Bravo et merci beaucoup aux responsables de l’École Supérieure des Beaux-Arts de La Réunion et à leurs partenaires du Centre Dramatique de l’Océan Indien, des Amis de l’Université et de l’Université de La Réunion, qui ont organisé la venue de Michel Onfray et sa série de quatre conférences-débats dans l’île.
Ces rencontres ont eu un succès considérable, les salles étaient archi-pleines et le public a beaucoup apprécié la prestation de ce docteur en philosophie hors du commun. En tout cas elles ont confirmé ce que nous disions ici même vendredi dernier sur le succès croissant de ce genre de manifestation culturelle et en particulier philosophique. La filo i ral de moun… !

Une image positive de la philosophie

Cette attirance des Réunionnais pour la philosophie est d’autant plus intéressante que Michel Onfray, en dehors de ses talents de conférencier charmeur, comique, provocateur et de grand connaisseur pédagogue, a donné une image très positive de cette pratique intellectuelle.
Il a notamment prouvé que la philosophie consiste à penser par soi-même, à développer son esprit critique, à se poser des questions sur le sens de ce à quoi nous sommes confrontés chaque jour, à analyser les contradictions et les évolutions de la réalité à mettre en cause.
Il a également démontré que chaque personne qui veut « faire de sa vie une œuvre d’art », c’est-à-dire une création libre, originale, belle et agréable pour soi-même comme pour les autres, a intérêt à s’approprier la philosophie.

« La morale est le souci d’autrui »

Ce qui est particulièrement séduisant dans les propos tenus par Michel Onfray, c’est l’orientation et le contenu anticonformistes de sa philosophie. « On ne dira jamais assez que chacun peut et doit sculpter lui-même sa propre vie au lieu de reproduire un système », dit-il en prônant le sens de la responsabilité et de la liberté face à l’idéologie dominante.
En même temps, Il donne une dimension collective au bonheur personnel : « La morale est le souci d’autrui. Nous devons inventer, construire des règles du jeu et les respecter. On ne peut se passer de contrats les uns avec les autres cas sans contrat, c’est la loi de la jungle qui l’emporte, celle du plus fort ».
Michel Onfray a même donné un contenu de classe à sa philosophie : « Face aux défenseurs du libéralisme, qui n’aspirent qu’au pouvoir parce que c’est l’argent qui fait la loi, nous devons être fidèles aux pauvres et aux oubliés, nous devons être aux côtés des victimes du libéralisme. Il faut vraiment se battre contre la misère et viser le plus grand bonheur du plus grand nombre ».

« Dommage »

Ce combat est déjà mené depuis longtemps par certains penseurs, militants et responsables politiques réunionnais. Et dans la philosophie réunionnaise, on retrouve déjà certaines des valeurs défendues par Michel Onfray.
Cependant, comme me le faisait remarquer Ho Hai Quang, économiste à l’Université de La Réunion, « c’est dommage que dans sa conférence de dimanche dernier, Michel Onfray n’ait pas du tout parlé des conditions économiques, sociales, culturelles, politiques… qui doivent être réunies pour que chacun puisse "faire de sa vie une œuvre d’art". Par exemple, je me demande bien comment un habitant de la bande de Gaza, qui vit aujourd’hui sous les bombardements, va s’y prendre pour faire de sa vie une œuvre d’art. Il en est de même du SDF qui dépend des Restos du Cœur pour sa survie.
Par ailleurs, Michel Onfray propose comme objectif à chacun de "jouir et de faire jouir". Mais cet objectif peut-il être atteint par le plus grand nombre ? En effet, pour pouvoir "jouir" il faut qu’un certain contexte général (économique, social, familial, politique…) existe. J’ajouterais aussi qu’il est parfois impossible de "jouir et de faire jouir" en même temps. Ainsi, une mère de famille qui choisit de "sacrifier" sa carrière (artistique professionnelle…) ne jouit pas de la vie, comme elle l’aurait peut-être souhaité, afin que son enfant ait une chance, lui, d’en jouir. Il peut donc y avoir une contradiction entre les deux objectifs qui ne peuvent pas être atteints en même temps. Je crois enfin que "faire jouir" les autres n’est en général pas possible tout simplement parce que nous ne pouvons décider pour les autres de ce qui est le mieux pour eux à un moment donné. Tous les parents d’adolescents le savent bien. Et à un niveau plus général, je ne connais pas une seule politique économique, sociale… qui, mise en application, fasse l’unanimité. Je pense que Michel Onfray aurait dû mentionner, même rapidement, ces éléments qu’il n’ignore sûrement pas. C’est dommage qu’il n’ait pas pris le temps de le faire ».

Voilà des réflexions qui vont nous inciter à continuer à philosopher en Réunionnais et en citoyens du monde.

Roger Orlu

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