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par le Dr Raymond Vergès

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Bradbury, le miroir enchanteur

jeudi 21 février 2013

Avec Ray Bradbury, le ciel est comme une vieille peau de serpent vidée, et le coucher du soleil semblable à une fourrure de lion. Ne me demandez pas pourquoi : l’auteur cultive l’art d’écrire qui consiste à « Voir ce qui ne peut qu’être vu et non compris ».

Essayez simplement de sentir ce plaisir qu’il y a à faire couler du sable entre ses doigts et de voir le temps passer.

Parce que ce plaisir — comme tous les vrais plaisirs — commence par un renoncement.

Devant le spectacle de cette femme splendide — en fait mariée — suivie par un homme sur le quai d’une gare, deux habitués de la ligne, derrière la vitre d’un wagon, se découvrent la même expérience, et reconnaissent : « De gros abrutis en rut, voilà ce que nous sommes tous, vous, moi, eux, enfin, tous, sautillant comme des grenouilles de laboratoire à la moindre provocation.

- Mon grand-père m’a dit un jour : “Grand par le sexe, petit par l’esprit, voilà le destin de l’homme”. (…)

- Toutes les femmes sont des femmes, et tous les hommes sont de vilains satyres. Vous ne ferez qu’échafauder des théories sur vos glandes, pendant toute votre vie. Les choses étant ce qu’elles sont, vous ne connaîtrez aucun repos avant d’avoir 70 ans bien comptés. En attendant, l’étude de vous-même pourra vous offrir toute la consolation qu’il est possible de récolter dans une situation difficile. Étant donné toutes ces vérités essentielles et implacables, peu d’hommes atteignent un jour cet équilibre. Demandez à un homme s’il est heureux : il croira immédiatement que vous lui demandez s’il est satisfait. La satiété ! Voilà le rêve de la plupart des hommes ! ».

Au pays de la fausse décontraction des Beigbeder et de la consommation frénétique des Houellebecq, les mots de l’Américain détonnent. Mais ces mêmes personnages qui déplorent cette mésaventure de mâle, le lecteur les retrouve à la fin marionnettisés par leur propre épouse, en une dialectique qui les fait rejoindre celui qui sur le quai de la gare est à la poursuite de son rêve, et qui fait de la femme non un être aimé, mais une montreuse de marionnette.

Quelles impressions peuvent laisser cette analyse dans l’océan Indien, ici, non loin de Madagascar, terre de tourisme sexuel, 3ème destination du genre après la Thaïlande et le Brésil, non loin de Mayotte également, perdue entre pratiques de la polygamie (procédure orale) et loi républicaine (de tradition écrite) que nul n’est censé ignorer alors que toute une génération ne sait lire le français et n’a eu aucune instruction républicaine ? Dans toute la région, la relation sexuelle se trouve dévalorisée — la pauvreté y est telle que cette relation se fait le masque de prédations financières. Et le phénomène affecte de manière considérable la qualité (intensité et durée) de la relation homme-femme, et par ricochet les représentations que se font les enfants des adultes.

Scénario : Un prof d’université de La Réunion donne des cours à Tana. Son épouse lui découvre des relations, son mari lui répond : « Ma chérie, il faut être moderne. Tu n’as qu’à faire de même ». Par vengeance, elle noue des relations furtives avec des étudiants. L’un d’entre eux, plus fragile, plus tendre, tombe éperdument amoureux, comme on peut l’être à cet âge. Le drame survient. Mettez un enfant au milieu de tout ça. Veillez bien à montrer comment l’enfant se venge du monde adulte. Vous m’en ferez 100 pages.

Ray Bradbury n’est pourtant pas un écrivain réaliste, ce n’est pas un écrivain exclusif de la satire sociale. Son écriture transcendance la société, elle voit plus loin. Sa dialectique — il faut relire sa parabole de l’écriture qu’est Un Rare Miracle d’Ingéniosité — est toute poétique. Il y montre le chemin pour sortir de tout ça, sachant cultiver l’art non pas d’ajouter, mais de distinguer dans le brouillard de la vie ses secrets.

Le genre de vie qu’il appartient à tous de débusquer.

 Jean-Charles Angrand 


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