Billet philosophique

Un tabou révélateur

20 février 2009, par Roger Orlu

Le grand cinéaste militant Costa-Gavras, 76 ans, vient de sortir son 17ème long métrage, "Eden à l’Ouest". Ce film, très touchant selon plusieurs critiques, raconte l’aventure pénible d’un migrant dit "clandestin", qui rêve de rejoindre Paris. Dans un entretien avec "l’Humanité-Dimanche", Costa-Gavras explique que son œuvre met l’accent sur les injustices et les humiliations dont souffrent de nombreuses personnes de la part des pays riches et sur le fait que « la solution est entre les mains du pouvoir politique ».
Il ajoute que l’intégration de tous les citoyens doit être « le projet collectif d’une société » et que « c’est un enjeu décisif, qui nécessite d’aborder la répartition des richesses au niveau mondial ». Pour le réalisateur de "Z" (1969), qui dénonçait la dictature des colonels en Grèce et la complicité entre le pouvoir politique et l’appareil judiciaire, « c’est une dictature économique à laquelle nous avons à faire aujourd’hui. Ce ne sont plus les élus que nous envoyons à l’Assemblée qui nous dirigent mais les grands patrons. On ne peut que constater où cela nous a menés, à cette crise qui va être longue et profonde. Et ce n’est pas en allumant un petit ventilateur qui brasse beaucoup d’air qu’on sortira de l’impasse… ». (1)

Une délinquance institutionnalisée

Tous les jours, nous avons des illustrations des effets tragiques de cette dictature des rois de l’argent dans le monde. Mais rarement les médias au service de ce régime ne cherchent à faire connaître les causes de ces malheurs et donc leurs responsables.
Par exemple, après les drames survenus cette semaine en Guadeloupe dans le cadre du mouvement social qui soulève tous les DOM, la tendance dominante des commentateurs consiste à stigmatiser « les bandes qui profitent du malaise pour aller voler ». Mais pourquoi ne s’interrogent-ils pas sur les raisons profondes qui conduisent des jeunes chômeurs, exclus et précaires, sans moyens ni raisons de vivre, à saisir une occasion de se rebeller comme ils l’entendent ?
Pourquoi ne dénoncent-ils pas les riches qui profitent de ce système barbare pour voler tous les jours les richesses produites par le travail ? Et pourquoi l’État se fait-il le complice de cette délinquance institutionnalisée ?

Des voleurs non sanctionnés

Mardi soir, dans l’émission "Complément d’enquête" diffusée par Tempo, plusieurs responsables économiques et politiques de France ont reconnu que la crise actuelle est le résultat d’une accumulation de profits abusifs exercée par les spéculateurs, les patrons et les actionnaires, au détriment du monde du travail. Ces abus de voleurs qui empochent les sous sur le dos des travailleurs sans travailler eux-mêmes seront-ils sanctionnés ? Bien sûr que non. Or Jean-Marie Messier, l’ancien patron de Vivendi Universal, explique clairement que « le capitaliste spéculateur vend quelque chose qu’il n’a pas ». Ce qui est bien du vol.
Pour limiter quelque peu ce vol, le Pays-Bas a voté le 1er janvier dernier une loi qui surtaxe les entreprises dont les patrons gagnent plus de 500.000 euros par an, soit près de 50.000 euros par mois. Un tel revenu maximal, s’il réduit les revenus astronomiques pratiqués jusqu’alors, est-il justifié dans un monde qui compte plus d’un milliard de personnes sous-alimentées ?
Cette avidité, cette course à la rentabilité et ce refus d’équité s’accompagnent d’un refus de la vérité et de la transparence. Ainsi, dans cette même émission, on a vu un patron, qui se prétend « éthique » au nom de sa religion chrétienne, refuser de dire combien il gagne chaque mois. Ce tabou est révélateur de l’hypocrisie de ceux qui prônent une « moralisation du capitalisme ».

Un partage équitable des richesses à La Réunion ?

À La Réunion, où nous souhaitons inventer et bâtir ensemble un nouveau modèle de développement, durable, démocratique et solidaire, avons-nous la volonté et le pouvoir de mettre en place une politique des prix, des revenus et des impôts qui soit cohérente et juste ?
Pendant que plus de la moitié des Réunionnais survivent sous le seuil de pauvreté avec moins de 690 euros par mois, alors que les prix sont supérieurs de 35 à 62% à ceux de France selon les études, l’autre monde a des revenus indexés supérieurs d’au moins 53% à ceux de France. Ainsi, pendant que les uns galèrent tous les jours pour se nourir, se loger et se déplacer, les autres accumulent les villas de luxe, les bagnoles polluantes, les voyages touristiques et autres gaspillages grâce au pillage.
Si nous voulons être crédibles quand nous prônons une société plus harmonieuse, sommes-nous déterminés à tout changer pour instaurer un partage équitable des richesses dont nous disposons à La Réunion ?

Roger Orlu

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(1) "HD" du 12 février 2009, pages 56 et 57.


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Messages

  • entièrement d’accord avec ce qui est dit. je rajouterai qu’il faudrait que ce genre d’analyse qui semble prendre forme un peu partout et se préciser, puisse déboucher sur la mobilisation du plus grand nombre et la mise en place d’actions concrètes. irait t-on jusqu’à une gouvernance (ou plutôt un contrôle des affaires) par le peuple ?


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