L’enfant derrière la vitre

17 décembre 2015, par Jean-Baptiste Kiya

La Vie ripolin de Jean Vautrin, éditions Mazarine.

À une époque, on disait que c’était Ripolin qui avait peint la mer en bleu. On appelait ça de la « réclame ». Riri, Polo et Rino, démultipliés en buvards, se peignant le dos, face à un mur, étaient de fameux monte-en-l’air pour les écoliers amateurs de pieds nickelés, de vrais passe-muraille, des héros. Picasso, Picabia eux-mêmes utilisaient la finition Ripolin, Le Corbusier évoquait une certaine « loi Ripolin » devant laquelle il fallait se ranger. Il n’y avait en effet que Ripolin pour effacer les murs. Et Jean Vautrin le savait.

« Fais-moi un enfant BLEU, commandait Victoire. Maintenant !

—  Je t’en ferai dix, promettait Charlie. Je te rendrai si heureuse que tu ne manqueras jamais de rien, et quand nous serons vieux, nous entreprendrons le tour du monde pour être sûrs que nous n’avons rien oublié ».

Il n’y en eut pas dix, des enfants, mais un seul. Il s’appela Benjamin. Il ne fut pas bleu, mais couleur mur. Il ne manquait plus que de le peindre. L’entreprise s’avéra carrément difficile : toutes les couleurs partaient. Elles coulaient.

L’autisme est une langue qui n’a pas de traducteur. On peut dire tout ce qu’on voudra, et comme les psy leur en coller une, elle ne leur conviendra pas. Ça ne tient pas, ça coule. Jean Vautrin le savait : l’autisme est un problème de langue. Et comme il n’y a pas de langage pour le dire, il fallait en inventer un : sauvage, abrupte, se moquant de la syntaxe, à la sémantique ravagée, tout chargé en néologismes, en découpailles, strudences et autres malfaçons… Il n’y a pas manqué :

« Une vivacité de cerf-volant. Et pas de serrure apparente. Il ne parle pas. Au fond de ses yeux gris plutôt acier passent en reflet des énergies consternantes. Des lueurs de violence, tempérées d’exercices de pitié.

Il est dans sa chambre, suspendu à un fil. Il dévide. Il tisse. La solitude est son domaine. Il règne sur le blanc. Il se balance au rythme de son tam-tam intérieur. Du haut de sa perception mirador, il crie halte aux excès de réalisme. Le temps n’existe pas. » (…) « HHIIII !!!! C’est un cri le plus aigu possible qu’il a inventé un soir où il en avait marre de ses dimensions, de son corps qui n’est pas limité ». « Le corps de Benjamin s’allonge. S’étire. Cherche ses contours. Ils reculent. Ondulent. S’amenuisent. Les bras sont sans limites. Et après, ses doigts n’ont pas de bouts. Rien. C’est à hurler. Ça file à l’infini. C’est soi qui coule sous le meuble rouge. À hurler. » Il crie, en effet, et sa poupée aussi.

Le couple enfant handicapé-parent est l’un des plus poignants de toute la littérature, de l’Amérique jusqu’au Japon, et Kenzaburô Ôé. Relisez en cette fin d’année « Le Grillon du foyer ». Du fait que les parents ont à défendre leur enfant des « Normaux », contre la société aveugle, insensible, sans pitié qui les environne. Et cette société s’incarne, dans le roman de Vautrin, par la terrible Metianu, la lacanienne de service, une sorte de dame Folcoche de la psychanalyse : blouse à l’âme, froide, posée, et consciencieuse dans sa torture mentale. Toute convaincue des errements de son mentor et de Dolto, il s’agit de faire avouer la faute originelle à la mère : « pendant dix ans les flics du subconscient allaient avoir beau jeu ! Elle était si pure, Victoire ! Elle donnait. Prête à se dénoncer jusqu’au tréfonds d’elle-même pour sauver Benjamin, elle se mouchardait dans ses moindres replis. » Réflexion de Charlie, le père : « Il suffisait après tout d’avouer que l’analyse est à la médecine ce que l’an mil est à l’Histoire. Un joyeux bordel, passez-moi ce mot tarifé, où les gens les plus fins côtoient les plus fieffés imbéciles. Et passe encore de l’être, mais faire payer ses services ! Inventer des cérémonies ! Dire la messe en jargon ! Siffler du vin de chapelle sur le compte des enfants malades de la tête ! » Derrière le langage écran du raffinement tautologique, se dissimule la manipulatrice : « Percevait-elle une infime réticence ou le moindre doute [des parents] au bien-fondé de ses expériences, qu’elle créait aussitôt une péripétie nouvelle, l’enluminait de détails confidentiels comme des patenôtres ».

Depuis la publication du roman de Vautrin, de 1986, qui atteste d’une catastrophe thérapeutique, est venu outre-Atlantique une prise en charge spécifique et adaptée, la méthode ABA. En 2002, l’association Autisme France déposait plainte contre l’État français pour défaut de soin, mauvais dépistage et maltraitance des enfants atteints d’autisme. En 2004, le Conseil de l’Europe concédait à Vautrin, à Francis Perrin, et à Autisme France qu’ils avaient en partie raison. La France, condamnée pour « non-respect de ses obligations d’accès à l’éducation à l’égard des enfants atteints d’autisme », fut contrainte de réagir.

Une association ici sur l’Est de La Réunion, « Enfants autistes 974 : Le Nouvel Écolier » s’occupe de promouvoir cette méthode novatrice, de la diffuser auprès des parents, de communiquer sur les difficultés que rencontrent les enfants autistes, supervisant des aides aux parents, mettant en place des suivis. Très engagée sur le front scolaire, elle s’attache à ce que l’enfant porteur autiste puisse poursuivre un parcours de scolarité de manière la plus adéquate et satisfaisante possible. Leur engagement même et leur cohésion sont un signe de réussite.

Au Dr. Verheulpen.

- Association « Enfants Autistes 974 : Le Nouvel Écolier ».

Contact et adhésion (10 €) : 101 ter, chemin de la Grande Montée ; 97 438 Sainte-Marie.

- Cf. la chronique sur le site de Témoignages : « Handicapable ! »


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus