Billet philosophique

Un philosophe qui avait « le souci des pauvres »

19 septembre 2013

Neuf jours après le décès d’Albert Jacquard, nous ne pouvons pas dans ce billet philosophique ne pas rendre hommage à ce grand penseur français du 20ème siècle qui a milité durant toute sa vie à réfléchir et à agir pour changer nos sociétés au service de l’humanité. En effet, comme nous l’avons déjà dit dans cette chronique hebdomadaire, c’est bien à cela que doit servir la philosophie ; ou alors elle cautionne le conservatisme qui profite aux classes dominantes, au détriment des milliards de personnes pauvres, discriminées, privées du respect de leur dignité et de leurs droits humains fondamentaux. Alors, que retenir du message d’Albert Jacquard ?

Comme l’ont rappelé Brigitte Croisier et Alain Dreneau dans des articles parus dans "Témoignages" les 13 et 14 septembre derniers, Albert Jacquard a défendu de nombreuses causes humaines dans plusieurs secteurs. Ce que nous voudrions mettre en avant aujourd’hui dans tout cela, c’est surtout « le souci des pauvres » qu’il a cultivé pendant des décennies, comme le dit ce titre de son ouvrage paru en février 1996 chez Calmann-Lévy.

Dans ce livre, le polytechnicien et généticien des populations, qui se disait « rationaliste et athée », mais prônait « un dialogue fécond avec la religion » , souligne l’importance de l’héritage de Saint François d’Assise, qui « peut fructifier entre nos mains, que nous soyons chrétiens ou non » . En effet, ce disciple italien de Jésus, né en 1182 et décédé en 1226, « ose parler des hommes ; il ose dire non à l’argent, non à la propriété, non au pouvoir, non à la violence, non à la guerre, oui au respect de l’autre, oui à l’amour, oui à l’idée que l’homme et l’univers forment une grande unité et que nous sommes les cousins des éléments — l’eau, la terre, le feu, l’air. Précieux pour nous tous est cet héritage ».

Un tel écart

D’où la question : que faisons-nous de cet héritage ? La question est d’autant plus importante qu’Albert Jacquard nous en pose une autre : « Que nous le voulions ou non, nous vivons une phase révolutionnaire de la trajectoire de l’humanité ; demain sera différent d’hier. Cette révolution, allons-nous la subir ou la conduire ?

Tout est à revoir dans la façon dont les hommes vivent : les uns avec les autres ou les uns contre les autres ? L’état actuel de notre Terre ne plaide guère en faveur du mode de vie que nous avons, implicitement adopté. Nous commençons à découvrir que les mots d’ordre de la société dominante, la société occidentale basée sur la compétition, conduisent la collectivité humaine à la catastrophe. Il est urgent de réfléchir et de définir un objectif acceptable par tous ».

Dans ce même ouvrage, il souligne que cela « est d’autant plus urgent que les hommes de cette fin de siècle se précipitent vers un drame dû à l’appétit de richesses de ceux qui dominent. Quelques constats chiffrés permettent de mesurer l’ampleur de la catastrophe préparée. Les Occidentaux et le Japon représentent un quart de l’effectif des hommes ; ils consomment les trois quarts des richesses produites. Cela signifie que la consommation moyenne de chacun des habitants des pays pauvres est seize fois plus faible que dans les pays riches. Un tel écart sera-t-il accepté longtemps par ceux qui manquent de ce qui est nécessaire à une vie digne, et qui voient à leur porte le gâchis de nantis ? ».

Solidaires de ces luttes ?

À La Réunion comme dans le monde entier, des luttes sont menées pour refuser cet « écart » qui sépare notre société en deux mondes et que nous qualifions ici d’ « apartheid social » . On connaît les combats menés à ce sujet par les communistes réunionnais depuis 54 ans et le PCR va faire avancer ses propositions contre la pauvreté et l’exclusion à l’occasion de la visite de François Chérèque à la fin septembre, tout en organisant un grand rassemblement dans ce sens le 20 octobre au Port.

En même temps, le Comité de l’Appel de l’Ermitage organise des rencontres dans toute l’île « pour l’abolition de l’extrême pauvreté à La Réunion, avant 2015 »  ; l’Alliance des Jeunes pour la Formation et l’Emploi à La Réunion (AJFER-Nou lé kapab) tient des réunions partout pour préparer une marche des jeunes le 10 novembre de la Jamaïque à Saint-Denis ; une vingtaine de catholiques réunionnais ont participé aux Journées mondiales de la Jeunesse en juillet dernier à Rio, et à leur retour, ils ont exprimé leur « enthousiasme » pour le Pape François, qui souhaite notamment « une Église pauvre et pour les pauvres »  ; le Collectif 974/Mouvement des Indignés propose un « plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale »  ; le Groupe de dialogue inter-religieux de La Réunion (GDIR) organise la Journée de la Fraternité le dimanche 29 septembre à Saint-Paul, une « rencontre conviviale placée sous le signe de l’échange, de l’écoute, du partage, de la meilleure connaissance de l’Autre, de la fraternité entre les humains dans ce contexte socio-économique quelque peu tendu »  ; le 17 octobre, des actions seront menées par ATD Quart Monde dans le cadre de la Journée mondiale du refus de la misère, en soutien à ce mot d’ordre de l’O.N.U. : « Vers un monde sans discrimination », etc. D’où cette question : sommes-nous solidaires de ces luttes ?

Roger Orlu

(*) Merci d’envoyer vos critiques, remarques et contributions afin que nous philosophions ensemble… ! [email protected]


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