Billet philosophique

La M.C.U.R., un outil essentiel
pour réparer les crimes
de notre Histoire

17 juillet 2009, par Roger Orlu

Un événement très important s’est déroulé hier à Saint-Denis : un collectif de très hautes personnalités du monde culturel réunionnais — un grand nombre de nos plus grands écrivains, artistes et militants culturels et éducatifs — ont présenté à la presse un ’Manifeste’ pour apporter leur soutien à une œuvre emblématique de notre peuple, qui va être construite prochainement au-dessus de la Grotte des Premiers Réunionnais à Saint-Paul : la Maison des Civilisations et de l’Unité Réunionnaise (MCUR). Afin de montrer que cet équipement public au service des Réunionnais sera vraiment un outil essentiel pour réparer les crimes de notre Histoire depuis la colonisation et l’esclavage, nous publions ci-après des extraits de deux textes, qui expliquent comment la mémoire historique transforme notre identité.
Le premier est d’une écrivaine guyanaise, Sylviane Vayaboury (1). Il est intitulé : « Le pas à pas de l’humanité ». Le second est d’un écrivain, philosophe et dramaturge antillais, Alain Foix. Il est intitulé : « La réalité colorée de la République ». (2) Ces deux textes ont été publiés dans ’l’Humanité’ du 27 juin dernier.

 R. O. 

« Le pas à pas de l’humanité »

(…) Aujourd’hui, en vertu de nombreux travaux et depuis la récente loi Taubira du 21 mai 2001, reconnaissant la traite négrière et l’esclavage comme crime contre l’humanité, de nouvelles représentations de l’esclavage se sont progressivement affirmées, même si une discrétion et une pudeur sont encore très palpables sur les lieux de la tragédie, conjuguant son passé et son présent.
L’enfant qui sommeille en moi se réjouit de ce combat contre l’oubli, de cette reconstruction en marche. Chaque commémoration me renvoie à ce souvenir inaltérable et à l’idéologie de la réparation.
(…) Depuis la loi Taubira, le terme de "réparation" est devenu le cheval de bataille de bon nombre de groupes engagés dans un même combat de reconnaissance de peuples opprimés. Dans son livre intitulé "Nègre je suis, nègre je resterai", Aimé Césaire confiait, en 2004, à Françoise Vergès : « La réparation, c’est une affaire d’interprétation… Le terme de réparation ne me plaît pas beaucoup… Pour moi, c’est irréparable ».
Césaire nous rappelait que nous avions à penser ce désastre en termes moraux plutôt qu’en termes commerciaux. Ainsi, chaque fois qu’un geste est accompli, que le nom d’un des nôtres est attribué à une place, à une rue, qu’est érigée une statue, que sont enseignées des langues et des cultures régionales, l’histoire des traites négrières et de l’esclavage, que de nouvelles expositions voient le jour (inauguration, ce mois-ci, à Bordeaux, d’une exposition permanente au musée d’Aquitaine consacrée au commerce atlantique et à l’esclavage), nous devrions être tous transportés de joie.
Dans cette histoire d’amour et de haine, chaque pierre posée à l’édifice concourt à revisiter cette histoire douloureuse de manière assumée et dépassionnée : un geste, un pas à chaque fois pour l’humanité tout entière.
De l’occultation à la revendication, de la revendication à la réparation, un travail sur nous-mêmes s’impose désormais pour sortir, à terme, de la victimisation : une tâche complexe, compte tenu de traits ancrés, du poids de l’histoire et de notre relation au monde.

« La réalité colorée de la République »

(…) La marée noire coloniale a posé, dans les faits et dans les esprits, une tache sombre sur la devise républicaine. Malgré la décolonisation, cette tache demeure dans les esprits, dans l’organisation sociale, économique, et les lois coutumières de la société française. N’est-il pas long et laborieux de décontaminer une construction ou une usine ayant beaucoup servi ?
C’est ainsi que les Noirs, mais aussi les ressortissants des anciennes colonies paient encore l’impôt de la couleur, c’est-à-dire une dévalorisation de leurs droits d’accès à l’égalité citoyenne par le travail et le statut social. La loi ne suffit pas, s’il n’y a pas un véritable travail de l’histoire, du savoir, de la réflexion critique, et d’éducation sur la condition historique de citoyens français d’une République une et indivisible, qu’on appelle à tort les minorités.
Si on s’en tient à la seule date de 1848, on s’interdit, en pleurant, de comprendre en quoi le commerce triangulaire fut la pierre angulaire d’une colonisation des terres et des esprits, dont les effets se font ressentir jusqu’à aujourd’hui. Cette date de commémoration doit être un moment de réflexion sur l’identité française et sa construction à travers l’histoire de la République. Elle ne concerne pas seulement les Noirs mais d’abord et avant tout les fondements de notre unité et de notre identité républicaine. (…)
Lorsque Toussaint Louverture envoya à l’Assemblée nationale les trois députés représentant les trois couleurs de Saint-Domingue, il signifiait à la France la réalité colorée de sa République. Mais il savait, en vieux guerrier, que le combat à venir était plus long que ses neuf années de guerre pour la reconnaissance des droits de tous à la liberté, à l’égalité, à la fraternité.

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(1) Auteure de "Rue Lallouette prolongée", Éditions L’Harmattan (2006).
(2) A publié : "Toussaint Louverture" (Foliobiographies, 2007) ; "Noir : de Toussaint Louverture à Barack Obama" (Éditions Galaade, 2009) ; "Histoires de l’esclavage racontées à Marianne", Gallimard, 2007.

Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise

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