C’en est trope !

Histoire du désastre américain

26 mai 2011

9 septembre 1492, deux Caravelles et une yole aux noms de prostituées s’enfoncent vers le néant : le néant des cartes. Les marins pleurent la disparition des côtes, ils ont peur d’être absorbés par la mer. L’Amiral leur dresse le tableau des richesses qui les attendent. Le 12 octobre, sur une plage du San Salvador, la bannière du Roi d’Espagne est fichée. L’Amiral Colomb demande aux autochtones s’il y a de l’or. Deux temps : on s’accapare la terre, puis on la pille. Il faut 50 années pour que l’or soit remplacé par la canne, et les Indiens par des Noirs.

Que restera-t-il de Tenochtitlàn, la ville du milieu du lac, capitale des Aztèques ? Une mégalopole archi-polluée, Mexico. Les Aztèques avaient livré des cadeaux aux Conquistadores pour qu’ils rebroussassent chemin. L’or ne fit qu’aiguiser leurs appétits. Embuscades, trahison et massacres, voilà la silhouette de Cortès. Face au fer, le suicide des jeunes Indiens.

Au Pérou, Pizarro tire au canon sur les Incas désarmés et invoque Saint Jacques, apôtre de la Paix. Des champs de maïs, de haricots, de patates douces dévastés, il ne reste aujourd’hui que de la bruyère et la roche. Les Espagnols ont sucé le sol de l’Amérique. « Le paternalisme stable et prospère de l’État inca fut remplacé par une profonde indifférence envers les gens. (...) Le mépris des Espagnols à l’égard du comportement humain leur était incompréhensible, ce qui les désespérait au plus haut point. Il semble qu’ils ne s’en soient jamais remis ». Des mots qui trouvent un sens même dans notre société.

L’Espagnol cherche l’or toujours plus loin. La civilisation aztèque et inca était raffinée, le décalage militaire ne pardonne pas. Des guerres injustes sont déclarées pour arracher les derniers esclaves indiens à leur terre et les envoyer au fond des mines révérer argent, or, le mercure.

La litanie des atrocités qu’entreprend de faire l’ouvrage n’est pas le constat le plus terrible. L’arrogance de l’Occident est autrement marquée. Le pire, ce sont les justifications qu’il s’est données à lui-même. C’est cette espèce de comédie des pouvoirs : l’arsenal juridique, la raison politique, le fondement religieux, l’argumentaire économique, le racisme viscéral.

Des bases légales et rationnelles viennent justifier les exactions : le Requerimiento est rédigé par le juriste espagnol Palacios Rubios. Le Christ a donné le règne du monde à St Pierre, St Pierre l’a laissé au Pape, et le Pape a attribué les territoires de la mer Océane à l’Espagne. Subséquemment, si l’indigène n’est pas en mesure d’accepter cela, il est fait esclave. La lecture de l’acte doit en être faite. C’est la bonne blague des Conquérants qui le lisent en bonne langue espagnole devant des populations parfois déjà massacrées, le document est lu aux arbres, aux montagnes, aux vallées.

Au Nord, il y eut le « vacuum domicilium », terme juridique pour dire « terre inculte » : les Indiens n’ayant pas soumis la nature, elle se trouvait libre de droits. Sont créées ainsi des terres vierges, la Virginie est déclarée inhabitée, comme son nom l’indique, et par conséquent, la population autochtone composée de non-personnes...

La religion justifie aussi. Il est décrété que « Dieu avait condamné la race indienne à périr en totalité à cause des horribles péchés commis dans leurs pratiques païennes », « les Indiens ont du sang juif, parce que, comme les Juifs, ils sont paresseux, ne croient pas aux miracles de Jésus et ne sont pas reconnaissants envers les Espagnols de tout le bien qu’ils ont fait pour eux ». Parce que...

Socialement, au Nord, il fallait élever les jeunes Indiens « à l’anglaise » ou les éradiquer.

« Ce fut le pillage de l’Amérique, remarque l’auteur, qui finança la Révolution industrielle et libéra l’Europe de sa traditionnelle économie de disette pour la rendre maître du monde... La colonisation commença à la maison : les Espagnols s’entraînèrent sur leurs propres paysans et massacrèrent les natifs des îles Canaries ; les Portugais firent de même aux Açores... Toute l’Europe possède une “mystique de classe” selon laquelle les pauvres sont une espèce différente. Et en Amérique, cette mystique de classe s’est transformée en mystique de races ».

L’ouvrage, publié en 93, demande une mise à jour. En 2007, la Déclaration des droits des peuples autochtones est adoptée à l’ONU — à l’exception de la France qui ne l’a pas ratifiée...

Les autorités françaises ont contraint les Indiens de Guyane à la sédentarisation. Les terres hautes d’où ils tirent leur subsistance sont laissées à la violence des garimpeiros. Les rivières et les sols sont empoisonnés au mercure. La culture palikur gangrénée par l’Évangélisme. Les Intervenants langues premières, sans expérience, livrés malignement à eux-mêmes. L’école acculture les jeunes, les tenant enfermés dans les carrés de béton. Un véritable génocide culturel se déroule en silence. Les jeunes ne sauront rien des chants traditionnels. Le CSIA-Nitassinan, association de défense des premiers Américains, crie dans le désert. Osera-t-on parler de responsabilités ?

Jean-Charles Angrand

“Petite histoire de la conquête des Amériques” par Hans Koning, éditions de L’Échappée.


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