Garfield à la rubrique du fait ni à faire

4 décembre 2014, par Jean-Baptiste Kiya

Garfield, dur de la feuille par Jim Davis, éditions Dargaud.

Longtemps on a dit qu’à La Réunion, il y avait une nouvelle espèce de chien le long des routes : fin, avec des traces de pneu dessus. La leçon de Garfield c’est s’en servir comme paillasson devant chez soi – le recyclage.
Ce qu’il y a de marrant avec Garfield, me disait un copain, c’est que le fond est dur et le dessin est mou.
Il faut dire que la vie de ce chat est comme une vieille paire de chaussettes : elle traîne, elle pue.
Jon Arbuckle, son maître – autant qu’on puisse parler de maître à propos d’un chat – est le roi des râteaux, à tel point que son chat dit de lui qu’il a épousé une pizza, ce qui vaut mieux sans doute : au moins ça ne dure pas longtemps.
Ne le voit-on pas pendu au téléphone dire : « Très bien, Hélène, ne sors pas avec moi ! Je ne veux pas de ta pitié… – sauf si tu insistes ! »
Ou : « Salut, Patty, c’est Jon à l’appareil, l’homme de tes rêves… Dis-moi, que veux-tu pour Noël ?… Un numéro sur liste rouge, vraiment ? »
« Salut, Suzanne, on se fait un ciné ? Bon, dans ce cas, est-ce que tu veux juste m’épouser ?… J’espère que tu ne hurleras pas comme ça devant les enfants ! »
Ou bien : « Hélène, c’est Jon. » On entend à l’appareil : « EEEEK ! (Clic.)” A Garfield : « Elle a dû avoir un accident. »

Les deux d’ailleurs, Jon et Garfield, ne s’entendent pas si mal ; il savent s’arranger : à la crétinerie de Jon répond le cynisme de Garfield dont l’unique préoccupation est de manger, et d’écraser l’araignée qu’il a au plafond. La presse écrite avait jadis cette fonction ; c’est moins pratique avec un ordinateur.
Une araignée, au chat orange : « Mon dos me gratte. » Alors Garfield prend un journal et en assène de grands coups sur la bestiole qui s’aplatit vite fait. « Ça va mieux ?, fait le chat. – Un peu plus à gauche. »
Les commentateurs ont dit que Jon, c’est un monde parallèle. Il se plaint sempiternellement d’être seul, alors qu’il a un chat poilant avec lequel il ne se poile même pas. Ils mettent au centre de leur existence l’ennui pour s’apercevoir qu’il recèle bien des recoins inattendus autant que poussiéreux.
Regardez par exemple, le chien Odie comme il boit l’eau de la cuvette des toilettes au lieu d’en prendre dans sa gamelle. Et quand il y a des problèmes, c’est sûr il y a toujours des fausses solutions.

Le félidé, d’une paresse épique, qui ne passe pas dans la chatière, est pourtant le personnage de tous les écarts : paumé entre son animalité et son humanité. Il cultive la mauvaise foi comme une fleur : en urinant dessus ; il rumine sa paresse comme un vieux chewing-gum qu’il va coller au derrière d’Odie pour lui dire : « Assis ».
La relation de Jon et de son chat, c’est celle d’un père indifférent et de son grand fils fainéant : la déception est réciproque, et la tolérance sans fond. Ils s’offrent un spectacle ridicule dont ils ont pleinement conscience – c’est la force de leur faiblesse. Même les lamentations sont superflues. La catastrophe quotidienne est non seulement acceptée, mais attendue, de sorte qu’on s’en remet une couche. Ces personnages sont revenus de tout sauf d’eux-mêmes. Rien de bien sérieux donc dans ce couple dont le ridicule s’offre à chaque fois en de surprenantes facettes.

Jim Davis a su représenter des personnages embourbés dans cette « merdonité » dont parle Leiris, pour désigner ce monde moderne aussi vide qu’une vieille noix de coco, lot commun dont nos personnages se saoulent au fil des pages jusqu’à la lie.
Il nous faut le dire, Garfield et les siens nous aident à rire de notre petitesse.
Jim Davis, comme son chat, a le don de la provocation molle : façon, sans doute, de remettre la réalité sur pieds, de nous rappeler félinement que la réalité est toujours en chantier, et que si l’homme a des pieds de boue, sa tête trône dans les étoiles, mais qu’il faudrait, au préalable, au moins, ouvrir les paupières et non dormir devant la télé que nous projette la « sauciété ».
J’ai demandé des nouvelles de Garfield à ma voyante, elle m’a dit qu’il est parti dans l’hyper-espace – avec flegme – conquérir l’univers, ce Grand Mou.


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