Billet philosophique

Pas de fraternité sans liberté et sans égalité

2 novembre 2012, par Roger Orlu

La devise proclamée par la République française (’Liberté, Égalité, Fraternité’) figure sur de nombreux espaces publics où, malheureusement, bien des personnes surrémunérées qui détiennent des pouvoirs de décision sur la gestion de notre société ne tiennent pas compte de cette proclamation. Ces personnes utilisent leurs pouvoirs pour défendre des intérêts de classe en ayant des comportements et en prenant des décisions qui ne respectent pas ces valeurs fondamentales et ce qui les lie. Pourquoi ?

Si nous écoutons et regardons ce qui se passe autour de nous, chacune de nos journées est marquée par la violence, la haine, l’agressivité et autres comportements inhumains qui marquent une bonne partie des relations humaines. Ces situations pénibles ont des effets souvent tragiques ; nous pensons en particulier à la centaine de Réunionnais qui se suicident chaque année et aux trente pour cent de nos compatriotes qui souffrent de diverses formes de dépression, car ils n’ont pas le droit d’avoir des moyens de vivre décemment et d’avoir des perspectives pour leur existence.

Mais peut-on se plaindre de ces situations dramatiques et inacceptables sans s’interroger sur leurs causes profondes et sans s’attaquer à ces causes, à savoir : les inégalités, les injustices et les discriminations souvent institutionnalisées par le pouvoir en place, par exemple l’apartheid social à La Réunion ? Les souffrances des victimes de ce système ne sont pas prises en compte par les décideurs qui cautionnent le système socio-économique capitaliste à la base de ces problèmes.

Le pouvoir de décision du peuple

Une autre cause fondamentale de ces problèmes est l’exercice du pouvoir quand il institutionnalise la domination d’une minorité de nantis sur la majorité de la population, qui n’a rien à dire et à faire sur ce qui se décide officiellement. C’est toute la question du pouvoir de décision du peuple, et donc de la démocratie, qui sera analysée ce dimanche par les participants au Forum Social Réunionnais.

Autrement dit, à La Réunion, une vie sociale fraternelle, c’est-à-dire solidaire, harmonieuse, épanouissante pour chaque personne, est impossible si, d’une part, le peuple réunionnais n’est pas libre de prendre les décisions qui le concernent et si, d’autre part, il n’y a pas un partage équitable des richesses dans une société égalitaire, respectant les droits fondamentaux et la dignité de tous les Réunionnais ainsi que l’identité spécifique de notre peuple. Bref, il n’y a pas de fraternité sans liberté et sans égalité.

« Toultan maronaj »

Un philosophe français, Jacques Rancière, vient de confirmer cette analyse dans un entretien accordé à "l’Humanité-Dimanche", où il rappelle son principe essentiel : « parier sur l’égalité  », car « tous les humains sont à même de philosopher, de penser, de participer au gouvernement de la cité et au partage commun du monde ». Voilà pourquoi, selon lui, « l’égalité n’est pas un futur promis ; elle est un point de départ qui définit le sens de ce que l’on fait ».

Vendredi dernier au Port, au siège de Lofis la Lang Kréol La Rényon, présidé par l’écrivain Axel Gauvin, lors du vernissage de l’exposition "Koz èk la lang N°3 : santé, maladi, tizane", un jeune poète et slameur réunionnais a présenté un spectacle très émouvant. Dans son magnifique recueil de sonnets qu’il nous a envoyé, Gouslaye écrit notamment sous le titre "Synthèse" : «  Je vois ce jour, où nous nommons cancers l’État, le Dogme, le Capital. Je vois ce jour, où nous retrouvons un révolutionnaire idéal. Ma poésie philosophique est une politique sans frontière, elle se nourrit au quotidien d’une existence routinière, elle engendre le réveil d’une conscience à part entière ». Et dans son poème "La fors la vi", il lance ce mot d’ordre à ne pas oublier : «  Maronaj, maronaj, toultan maronaj ».

Roger Orlu

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