Kouyonis and Co

25 août 2011

À en croire certains, on remplace les fenêtres tandis que le plafond menace de s’effondrer... La Kouyonis à La Réunion serait partout, aurait tout contaminé. Il serait donc inutile de vouloir l’étudier omniprésente, elle serait invisible.

D’autres prétendent qu’essayer de décortiquer la kouyonis, c’est un peu tuer l’oiseau pour lui dérober le secret de son vol... En parler, c’est comme vouloir se mordre le nez, c’est en soi couillon. C’est si vrai que Bergson n’a jamais fait rire personne. Les deux vues visant à la même conclusion : Rien ne dépasse l’absolu ridicule de la personne humaine. Force cependant est de remarquer la spécificité du Kouyon réunionnais qui diffère en tout de l’idiot chinois, malgache ou bantou. Témoin le petit “Kass la blag ! 2” sorti aux éditions du Boucan qui se concentre (plus que le premier volume) sur la figure de l’Idiot moderne et idiosyncrasique.

L’idiot local est un peu comme la fumée, il se barre à tous les alizés. « Vendèr la fimé, panier lé doré » pose la question de façon coutumière de savoir qui est le plus idiot de celui qui tente de vendre la fumée ou de celui qui regarde le panier doré ? Ici, le cochon qui veut faire le cheval de course se retrouve aussi bête qu’une morue devant un hareng. Certains veulent faire le boudin dans le ventre du cochon, tandis que d’autres courent pour attraper le soleil. L’idiot ici est souvent actif, mais d’une activité vaine. L’Idiot réunionnais tourne en rond. Ce qui protège la kouyonis c’est précisément qu’elle n’a jamais l’agressivité du foutan : la première a la saveur d’une naïveté que l’autre ne possède pas.

Me revient un instant le refrain : « Mais mi vé pi fé le vide dann mon coco/Côté le rail moin la rentre dann’train ;/Sans penser que mi t’é ça trop loin »...

En tout cas rien à voir, par exemple, avec l’ubishi mahorais qui mal reçu se mue en mgangui. L’ubishi privilégie la connivence, et a pour vocation de présenter un état limite. Un tiers peut s’y tromper et croire que c’est du vrai — ce qui en accentue le plaisir. Le rire mahorais joue sur la notion de vrai et de faux. Mon amie me dit qu’elle attend un bébé et que ce bébé est de moi. Je lui ai répondu : « Il faut le tuer ».

Elle a pris ça au sérieux et m’a jeté à la porte... C’est un ubishi qui n’a pas fonctionné. La rumeur est un ubishi vidé de son caractère comique. « Eh, ne va pas à la plage, il y a des coquillages qui mangent les enfants ! » n’est pas une rumeur, mais pourrait l’être. L’âge, comme le montre l’exemple, ne protège pas de l’ubishi, au contraire. Cette plaisanterie d’origine bantou utilise le shimaorais — et non le shibushi — et concerne plus spécifiquement la jeunesse et la vieillesse, les moments les plus légers de l’existence où on peut se permettre de grimer l’autre en idiot.

Il manque effectivement une étude sur les différents rire de la région, à faire avant que la mondialisation ne ratiboise tout : une « anatomie de la bien bonne », comme celle que Gripari nous avait concoctés aux éditions Julliard, avec son “Du rire et de l’horreur”.

Les volumes des “Kass la blag !” viennent réactiver le vieux fond de kouyonis à La Réunion et font montre d’une belle inventivité. La langue créole est bien vivante : elle remue diablement. Ses cibles préférées : les Sainte Gilloises (on aurait aimé aussi les Saint Gillois) croisent les agents de la DDE, des miss Rougail, et, signe des temps, des personnalités du petit écran.

Voici la traduction en français que nous offre le recueil d’une de ces « blag » : « Une Saint Gilloise se promène en ville et voit son reflet dans un miroir. Elle pense alors : J’ai déjà vu ce visage quelque part... Je suis presque certaine de le connaître ! Après quelques secondes d’intenses réflexion, elle se dit : Ah, je sais ! C’est l’autre connasse qui me fixait chez le coiffeur ! ».

Les deux tomes de “Kass la Blag” montrent la belle inventivité de l’oralité et la dynamique du créole parlé et pose une nouvelle fois le problème de la fracture des langues et de leur apprentissage. Comment les jeunes peuvent ils apprendre correctement le français et par suite les langues étrangères si l’Éducation nationale ne les aide pas à structurer leur propre langue ? Le système néo colonialiste est là, dans la négation systématique de ce qui constitue l’autre, y compris de manière implicite, à commencer par sa propre langue. C’est oublier que la nation est constituée d’un faisceau de langues aux origines diverses et que, de fait, dans les domaines éducatif et culturel, les faire taire tient du mépris.

Comme à l’accoutumée, Ivy Compton Burnett vient relativiser tout cela en faisant se rejoindre les contraires : « En réalité, tout est tragédie. La comédie n’est qu’une façon malintentionnée de regarder la tragédie, quand ce n’est pas la nôtre ».

Mais au delà de la formule, reste la bonne nouvelle que nous apporte le petit bouquin : « La Région vient de décider qu’au 1er janvier prochain, sur toute l’île, les automobiles devront rouler à gauche. Si l’expérience est concluante, à partir du 1er février, la mesure sera adoptée pour les camions ». Yves Gruyer vous tiendra au courant.

Jean Charles Angrand

Langue créole à l’école

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