Billet philosophique

Ousa i lé ‘’la démocratie’’ dan nout péi ?

16 août 2014, par Roger Orlu

Un des mots les plus souvent prononcés par la grande personnalité sud-africaine Ahmed Kathrada lors de ses rencontres avec les Réunionnais la semaine dernière est le terme ‘’démocratie’’. Ce concept très important, mis en avant par le combattant de la liberté emprisonné pendant 26 ans aux côtés de Nelson Mandela, a été prôné depuis des siècles par de nombreux philosophes du monde entier. Qu’en penser aujourd’hui, particulièrement à La Réunion, où le peuple est vraiment loin — depuis sa naissance il y a 351 ans — de vivre dans une société démocratique ? D’où l’absence de développement durable, responsable et solidaire dans le pays, avec les drames que l’on vit au quotidien…

Marc Vandewynckele, un des responsables de l’Association pour la Démocratie Locale à La Réunion et dans l’Océan Indien (ADELROI). « Dans une véritable démocratie, l’exercice d’un contrôle est nécessaire ».

Tout le monde sait que le mot ‘’démocratie’’ signifie, selon ses racines grecques (‘’demos’’ – ‘’cratia’’), ‘’le pouvoir au peuple’’. Et dans son célèbre ouvrage ‘’La République’’, le philosophe grec Platon (427 – 347 avant Jésus-Christ), souligne « les caractères de la démocratie : régime plein d’agrément, dépourvu d’autorité, non de bariolage (au sens d’un assemblage mal organisé), distribuant aux égaux aussi bien qu’aux inégaux une manière d’égalité ». Pour le philosophe hollandais Spinoza, « une démocratie naît de l’union des hommes jouissant, en tant que groupe organisé, d’un droit souverain sur tout ce qui est en leur pouvoir » (‘’Traité théologico-politique’’ de 1670).
Concrètement, pour le mouvement démocratique la Ligue des Droits de l’Homme, fondé en France en 1898, cela signifie qu’il faut une « démocratie délibérative » car « la démocratie représentative n’est pas suffisante pour faire vivre la démocratie. Une société a besoin, avant la prise de décision, de donner la parole à celles et ceux qui connaissent les diverses réalités collectives et particulières. Il faut une plus grande écoute de la parole associative, une plus grande participation directe des citoyennes et des citoyens » (déclaration de mai 2014 à l’occasion des élections municipales).

Quelle participation ?

Pour aller dans ce sens, où l’on parle de « participation » à propos de la démocratie, de plus en plus de personnes se battent pour « de la démocratie participative », selon le titre même de l’ouvrage publié à ce sujet en 2007 par deux philosophes français : Marc Crépon et Bernard Stiegler. Dans ce livre, ils posent des questions fondamentales comme : « La participation est-elle réductible à une prise de parole puis à un bulletin dans une urne ? ».
D’où ces deux autres questions : « La participation ne concerne-t-elle pas l’organisation de toute l’économie politique industrielle telle qu’elle se met en place en ce début de 21ème siècle ? Chacun ne sent-il pas que, faute d’une nouvelle participation des hommes à la construction de leur avenir dans toutes ses dimensions, et comme nouvelle forme de civilisation, le monde court à sa perte ? ».

Et à La Réunion ?

Des Réunionnais émettent également de nombreuses idées intéressantes à ce sujet pour changer notre société et la rendre enfin démocratique ; nous pensons en particulier à l’Association pour la Démocratie Locale à La Réunion et dans l’Océan Indien (ADELROI), dont ‘’Témoignages’’ a publié ce mercredi une tribune libre de l’un de ses responsables, Marc Vandewynckele, à propos de la réforme territoriale. Et lors d’une rencontre organisée le 3 mai dernier, les membres et invités de l’ADELROI ont notamment souligné que dans « notre société en crise », « les citoyens ont leur mot à dire sur les projets de société pour aller vers un monde de liberté, de responsabilité et de solidarité auquel nous aspirons tous ». Ils ont rappelé que « l’objectif premier et constant doit être de faire en sorte que ‘’le‘’ politique s’associe aux citoyens et aux producteurs de biens et de services pour la préservation et l’équilibre d’une démocratie responsable à toutes les échelles de la société ».
Ils ajoutent : « Dans une véritable démocratie, l’exercice d’un contrôle est nécessaire. Se pose alors la question du contrôle des élus par les citoyens eux-mêmes. En effet, la démocratie n’est pas seulement une affaire d’élites, qui le plus souvent sont en décalage avec les réalités du terrain ». L’objectif de ce combat du peuple réunionnais, comme le rappelle en conclusion du rapport Bernard Mondon, un autre responsable de l’ADELROI, est bien celui-ci : « Être ensemble auteurs et acteurs ; avoir de l’audace et de l’envie de démocratie pour organiser un monde commun ».

Roger Orlu


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