Billet philosophique

« Organiser la riposte sociale »

24 octobre 2008, par Roger Orlu

Il est pénible de critiquer les propos d’une personne que l’on admire pour son dévouement à la cause des plus malheureux et pour les priorités de ses combats, auxquels elle accorde une compétence et une détermination jugées exemplaires. C’est le cas de Jean Ziegler, ex rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation à l’ONU (2000 - 2008), aujourd’hui membre du comité consultatif du Conseil onusien des droits de l’Homme.
Pourtant, comment ne pas être étonné par le titre de son dernier livre, où il explique la façon dont « la haine de l’Occident » peut être un « moteur d’un monde meilleur »...? (1)

En effet, il n’est pas évident qu’un sentiment comme la haine puisse déboucher sur une société plus juste et plus solidaire, car ce sentiment négatif de détestation semble très contradictoire avec des rapports sociaux équitables et pacifiques. Il est vrai que Jean Ziegler « distingue deux haines différentes : la haine pathologique, que les peuples dominés vouent aux dominateurs, (...) qui est à condamner partout et tout le temps. L’autre haine, au cœur de mon livre, est aujourd’hui une force historique formidable. C’est une haine raisonnée, mobilisatrice. Une force sociale, insurrectionnelle ».
Mais comment une passion comme la haine, génératrice de violences, peut-elle être « raisonnée »...? Certes, elle peut créer une dynamique et des transformations sociales ; mais dans quel sens et au service de qui ? La meilleure réponse au mépris, à l’indifférence voire à la méchanceté criminelle des plus riches à l’égard des pauvres ne semble pas être « la haine » mais la construction d’autres relations, respectueuses de l’autre.
Par ailleurs, faut-il généraliser “l’Occident” ? Le contenu de ce concept est à préciser car le capitalisme a des profiteurs et des victimes aux quatre points cardinaux de la Terre ; certes, avec bien plus de malheureux par ici et plus de nantis par là-bas.

« Élever le niveau de la conscience politique »

En même temps, ce que Jean Ziegler appelle « la haine de l’Occident » est bien un phénomène concret, qui peut effectivement provoquer une prise de conscience des citoyens et des décideurs dans les pays occidentaux conduisant à de profondes transformations sociales.
Il explique qu’une des sources de cette haine est « le capitalisme globalisé : sur 6,3 milliards d’êtres humains, 4,8 milliards vivent dans l’hémisphère Sud. Ces peuples voient l’ordre du monde que le capitalisme mondialisé a créé comme le dernier avatar de la dominatioin occidentale. Il a créé d’immenses richesses entre les mains des Blancs et fait d’effroyables ravages au Sud : toutes les 5 secondes, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim ».
Il ajoute que la crise financière actuelle « a permis de faire tomber les masques » et « créé un rapport de forces radicalement nouveau, qui donne beaucoup d’espoir ». Effectivement, pour mettre un terme à un système aussi injuste, il faut changer le rapport de forces entre les dominants et les dominés. C’est pourquoi Paul Vergès nous a toujours expliqué que le plus important, si l’on veut créer les conditions de l’épanouissement de chaque personne, est de « chercher sans cesse à élever le niveau de la conscience politique des citoyens ».
Une vision que rejoint la conclusion de Jean Ziegler. Il souhaite que l’Occident « renoue le dialogue solidaire avec les peuples du Sud, crée un front commun de lutte, une société planétaire tout à fait différente ». Et d’ajouter : « L’ordre absurde et meurtrier du monde, érigé par les prédateurs du capitalisme financier globalisé, est en train de se lézarder. La naissance d’un ordre solidaire et plus juste est une perspective réaliste. L’essentiel est aujourd’hui d’organiser la riposte sociale ».

 Roger Orlu 

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(1) Voir “La Haine de l’Occident” (éditions Albin Michel) et l’entretien accordé à “l’Humanité-Dimanche” du 16 octobre 2008.


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