Indépendance en relation »

28 mars 2014, par Roger Orlu

Un événement médiatique nous encourage à continuer les réflexions déjà souvent évoquées dans cette rubrique sur un des sujets fondamentaux de notre société réunionnaise : la gouvernance démocratique du pays et le droit à la responsabilité du peuple réunionnais, comme conditions — entre autres — d’un développement durable de La Réunion. Cet événement est la publication, samedi dernier par ’Le Quotidien’, d’un entretien avec un journaliste anticolonialiste de France, Edwy Plenel, ancien directeur de la rédaction du ’Monde’ et co-fondateur du site ’Mediapart’, qui met en avant dans cette interview un concept peu connu, concernant le statut institutionnel à mettre en œuvre selon lui dans les pays dits d’outre-mer de la République française ; il s’agit du concept : « indépendance en relation ». Qu’entend-t-il par là ?

Edwy Plenel. « Être soi-même, être indépendant et en même temps en relation ».

Dans un premier temps et à ce sujet, Edwy Plenel répond à la question du "Quotidien" : « Quelle place doit avoir l’outre-mer au sein de la République ? ».
Il répond : « Je suis pour une forme d’indépendance-relation. Je pense que les territoires d’outre-mer ont leur propre histoire, leur propre identité , leur propre souveraineté et qu’en même temps, le pari le plus beau que nous pourrions faire ce serait de ne pas opposer indépendance et dépendance, et de créer une nouvelle relation. Au fond, que la France continue à aider, accompagner, soutenir ces territoires tout en leur reconnaissant une réelle souveraineté. (…) La France doit être assez intelligente, assez généreuse, assez ouverte pour inventer cette solution qui est, pour moi, l’indépendance en relation ».

Et pourquoi, selon Edwy Plenel ? « Car c’est important d’avoir ce sentiment d’appartenance, de fierté d’être soi-même et en même temps que notre histoire commune doit faire partie de l’avenir. Ce n’est pas l’une ou l’autre, c’est à la fois les deux : être soi-même, être indépendant et en même temps en relation ».

« L’outre-mer est la chance de la France »

Un peu avant, le journaliste parisien déclare à son collègue de La Réunion que « l’outre-mer est la chance de la France ». Pour quelles raisons ? Réponse d’Edwy Plenel : « Les sociétés de la créolité ne sont pas repliées sur elles-mêmes. Elles sont des terres de brassage, de métissage, de mélange. L’outre-mer peut sortir la France de l’ornière, de ce repli qui la menace.
Le monde de la créolisation produit un imaginaire politique fondé sur l’acceptation de l’autre mais ces leçons ont été apprises dans la douleur de la colonisation. L’outre-mer, c’est la voie politique d’avenir pour notre pays » (la France).

« La barbarie à l’œuvre »

Voilà des idées qui confortent les analyses que partagent de plus en plus de chercheurs, universitaires, artistes, responsables politiques et autres citoyens à La Réunion comme dans les autres pays des outre-mer.
D’ailleurs, dans le livre qu’il vient de faire paraître sous le titre "Dire non", Edwy Plenel cite comme des pistes à suivre dans les néo-colonies de la France actuelle plusieurs penseurs de ces pays. Comme par exemple les Antillais Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau, pour qui « le temps viendra où le désir de dominer, de dicter sa loi, de bâtir son empire, la fierté d’être le plus fort, l’orgueil de détenir la vérité, seront considérés comme un des signes les plus sûrs de la barbarie à l’œuvre dans l’histoire des humanités ».

« Asé lèss lé zot désid pou nou »

Cette « barbarie », nous y sommes confrontés chaque jour à La Réunion avec le système néo-colonial inhumain imposé au peuple réunionnais par la bourgeoisie au pouvoir, avec de graves conséquences socio-économiques, culturelles et environnementales sur le pays. Cette question essentielle de la gouvernance actuelle non démocratique de La Réunion est encore trop sous-estimée par les classes dominantes, malgré la gravité de ses effets. Et plus que jamais ne faut-il pas créer un rassemblement de tous les militants réunionnais de la démocratie et la justice en faveur d’un projet commun pour une gouvernance démocratique du pays dans le cadre d’un partenariat équitable avec la France, l’Union européenne et l’Indianocéanie ?
C’est pourquoi nous allons citer en conclusion de ces réflexions des extraits d’une belle chanson créole des artistes et militants culturels Maximin Boyer et Daniel Didier, à écouter sur leur CD paru en octobre 2010 sous le titre "Nout’ patrimoine" :

« La Rényon ni èm, ni èm, ni èm mèm ;
sa nout péi mèm.
La Rényon lé bèl, lé bèl, lé bèl mèm ;
nou lé né tèr la mèm.
La Rényon ni èm, ni èm, ni èm mèm ;
ni èm kozé kozé kréol.
Ni èm sant maloya, séga, danse kabaré,
dofé doboi, flèr flanboyan.
La Rényon ni èm, ni èm, ni èm mèm ;
sa nout péi mèm.
Asé lèss lé zot désid pou nou.
Anou osi nou lé kapab tyinbo la klé,
tyinbo kart, tyinbo tyinpi »

 Roger Orlu 

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