Billet philosophique

« Pran pa Kréol pou in sak sarbon té ! »

10 avril 2009, par Roger Orlu

Au moment où La Réunion — en plus de sa crise structurelle — est confrontée comme le monde entier aux effets de la crise économique et financière internationale, on peut s’interroger sur les concepts de « capitalisme moral » ou de « moralisation du capitalisme » mis en avant depuis quelques semaines par le président de la République française.

Comment « moraliser » un système économique et social d’essence injuste car basé sur l’exploitation de la force de travail des salariés par les propriétaires du capital ?
Réponse : c’est impossible car la morale — le bien — est inconciliable avec l’injustice et l’inégalité. Par la lutte des exploités contre les exploiteurs, on peut certes plus ou moins corriger les effets néfastes voire tragiques et criminels de ce système inhumain. Mais si l’on veut construire un développement durable et donc une société équitable, ce système ne doit-il pas être aboli ?
Ceci dit, comment parvenir à cette abolition et par quel système socio-économique et commercial remplacer le capitalisme ? Voilà qui fait débat au sein du mouvement communiste, progressiste, altermondialiste.

« L’économie de marché fonctionne à l’égoïsme  »

Pour éclairer ce débat, nous vous proposons quelques extraits des réflexions du philosophe français André Comte-Sponville publiées dans l’édition du 2 avril dernier de "l’Humanité-Dimanche". (1)
Il rappelle d’abord ce qu’a déclaré le chef de l’État le 25 mars dernier à Saint-Quentin : « L’éthique du capitalisme, cela doit être une éthique de la responsabilité, une éthique de l’effort, une éthique de l’honnêteté… ».
« Et après tout, pourquoi pas ? », se demande Andre Comte-Sponville, qui ajoute : « Reste à savoir comment obtenir cette "moralisation" du capitalisme. Par l’économie ? c’est exclu. L’économie de marché fonctionne à l’égoïsme. C’est pourquoi elle fonctionne si fort (l’égoïsme est autrement puissant, comme moteur, que la vertu ou la générosité) et si dangeureusement (l’égoïsme n’a jamais suffi à faire une civilisation).
Si l’on veut qu’une société capitaliste soit humainement acceptable, il faut donc imposer au marché des limites externes, non marchandes. C’est ce qui donne tort aux ultra-libéraux, qui voudraient que le marché suffise à tout. Mais on se trompe tout autant si on compte sur la conscience individuelle pour y suffire ».

Le droit et la politique

« Dans mon livre "Le capitalisme est-il moral ?",
poursuit André Comte-Sponville, j’ai montré que la morale est incapable de réguler le capitalime, et même d’en empêcher les effets les plus cruels. C’est ce qui donne tort aux rêveurs, qui préfèrent les bons sentiments à la lucidité.
Faut-il alors renoncer à moraliser le capitalisme ? Non pas, mais cette moralisation ne peut venir ni de l’économie, qui est amorale, ni de la morale, qui est économiquement impuissante.
La conclusion coule de source. Si la moralisation de l’économie ne peut venir ni de l’économie ni de la morale, elle ne peut venir que du droit et de la politique.
Si on comptait sur la morale des banquiers pour réguler la finance, nous serions, dans la crise actuelle, sans aucun moyen d’en sortir !
Bref, plus on est lucide et sur l’économie et sur la morale (sur la puissance de l’économie, sur la faiblesse de la morale), plus on est exigeant sur le droit et la politique ».
Et de conclure : « L’esprit du capitalisme ? C’est le profit (objectivement) et la cupidité (subjectivement). C’est ce qui explique et son efficacité et ses dangers ».

« Assé diviz mon nasyon ! »

Dans un disque paru il y a environ deux mois et largement diffusé sur K.O.I. sous le titre "Ésploitèr", un groupe d’artistes réunionnais appelé Nout Rasine et basé à L’Étang-Salé dénonce avec une vision très réunionnaise les pratiques du capitalisme dans notre pays. Il proteste évidemment contre l’exploitation dont est victime le monde du travail, mais aussi contre les tentatives de division du peuple réunionnais exercées par les tenants des pouvoirs (économique, politique, médiatique) pour affaiblir la résistance du peuple. Il dénonce également le racisme perpétué par ce système depuis l’époque de l’esclavage.
Cela donne le refrain suivant, très agréable à écouter et à chanter en chœur :
« Arète èsploite mon péi té !
Assé diviz mon nasyon !
Kréol sové lé kourte
Mé pran pa li pou in sak sarbon té ! ».

Un droit et une politique pour les Réunionnais

Voilà qui est clair et net. S’il avait fallu attendre que le capitalisme esclavagiste se moralise pour en finir avec les effets tragiques d’un système basé sur le racisme et inscrivant dans la loi que la personne propriété d’un maître est « un meuble », on y serait encore. Il a fallu les luttes des esclaves marrons et de tous les anti-esclavagistes, dont l’étape inachevée des États-Généraux en France et de la Révolution de 1789, puis l’abolition de la monarchie restaurée pour que l’esclavage soit aboli à La Réunion et dans les autres colonies françaises en 1848.
Alors vivent les États-Généraux de 2009 à La Réunion ! Et allons les faire vivre pour instaurer un droit et une politique au service des Réunionnais !

Roger Orlu

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(1) Voir aussi son dernier livre paru : "Le capitalisme est-il moral ?" (édition Albin Michel).


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