C’en est trope !

Peter Lalande, illustrateur de Charles Baudelaire (1)

2 octobre 2014, par Jean-Baptiste Kiya

Humour des Seychelles de Peter Lalande, aux éditions Des Bulles dans l’Océan.

Il paraît que Dieu a de l’humour, c’est Peter Lalande qui le dit. Précisons, à décharge, qu’en achevant l’île de Silhouette à partir du soubassement granitique du plateau des Seychelles, le Tout-Puissant en a fait la preuve la plus éclatante. L’homme a, par ailleurs, largement contribué au succès de l’œuvre comique à laquelle Dieu avait mis la première main. Pour l’achever, il fallut attendre qu’un capitaine du doux nom de Morphey, mandaté par le gouverneur René Magon, baptisât au XVIIIe siècle, cette île déserte, distante de 30 kilomètres à l’ouest de Mahé, la peuplant durablement d’un rire qui s’entend encore aujourd’hui.

Le nom qui lui fut attribué fut celui du Contrôleur général des finances de Louis XV, charge que le haut fonctionnaire n’occupa que 8 mois, autant dire une ombre fugace au regard de l’Histoire. En effet, Étienne de Silhouette eut l’audace de mettre à la diète le Royaume de France, ce qui ne fut pas du goût de tous, surtout des plus gourmands, et il trouva là le même reflet impopulaire que ceux qui s’y attellent aujourd’hui. Qu’advint-il ? Soulignons qu’afin de renflouer les finances de l’État grevées, de dépenses somptuaires guerrières (« Au début on était parti pour cent ans, mais on a décidé que sept c’était plus raisonnable ») en réceptions somptueuses, Monsieur le Contrôleur Général opta pour la solution de s’en prendre aux riches : fut retenu le choix de réduire les pensions accordées à la noblesse, de leur faire payer l’impôt – chose inédite, en se fondant sur les signes extérieurs de richesse : portes et fenêtres, et domestiques. Les fenêtres furent aussitôt bouchées, les portes murées et les domestiques renvoyés, Monsieur de Silhouette devait sans doute aimer l’ombre et la solitude.
Les petites gens, rapporte-t-on, commencèrent à se moquer de sa personne parce qu’il s’escrimait à une tâche qui fut jugée impossible, tandis que les plus riches le considèrent comme méprisable. Enfin la cabale eut raison de lui, puisqu’il fut mis un terme à son exercice au bout de 8 mois : ce qui fait du bien fait du tort ; et le déficit, quoiqu’on en dise, demeura abyssal jusqu’à aujourd’hui. Dans les dictionnaires, le sieur de Silhouette n’est plus que l’ombre de lui-même, d’autant plus qu’il ne reste de lui guère plus qu’une ombre.

Le mépris dont il fut l’objet s’exporta si bien qu’il toucha aux côtes de l’Océan Indien : Morphey après Dieu consigna le fait sur parchemin. Donner son patronyme à une île c’était comme infliger au bonhomme un second exil.
Faut-il préciser qu’à l’époque se répandait un nouveau type de portrait accessible à tous : il suffisait en cela d’allumer un quinquet pour projeter l’ombre d’un profil sur une toile de fond dont on soulignait le contour. Au siècle des Lumières, on s’entichait d’ombres, et jamais ombre ne fut plus choyée ; le Moyen Âge même, époque ténébreuse s’il en fut, la fuyait comme la peste : les tensions miraculeuses des arches, et les flèches levées des cathédrales partent, elles, à la recherche de la lumière. Ce type de portrait en vogue au XVIIIe siècle représentait la forme la plus économique du portrait, la plus accessible aussi (les nobles, eux, se le faisaient tirer à l’huile par de véritables peintres, quand il n’était pas taillé dans le marbre éternel).

Étienne de Silhouette adorait ces représentations bon marchés auxquels son nom fut attribué et que l’emmurement des Français malgré eux contribuait à développer. Lui-même dans son hôtel particulier pratiquait ce type de représentation, si bien qu’en un clin d’œil atroce, le tandem de nobles, Morphey-Magon, allèrent jusqu’à nommer la seule île de l’Océan Indien qui présenta un visage en silhouette son patronyme. Et quel profil ! La silhouette que présente l’île Silhouette dessine une tête cocasse, un air pincé, tournée vers Praslin qu’elle semble toiser, menton vers le haut : nez retroussé, fin, une bouche pincée, des lèvres en trompette, l’air est ridicule et hautain. L’île offre aux voyageurs, aux marins, aux marchands, sur toutes les cartes, une physionomie burlesque de godelureau. Et ce godelureau-là se nomme Silhouette. De quel ridicule est affublé Étienne de Silhouette, gravé dans la pierre pour les siècles des siècles, gloire dont il se serait sans doute bien passé ?
C’est une caricature même : bien avant Monsieur Peter Lalande, Morphey s’est bien moqué là.
Il ne manquait plus alors que de superposer la silhouette du sieur Silhouette à la silhouette de l’île Silhouette. Or, malgré l’insigne aura dont bénéficiait le Contrôleur Général, il ne subsiste, semble-t-il, plus aucun portrait du véritable Étienne de Silhouette, mis à part l’île du même nom qui représente un visage en plein océan, silhouette dont se servit Peter Lalande qui reprit, dans Humour des Seychelles, le flambeau là où le sieur de Morphey l’avait laissé.

(À suivre…)


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