« C’en est trope ! »

La marche des papas

2 juillet 2014, par Jean-Baptiste Kiya

Être père, disent-ils… d’Olivier Adam, Philippe Claudel et Philippe Delerm, aux éditions Librio.

Bien sûr, il y a la couverture. Un père à distance respectable, suivant du regard son fiston chaudement vêtu qui court le long de la plage détrempée, prêt à débouler au moindre incident. Père en retrait, entre la mer et son enfant, mains dans les poches, extérieur au jeu. En somme, un papa qui s’ennuie à moitié : parfaite image du Père, celle que voudrait se faire de lui une société figée : père protecteur, omniprésent mais lointain : avatar d’un Dieu le Père.
On peut se dire : « Bon, voilà un écrit devant la mer/mère/ qui ne fera pas de vagues. »

Nous aurions aimé une autre image de père, à l’exemple de celles proposées par ces textes. Plus proche, plus talentueux : un père parlant, s’amusant, un père engagé, pas un de ces pères silencieux qui n’interviennent que quand ça va mal. Un père nouvelle génération : papa inventif, musicien, chanteur, un papa conteur, pas un accompagnateur. La société a du mal avec ses normes, elle est toujours en retard d’une génération au moins sur ses propres mutations. L’opinion commune freine parfois la nécessaire transformation du social.

« Il était une fois un papa », donc. En fait, ce sont trois papas qui se partagent la paternité de ce petit bout de bouquin attachant. Dans l’ordre qu’il me plaît : deux Philippe et un Olivier qui donne des fruits plus amers. Le plus japonais des trois, le plus attachant, est Philippe Claudel. Un contemplatif qui écrit comme on peint, par grands aplats de couleur. C’est le plus aérien, il avance à pas de loup et surprend son lecteur : on joue à cache-cache dans ce livre. On apprend à se faire peur. Et à travers ce tableau, je pense à la petite fille qui n’avait pas de visage, et à celle qui les a tous.
« Je voudrais te montrer tant de choses mais je sais que je n’aurai pas le temps de le faire. C’est un peu comme si en moi j’avais un trésor mais pas assez de mains pour le distribuer à la ronde ». C’est une assez longue lettre que Claudel adresse à sa fille dans une intimité qui ne nous trouble pas, car elle est joie. Un soupçon d’inquiétude tendre se glisse : même le lilas blanc a une ombre, ombre que partage Delerm, auteur de « la première gorgée de bière » et de ces petits riens qui remplissent toute une vie. Car l’enfance a le temps, les parents beaucoup moins – et il s’agit alors de le prendre, de se mettre à son rythme. C’est difficile. Avoir un enfant, c’est avoir la chance de revivre sa propre enfance pour la magnifier.

« Ce serait profondément mépriser l’enfance, écrit Delerm, que de la considérer seulement comme un devenir. En regardant mon fils, en vivant avec lui, je n’avais pas le sentiment d’être confronté à une ébauche, mais à un univers, et à un secret ». Paroles d’or. J’entends ma fille me crier : « Papa, une histoire ! » Au pied du mur, on ne peut pas tricher. « Il était une fois un serpent à sonnette Qui préférait jouer de la trompette… Il était une fois un petit garçon qui s’appelait Demain, car dès qu’on voulait lui demander quelque chose il disait toujours : Demain. » Et Demain est le nom de papa ce soir, Anne-Gaëlle et Anne-Lise, allez vous coucher, il est tard.

C’est un discours forcément nostalgique que celui que tiennent ces papas littéraires : il marque une impossibilité du retour, car l’enfance finit par s’en aller et faire son propre chemin. Cette célébration n’en est que plus précieuse. De tout cela, il restera des souvenirs, des contes, des chansons, celles que l’on crée pour chaque étape du quotidien du bébé. Comptine au bain, berceuse au lit. « Brosse, brosse 1 dent/Brosse brosse/Il y en a tant//Brosse, brosse 2 dents/Brosse brosse/Il y en a tant... » Ces chansons qu’on se rappellera plus tard comme signe d’une complicité toujours présente mais enfouie.
Au reste, ces papas ne pourraient pas l’être pleinement sans l’appui des mamans qui les encouragent. Derrière pas loin, il y a Martine Delerm, auteur pour enfants, « maman » Claudel…

Il existe toutefois des papas qui, séparés de leurs enfants, parfois par un océan, n’arrivent pas à les joindre au téléphone, ni à les réceptionner quand vient leur tour. Des plaintes qui tombent dans l’eau, des juges indifférents, des avocats décorés, à la poche plus pleine que leur bouche. Des remboursements de frais d’avion prévus par les grosses et non réalisés auxquels les JAF ne disent rien : ça existe à La Réunion. Des avocats éhontés, des magistrats dont les ronflements se font entendre jusqu’à l’autre bout du monde. Les « étranges épines » de la justice dont parlait si bien Scapin piquent encore.
« Tiens-toi bien, m’a dit un ami, il a fallu que j’envoie un dossier au président de l’Assemblée nationale, et des doubles à deux députés, parce que la justice ne bougeait pas, pour leur demander de délégiférer : arguant que c’était un des souhaits du candidat Sarkozy. Je leur ai demandé de supprimer les alinéas 2 et 3 de l’article 373-2, l’alinéa 3 de l’article 273-2-1 du Code Civil, ainsi que l’article 227-6 du Code Pénal, parce que non appliqués. -Et tu as eu une réponse. –Penses-tu ! Mais comme par hasard j’ai pu avoir ma fille au téléphone de manière récurrente après… –Tu avais contacté la défenderesse des enfants ? » Et là, il s’est mis à rire.

La condition des femmes ne mérite pas que des paroles ; celle des pères mérite plus que le peu qu’on leur accorde. Les hommes diplômés ne sont considérés que pour leur capacité de travail. « Travailler plus pour gagner plus » est un slogan qui non seulement culpabilise ceux qui n’ont pas de travail, mais qui éclate la famille à seule fin d’argent.
Il y a des choses pour lesquelles il est nécessaire de se battre. Pas tellement pour nous : notre chemin est fait, mais pour nos enfants. Il y a des traces à leur laisser, à la manière du Petit Poucet pour qu’ils retrouvent toujours, dans le chaos du monde, le chemin de la maison. Cette chronique est une de ces pierres.
Il suffit parfois d’une phrase comme « Cher papa, je sais que ensemble on va y arriver » pour se sentir pousser des ailes. Il y a un oiseau en chaque père.

Jean-Charles Angrand

(Reprise de l’article paru le 16 juin 2011, devenu inaccessible en ligne).


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