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Justice complice

jeudi 8 décembre 2016, par Jean-Baptiste Kiya

À quand un musée des Exilés, des Émigrés, un musée de plein air, en plein cœur de Paris, destiné à tous ceux qui sont partis, n’en pouvant plus, à ceux qui auraient désiré fuir aussi, qui auraient voulu d’un ailleurs et qui n’en ont pas eu les moyens, qui ont dû en rabattre sur leurs rêves ? Paris a son musée de l’immigration (juste retour des choses pour celle qui ne fut pas construite avec ses seules forces), mais n’a pas érigé de monument ailé à la mémoire vivante de l’émigration : c’est bien là une constante française que de ne pas pouvoir faire face à ses échecs, que de ne pas s’abaisser à les reconnaître, une constante nationale que de fermer les yeux. C’est ici d’échec que Bernard Elhaik parle, l’échec d’un système, d’une méthode, une habitude. Ou plutôt d’une cécité volontaire, c’est-à-dire une corruption entretenue.

Cela fait à présent plus de 8 ans que sa fille Carole est entre la vie et la mort, plongée dans un coma végétatif, au cœur d’un établissement spécialisé. Cela fait plus de 8 ans que ce père demande la reconnaissance des faits qui ont amené Carole à cette extrémité de l’être. C’est un acte d’amour que son combat intitule. Carole a laissé une famille, une sœur jumelle, Sandie. C’est sur le sable qu’on écrit des lettres pour qu’elles soient emportées par la marée. Sandie a laissé à sa sœur des lettres sur sa table d’hôpital, pour un réveil inespéré, elles ne seront pas lues, elle les a laissées jusqu’à ce qu’elle comprenne que sa sœur ne se réveillera plus : « Pendant des mois, je n’ai pu me regarder dans un miroir parce qu’il reflétait à l’identique le visage de ma sœur qui me manquait terriblement. Le jour où j’ai compris que son état végétatif était définitif, j’ai connu le sentiment d’être seul. Je me suis sentie comme amputée de la moitié de mon être », elle ajoute : « Je préférais quand on m’appelait Carole, parce qu’on nous confondait » : cela marquait leur existence à toutes deux, elles étaient unies par cette confusion même. Et puis, brusquement, le miroir n’a plus rien reflété. Ou plutôt elle y distingua un fantôme qu’elle s’est mise à fuir, elle a quitté la France pour Israël.

La justice tombait mal. L’hôpital aussi. Pour une fois, c’était un docteur, attaché d’enseignement à l’université Paris VII, à qui la justice et l’hôpital essayaient d’en conter. La justice a trop l’habitude de mener en barque de petites gens, des gens qui ont le dos rond, elle ne s’attend pas, dans ses certitudes et dans la promotion dont elle se berce, à ce qu’on lui résiste.

La sagesse populaire répète qu’il ne fait pas bon aller en urgence à l’hôpital pendant les fêtes et en fin de semaine. Les pontes prennent aussi des vacances. Elle dit que « ce sont les bouchers qui opèrent. » Carole vient d’accoucher, elle a des maux de tête très intenses, suivis de vomissements, elle ne tolère plus la lumière, elle est emmenée aux urgences un samedi soir. On la bourre de médicaments, et on la fait sortir le lendemain, pour le lundi la rappeler afin qu’elle revienne à l’hôpital. L’IRM n’a pas été lu, il est en fait alarmant.

Détaillons les étapes. UN : Il y a une semaine que Carole a accouché, elle est prise de maux de tête. Angiopathie du post-partum : 150 cas environ en France chaque année, bénigne et réversible. La littérature médicale est abondante.

DEUX : Un médicament lui avait été prescrit à sa demande pour arrêter la lactation : le Parlodel. Or, dans 75 % des cas, l’apparition de l’angiopathie du post-partum est associé à la prise du Parlodel (bromocriptine). Un cas décrit dans la Revue de Médecine Interne évoque que le simple fait de supprimer la prise de Parlodel entraîne la régression de ces symptômes.

« Beaucoup de femmes se sont vu prescrire de la bromocriptine pour prévenir ou arrêter la lactation. Or, aujourd’hui, ce médicament est associé à un trop grand nombre d’effets indésirables graves pour continuer à être utilisé dans cette indication. » Dans un communiqué du 25 juillet 2013, l’Agence du médicament annonce que le rapport bénéfice/risque n’est plus favorable (survenues d’effets indésirables rares mais parfois graves, cardiovasculaires dont l’AVC, neurologiques et psychiatrique), si bien qu’il ne doit plus être utilisé à cette fin. Aucune demande en ce sens aux urgences, alors que le fait qu’elle vient d’accoucher n’est pas ignoré. Au contraire : Carole est mise sous perfusion de Profenid (TROIS), alors que le diagnostic n’est pas établi et que le risque hémorragique n’est pas écarté. Or, « le Profenid comme tout AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens) ne peut être administré précocement en cas de céphalée importante que chez les migraineux connus et reconnus », ce qui n’était pas son cas.

QUATRE : En résulte un AVC, hémorragie cérébrale violente accentuée par le Profenid. « Le cerveau est fusillé ». Prenant conscience de la faute, le Dr. Elhaik se retourne contre l’hôpital. 8 années de procédures vaines, où les approximations s’ajoutent aux mensonges et aux dissimulations.

L’auteur médecin pose alors la question fameuse de l’indépendance de cette justice qui « n’a jamais accepté de prendre des experts indépendants des hôpitaux publics », qui dans un réflexe corporatiste protègent leurs pairs, pour conclure : la justice s’est refusée « à faire la synthèse des informations reçues et de toutes les contradictions. Elle a fait fi de la réglementation en vigueur et de la loi en multipliant les erreurs », pour préciser factuellement : « ce qu’elle affirme à propos du Parlodel est faux : la contre-indication vis-à-vis de l’hémorragie cérébrale concerne le Profenid et non le Parlodel qui lui est contre-indiqué selon les références de la Sécurité sociale dans l’angiopathie cérébrale. »

Il y a des réalités dont ne parle pas : c’est que l’hôpital est malade. Avec 15 millions d’hospitalisation en France en 2013, les décès liés aux erreurs médicales pourraient avoisiner les 50.000, représentant la 3e cause de mortalité du pays après les cancers et les maladies cardio-vasculaires, indique un article du Monde du 4 mai 2016. Cela fait quelque dix mille morts par an.

Pour soigner la maladie de l’hôpital, il faudrait mettre en place des protocoles. Ce qui ne se fait pas, du fait que les erreurs médicales sont très peu judiciarisées.

« Si les procès au pénal d’équipes médicales, précise le Dr. Elhaik, sont très médiatisés, ils restent assez rares. Et davantage, quand il s’agit de condamnations à de la prison ferme ; comme dans le cas des irradiés d’Épinal, en première instance où les médecins ont été condamnés à quatre ans de prison, dont 18 mois ferme (près de 450 personnes traitées pour des cancers de la prostate ont subi une surdose de radiation, 12 sont décédés, beaucoup d’autres ont gardé de graves séquelles). La peine a été réduite en Appel à trois ans de prison avec sursis intégral. Comme quoi la justice a du mal à mettre sur le banc des accusés des médecins et encore plus à les envoyer en prison. »

Il ne fait pas bon avoir un mal de crâne à l’hôpital un samedi soir, une veille de fête. Aussi souhaitons-nous un joyeux Noël à tous les bien-portants. Pour les autres, on croise les doigts.

Jean-Baptiste Kiya


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