L’écume dessinée

19 janvier 2012

Dessin de Pancho dans France-Guyane : deux toucans discutent sur une branche. Le premier dit : « Les tirs d’Ariane n’ont aucun impact important sur l’environnement ». L’autre répond, tendant le cou : « Comment ? ».
Entre les deux, l’espace de la com’ et de la réalité.
Et puis, curieusement, on se dit que, dans la forêt du dessin et des mots, les volatils ont des sourcils terriblement expressifs.
La rédaction du magazine américain le “New Yorker” a pour vocation de transmettre un « humour sophistiqué » ; elle reçoit un millier de dessins par semaine. N’en déplaise à beaucoup, le tri est sévère, n’en sont retenus que vingt. Choix arbitraire, injuste, rattrapé en partie par cette publication qui compile les dessins refusés, mais réussis d’une trentaine d’entre eux : repêchés donc des eaux du Léthé éditorial, recrachés par la baleine.
Toute la question est là : c’est quoi un bon dessin de presse ? Comment le différencier du mauvais ? Pressés par un journaliste, certains illustrateurs — les premiers juges sans concession de leurs propres travaux — n’ont pas hésité à répondre de manière personnelle et imagée : « C’est une espèce de guillotine montée à toute vitesse, un engin à couper l’œil »... « C’est le bon accord entre le trait et l’idée » (Gibo) ; « Le bon dessin est un caillou qu’on jette à l’eau : il doit faire des ronds tout de suite : on doit comprendre immédiatement. Et en même temps, il faut que ça aille très loin » (Marol) ; « Un bon dessin de presse est comme un problème de mathématiques. Chaque élément est à sa place. Son résultat doit être net et précis » (Turgut) ; « C’est une gifle, mais en même temps un moment de plaisir » (Iturria).
D’abord, le dessin de presse doit être pressé. Ensuite, il ne doit se donner qu’en partie. Comme le tango : un pas en avant, deux en arrière ; il doit donner l’impression d’une fuite. Et enfin, il doit faire rire, ou déranger, ou les deux en même temps.
Bien qu’inscrit clans la réalité américaine, ces dessins nous font réagir. De l’humour noir à la Plantu, à vomir de rire. De l’anticlérical à la Cabu, la religion devient spectacle pur. L’humour affreux y excelle. Le dérangeant aussi, le surprenant s’invite à l’occasion. Le poétique arrive, à ce point que certains d’entre ces dessins sont indescriptibles : aucun mot ne peut les dire sans les froisser.

Émouvant par exemple ce couple dans le lit, après l’amour, quand l’un d’eux murmure : « Mens-moi encore »... Ce qui n’est pas sans rappeler un dialogue de film où la femme se fend d’un « je vais te dire la vérité : ton enfant n’est pas ton enfant ». Et l’homme de répondre : « Tu n’as pas d’autres vérités à me dire ? Peut-être que tu n’es pas ma femme, non plus ? ». De la haute philosophie, quasi zen, aux embranchements multiples.
Autre dessin : l’homme est allongé, la tête bien enfoncée dans le four ; sa femme s’inquiète : « Tu en as pour longtemps ? J’ai besoin de faire cuire quelque chose ». Tout y est, en peu de traits, en peu de mots : l’accessoire et l’essentiel.
Un intégriste barbu a l’humanité de demander en fixant la ceinture d’explosifs à la taille de son camarade : « Ça va ? Pas trop serré ? »...
Contradiction vive et comique entre le dessin et les paroles : des femmes voilées prient au pied du Christ crucifié. L’une d’elles se tourne vers l’autre et déplore : « Tout ça, par népotisme ! »…
Une mouette peu amène s’adresse à un môme sur la plage, pendant que ses parents dorment : « File-moi ton sandwich ou je ch... sur tes parents ».
La science en prend un coup naturellement, avec la chirurgie plastique en premier plan. Un homme, un peu emmerdé, s’adresse à sa jolie épouse : « En feuilletant l’album de ton école, j’ai découvert que tu étais un mec ».
On n’arrête pas le progrès. Voilà donc un motif de divorce — et encore, car le mariage entre gay n’est ras considéré comme valide. Donc il doit divorcer sans n’avoir jamais été marié, question de principe.
La règle veut que les cocus fassent toujours rire : un homme rentre chez lui et trouve son épouse en dessous, l’amant attaché au sommier du lit, il s’écrie : « Ma femme ! Ma cravate préférée ». Sky, my husband ! Finalement, et dans un sens, c’est vrai : la femme et la cravate, même décorum. On vient avec son épouse pour la montrer, comme la cravate s’attache à notre cou. Et si la première nous quitte, cela mérite bien qu’on se pende avec la seconde.
Triste époque, mais on ferait mieux d’en rire !, voilà le message de ces dessins, consolateurs, édifiants, méchants, bêtes, bref, un résumé de l’Homme. Courage, fuyons !
Il demeure que “Témoignages” a son chroniqueur littéraire, mais pas de dessinateur. Ça fait un vide. Je m’en sens presque orphelin. Que fait la Rédaction ?

 Jean-Charles Angrand 


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