Billet philosophique

« Moin la pèr pass la route an korniss »

11 janvier 2008, par Roger Orlu

Peut-on essayer de philosopher ensemble - c’est-à-dire réfléchir et dialoguer - sur les problèmes posés par la nouvelle tragédie de la route littorale ?
Le but est bien sûr d’analyser de la façon la plus juste possible la mort de ce jeune automobiliste de 36 ans, père de trois enfants, écrasé mercredi matin par un rocher de 300 kilos tombé du haut de la falaise, alors que de fortes pluies s’abattaient sur l’île. Plus cette analyse partagée s’approchera de la vérité, plus nous pourrons créer les conditions pour changer la situation et éviter au maximum que ce genre de drame se reproduise.

Première erreur

Or le fond du problème, qu’aucun média n’a posé et encore moins traité avant-hier, c’est l’erreur commise dès le départ, au début des années 50, lorsque fut décidé de construire cette route au pied d’une falaise de « roche pourrie », selon les mots du philosophe et conseiller général communiste Henri Lapierre.
Comme l’a rappelé récemment l’historien Eugène Rousse, cet élu réunionnais avait vivement dénoncé la majorité du Conseil général de l’époque, qui avait laissé à Paris le soin de tout décider. « Vous fuyez vos responsabilités » et vous commettez « un acte de lâcheté », avait-il lancé à ses collègues de l’assemblée départementale, avant de les accuser de cautionner « le véritable crime qui se prépare ».

Seconde erreur

Ce « crime » a été aggravé par une seconde erreur du même type, commise au début des années 70, lorsqu’une autre majorité du Conseil général - toujours de la même couleur politique - a décidé de transformer cette route en quatre-voies, mais toujours au pied de la falaise.
Le conseiller général communiste Paul Vergès s’est levé pour dire en substance à ses collègues : non, ne refaites pas cette faute ; il y a déjà eu trop de personnes tuées sur cette route ; même en l’éloignant légèrement de la falaise, elle continuera à subir des chutes de pierres et des éboulis, sans compter les effets de la houle marine ; faisons passer cette route par les Hauts, cela nous permettra de sauvegarder les terres agricoles situées à l’Est de Saint-Denis et facilitera une extension urbaine du chef-lieu vers La Montagne, dans le cadre d’un aménagement équilibré du territoire.

« Vergès à Moscou ! Vergès à Pékin ! »

Au lieu de suivre les conseils avisés du dirigeant communiste ou d’expliquer leur choix, Jean-Paul Virapoullé et ses amis se sont lancés dans leurs insultes habituelles, les uns envoyant « Vergès à Moscou ! », les autres « Vergès à Pékin ! » (puisque le PCR ne s’était jamais aligné ni sur le PC soviétique ni sur le PC chinois).
Mais le « crime » de la route littorale était commis à deux reprises. Et comme les mêmes décideurs parisiens et locaux ont persisté pendant des décennies dans le tout-automobile plutôt que d’instaurer une politique multimodale et sécurisée des déplacements, les Réunionnais en paient toujours les conséquences.

Une « route de la mort »

Il a fallu que Paul Vergès arrive à la présidence du Conseil Régional pour qu’en 18 mois on recouvre plus de la moitié de la falaise avec des grillages métalliques afin de diminuer fortement les chutes de pierres sur la chaussée et pour que l’on obtienne de l’État et de l’Union européenne près de la moitié du financement d’une nouvelle route littorale entièrement sécurisée, qui sera livrée entre Saint-Denis et La Possession dans quelques années, après le premier tronçon du tram-train entre Sainte-Marie et Saint-Paul, ainsi que la piste cyclable en site propre tout autour de l’île.
En attendant, nous pourrons continuer à chanter avec Michel Admette : « Moin la pèr mi di aou pass la route an korniss ». Qu’en pensent les gouvernants, les hauts fonctionnaires et les élus qui ont décidé ou accepté la construction de cette « route de la mort » ? Et leurs amis, qui lancent des propos irréalistes sur les délais de construction de la nouvelle route, font-ils preuve de responsabilité ?

Roger Orlu

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