Billet philosophique

Oui à « la lutte permanente pour la vraie liberté »

26 novembre 2010, par Roger Orlu

Vendredi dernier, dans cette chronique hebdomadaire de ’Témoignages’, nous avons parlé de la soirée ’ciné-philo’ organisée lundi au Ciné-Campus de l’Université à Saint-Denis, dans le cadre de la Journée mondiale de la philosophie sous l’égide de l’UNESCO. La célébration de cette ’Journée’ a continué les jours suivants et cette semaine, à travers diverses actions menées par des associations réunionnaises soucieuses de faire vivre la philosophie à La Réunion et de lui donner un contenu positif, transformateur de la société. Elle va encore se poursuivre jusqu’à la mi-décembre et nous pensons qu’il est important de faire connaître à nos lecteurs l’essentiel de cet événement car il peut ouvrir de nouvelles perspectives au peuple réunionnais.

Il est impossible de rendre compte en quelques lignes de tout ce qui s’est dit et déroulé lors d’une demi-douzaine de conférences-débats et autres rencontres organisées la semaine dernière à La Réunion autour de la philosophie. Mais nous devons en dire quelques mots pour encourager tous les acteurs de la Journée mondiale de la philosophie dans notre île à poursuivre leur travail et donner toujours davantage de place de cette science humaine dans notre vie socio-éducative et culturelle.
Ainsi, le mardi 15 novembre, l’association Athéna a organisé une soirée de lectures, commentaires et échanges philosophiques sur le thème : "Le philosophe et son contraire". Yves Lorvellec, Bernard Jolibert et Jean Lombard ont présenté des textes de Platon, Spinoza et Jean-Toussaint Desanti. Lorsque ce dernier déclare : pour un philosophe, « il s’agit (…) de montrer comment la société s’est produite (pour que) le savoir (…) se continue autrement, sans produire d’effets d’exclusion et de compétition, et sans produire cet effet d’oppression des masses », on se dit que philosopher peut vraiment servir l’humanité.

“Faire société"

Le jeudi 18 novembre, la Ligue des droits de l’Homme (LDH), représentée notamment par Josiane Sida, Jacques Pénitot et Marcel Moutoucomorapoullé, et des professeurs des écoles, Daoud Omarjee et Roland Sida, a organisé à la Bibliothèque départementale (Saint-Denis) un débat philosophique entre des élèves de cours moyen autour de l’éducation à la citoyenneté et l’appropriation de la parole. Le débat, qui a porté sur les droits de l’enfant, fut très riche et il a montré à quel point il est à la fois possible et très utile pour des enfants d’apprendre à philosopher. Encore faut-il que les décideurs respectent le droit des enfants réunionnais de se préparer à prendre en mains leur avenir pour le rendre meilleur.
La LDH a organisé d’autres rencontres de ce type les 19 et 20 novembre, à La Saline, à Saint-Pierre et au Salon de l’éducation à Saint-Denis. À ce même salon, dans l’après-midi du jeudi 18 novembre, une conférence-débat a été organisée par Fédération de La Réunion de la ligue de l’enseignement, présidée par Frédéric Salvan, sur “Faire société : retrouver ensemble le goût de l’avenir”.
Le président, le secrétaire général, Laurent Técher, et Anne-Marie Houillon, philosophe, vice-présidente de la Ligue de l’enseignement en France, ont présenté "Le Manifeste" adopté par ce mouvement au congrès de Toulouse en juin dernier. Le débat a montré à quel point, face aux « injustices criantes » du système socio-économique et culturel dominant, « où l’individu a pris une place croissante, "faire société" est devenu une nécessité impérieuse ».

« Fèy sonz lé mon modèl dan la vi »

Dans la matinée de ce même jeudi, toujours au Salon de l’éducation, le Conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement, présidé par Roger Ramchetty, a organisé une conférence-débat sur “La philosophie par tous et pour tous : réalité ou utopie ?”. Les exposés des trois intervenants et les contributions du public ont illustré concrètement à quel point chaque citoyen peut être un acteur d’une philosophie combattant l’idéologie dominante et au service du bien commun.
Il en fut de même le samedi soir au Théâtre du Grand Marché à Saint-Denis, où Les Rencontres de Bellepierre, animées par le philosophe Arnaud Sabatier, ont organisé un "relai philosophique", où des philosophes et des non-philosophes (artistes, psy, enfants…) se sont passés le témoin pour montrer, de différentes façons, en quoi la philosophie est importante pour eux afin d’améliorer notre vivre ensemble et résister aux injustices. À ce propos, nous citerons l’auteure et comédienne Lolita Monga, pour qui « fèy sonz lé mon modèl dan la vi », et Thierry Laude, professeur de philosophie, selon qui « ce monde de crimes et de violences ne tourne par rond ».

"Maronaz"

Nous terminerons ce compte-rendu non exhaustif en évoquant les diverses interventions publiques d’Aude-Emmanuelle Hoareau. Dans ce "relai philosophique" de samedi, la docteure en philosophie a expliqué en quoi cette discipline est indispensable « pour balayer les idées reçues ».
Parmi ces "idées reçues" dans notre société post et néo-coloniale, il y a bien sûr le mépris, la méconnaissance et la non-valorisation de l’identité culturelle réunionnaise. D’où l’importance et l’intérêt de réfléchir par nous-mêmes, comme Aude-Emmanuelle Hoareau le démontre dans son livre "Concepts pour penser créole".
Elle a été interrogée à ce sujet par Alix Hoarau, animateur de Radio Arc-en-ciel, qui a consacré ses cinq émissions "Sentier de la vie" de la semaine à la philosophie, et par le "Journal de l’Ile" de dimanche dernier. Dans cet entretien avec le "JIR", elle souligne à quel point il est précieux de cultiver et enrichir « l’identité créole ». D’ailleurs, dans son livre où elle analyse 18 concepts de la pensée réunionnaise, elle déclare à propos du "maronaz" : « c’est un état d’esprit qui consiste à refuser cette liberté tronquée dont les Réunionnais ont hérité le fardeau. C’est la lutte permanente pour la vraie liberté ». Alon donk suiv lékzanp nout zansèt maron !

Rozé Orlu

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