Billet philosophique

« La raison comme arme politique »

12 novembre 2010

Jeudi prochain sera célébrée la Journée mondiale de la Philosophie sous l’égide de l’UNESCO. À La Réunion, cette célébration a déjà commencé depuis une semaine avec le lancement du premier concours philosophique organisé par l’Université, sur le thème : “Que pensez-vous de notre société ?”. Et elle va s’étendre sur un mois encore, avec l’organisation de diverses rencontres dans toute l’île autour de “l’amour de la sagesse” (sa mèm mèm la filozofi… !).

À cette occasion, un ami de “Témoignages” nous a fait parvenir un article publié en mai dernier par “Le Monde Diplomatique” sous la signature de Jacques Bouveresse, titulaire de la Chaire de philosophie du langage et de la connaissance au Collège de France. Cet article soutient le combat du célèbre écrivain américain Noam Chomsky, qui dénonce notamment « les abus de pouvoir, les injustices, les violences et les crimes commis par son propre pays contre d’autres », ainsi que la « propagande » des principaux détenteurs du pouvoir médiatique, complices de ces crimes.

À La Réunion, nous vivons cela tous les jours, avec un pouvoir parisien néo-colonial qui utilise notre île pour ses intérêts de classe et au service d’une minorité de complices sur-rémunérés, mais aussi avec des médias dont la tâche est « de ne pas représenter la réalité telle qu’elle est et de déformer ou de passer régulièrement sous silence certains faits importants ». Ce système est à la fois irrationnel et inhumain, car la priorité de ses bénéficiaires est constamment de défendre leurs avantages personnels et d’augmenter leur profit au détriment des plus pauvres.

Voilà pourquoi Chomsky a raison de considérer « la raison comme une arme politique » si l’on veut remettre en cause ce “modèle” déraisonnable et aller ensemble, en tant que Réunionnais, vers un développement durable, humain, libre et solidaire. Voici donc des extraits de cet article de Jacques Bouveresse. Les inter-titres sont de “Témoignages”.

Rozé Orlu

Aux yeux de Chomsky, (…) « la tâche de développer une recherche objective, libérée des contraintes imposées par le consensus politique américain, est tout à fait réelle, cruciale ; et je pense personnellement qu’elle mènera à des conclusions radicales ».
Étant donné le degré de sophistication des théories sociologiques, politiques, philosophiques ou autres que l’on se croit généralement tenu de proposer pour le traitement de problèmes comme ceux auxquels Chomsky a choisi de s’attaquer, il est bien possible qu’une bonne partie de ce qu’il dit soit jugé un peu trop direct et, du point de vue des gens qui savent, passablement naïf. S’il avait besoin d’être défendu sur ce point, ce que je ne crois pas, je dirais que le savant de renommée mondiale qu’il est par ailleurs a justement le mérite assez inhabituel de ne pas chercher à se présenter, sur ce type de question, autrement que comme quelqu’un qui sait très peu de chose, mais qui est convaincu en même temps qu’il n’est probablement pas possible et heureusement pas non plus nécessaire d’en savoir beaucoup plus pour être en mesure d’agir et d’obtenir des résultats.

Absurdité et égoïsme

Après avoir répondu à une question concernant les raisons pour lesquelles les gens qui occupent le pouvoir sont obligés de recourir à la représentation fausse, au dénigrement et aux différents mécanismes dont le pouvoir dispose pour se protéger, Chomsky n’hésite pas à conclure : « Tout cela peut sembler naïf, et ça l’est ; mais je n’ai encore entendu aucun commentaire sur la vie humaine et la société qui ne le soit pas, une fois dépouillé de ce qu’il comporte d’absurdité et d’égoïsme ».
La naïveté, sur des questions comme celles dont il s’agit, peut être aussi une forme d’honnêteté intellectuelle. J’ai toujours admiré celle dont Chomsky fait preuve sur ce point et dont beaucoup de philosophes pourraient s’inspirer avec profit, s’ils étaient un peu plus sensibles à la crainte de faire preuve d’absurdité et d’égoïsme. Je ne suis pas certain de pouvoir partager tout à fait son optimisme et l’espoir qu’il met en l’avenir. Mais c’est peut-être parce que j’ai le sentiment qu’il faut être aussi combatif qu’il l’est pour avoir réellement le droit d’être optimiste.

Volonté et action

Georg Henrik von Wright a répondu à la critique selon laquelle l’expression du pessimisme crée de l’inquiétude et a pour effet de paralyser l’action : « Il en est bien ainsi dans une certaine mesure. Mais je trouve beaucoup plus irresponsable et en même temps plus paralysant pour l’action un optimisme qui pense qu’on peut tranquillement laisser l’évolution se poursuivre, en grande partie comme auparavant, dans la certitude que davantage de recherche, une nouvelle technique et le libre jeu des forces du marché remettront finalement tout à la bonne place. J’ai l’impression que c’est dans un tel optimisme de l’impuissance que les gouvernements ont sombré, et c’est en lui qu’ils essaient d’endormir les masses humaines qu’ils dirigent ». C’est aussi dans une forme d’optimisme de l’impuissance qu’a sombré aujourd’hui une bonne partie du monde intellectuel.
Chomsky est évidemment un optimiste d’une tout autre sorte. Son optimisme est un optimisme de la volonté et de l’action. Il repose sur l’idée que, si l’avenir peut devenir meilleur, c’est seulement parce que nous aurons fait, pour ce qui dépend de nous, tout ce qui est possible et nécessaire pour qu’il le devienne effectivement.

(*) Merci d’envoyer vos critiques, remarques et contributions afin que nous philosophions ensemble… ! [email protected]


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus